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Des Lego pour filles, vraiment?
Il n’est pas dans mes habitudes de m’offusquer pour ce genre de truc. Pour de vrai, n’en déplaise à ceux qui croient que je suis féministe (probablement juste parce que je suis une fille et que j’exprime des opinions), je m’en fous que Lego produise une gamme pour filles. S’ils le font, c’est sûrement parce qu’ils ont des raisons économiques de le faire.
À mon avis, le marketing est le reflet de notre société, donc la conséquence de ce que nous sommes, et non la cause. Si une pub de Walmart dépeint la femme comme une magasineuse futée et son mari comme un homme dépassé par toutes ces préoccupations futiles, c’est malheureusement parce que la société est encore ainsi faite que c’est, plus souvent qu’autrement, la femme qui fait les achats dans le couple hétérosexuel classique. C’est aussi elle qui castre son mari en l’empêchant de prendre une grosse portion de gâteau, et elle qui espère entrer dans du 26 chez H&M. C’est nous qui influençons la pub, pas l’inverse, je vous le jure.
Pour Lego, la réflexion est simple : «merde, on est en train d’échapper un segment, celui des filles, qu’est-ce qu’on fait?» On leur fait des Lego de filles, évidemment. Avec des métiers qui s’adressent à elles, bien sûr : esthéticienne, pop star ou dépravée sociale.
Je ne connais pas beaucoup de filles qui ont autant joué aux Lego que moi. Dans le temps où ils étaient asexués bien sûr. Je n’ai jamais eu de Barbie, mais j’étais abonnée au magazine Lego et je rêvais de visiter le Danemark. Avec mes amis, on construisait des machines, on fabriquait des robots, et surtout, on se chicanait beaucoup pour les pièces en triangle.
Vous direz peut-être : «oui, mais elle, c’t’une lesbienne, c’pour ça». Ok, on ne s’embarquera pas là-dedans, c’est sûr, mais pour la sociologue française Marie Duru-Bellat, ça pourrait avoir un lien. Selon elle, s’il y a des motifs commerciaux de faire des Lego pour filles, c’est qu’il y a des parents anxieux que leur fille ne se conforme pas au rôle pour lequel elle est programmée. «Il y a derrière ce phénomène une réaction contre l’indifférenciation des rôles, cette dernière étant perçue comme une menace d’éclatement de la famille (familles monoparentales, couples gais, etc.)», dit-elle. Lisez tout l’article de rue89 sur le sujet, c’est fou.
Inquiétant hein? Dans les pubs de Lego de filles, on invente une honte à jouer aux Lego quand on est une fille, comme si c’était inadéquat : «Moi, j’adore la construction, alors y a des jeux que je pique à mon frère, mais chut, ne le dites pas, ça pourrait jaser», explique une petite fille dont le problème principal ne semble vraiment pas être qu’elle joue aux Lego.
On met tellement de mots inusités dans la bouche des ces fillettes que je n’ai jamais rien vu sonner aussi faux. Dans mon échelle d’écœurement, ça dépasse les enfants qu’on emmène dans les manifestations ou les trisomiques qu’on baptise de force.
Bon, évidemment, l’idée c’est pas d’éliminer les sexes, ce qui pourrait faire peur à du monde.
Ni de priver Lego d’une part importante de marché, ce qui serait chien pour Lego. Mais si Lego a des motifs économiques de fabriquer des Lego de filles, c’est parce que les parents sont cons.
L’idée, c’est donc de rendre les parents moins cons. Et les tantes aussi. Pour Noël, j’ai jonglé avec l’idée d’acheter un saxophone jouet à l’un de mes neveux. Un saxophone, ça fait tapette un peu non? Finalement, j’ai opté pour un Bernard l’Hermite. On n’a pas encore trouvé le sexe.
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Ce billet est dédié à la fille de mon cousin de qui je garde les plus beaux souvenirs de chicanes de Lego. Petite Orélie, quatre mois, je te souhaite tout plein de Lego asexués.
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