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Des cowgirls et des roux

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J’ai sursauté lorsque Facebook m’a appris que Cath était devenue agente de bord chez Air Canada.

Après tout, c’est vrai que mon amie avait toujours aimé voyager. On avait tout juste dix-sept ans quand on s’est envolées pour l’Espagne et le Portugal ensembles. Dix-huit, quand Patrick Lagacé nous a demandé son chemin à la station d’essence de Vík, un bled de 291 habitants en Islande! En fait, l’annonce du nouvel emploi de mon amie m’a replongé dans mes souvenirs du secondaire. C’était bien avant que je commence l’université, qu’elle parte vivre en Australie et que je la perde de vue, peu à peu.

Au printemps 2004, on avait payé vingt piasses pour qu’une voyante de la Plaza St-Hubert nous lise dans les lignes de la main. En scrutant sa paume, Rosa avait prévenu Catherine contre les rhumatismes, relevé sa chance à la loterie et –wow- prédit sa carrière chez Air Canada! À l’époque, la prophétie était plus ou moins passée dans l’beurre parce que notre avenir professionnel ne nous intéressait pas. Mis à part les garçons, tous nos intérêts ne convergeaient qu’en deux cultes: le country et les cheveux roux.

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Mon amour pour les poils de feu remonte à longtemps. Il me semble que ma princesse préférée ait toujours été Arielle. (Pour sa chevelure rouge, pas sa queue de poisson!) Quand j’étais petite, je ne comprenais pas pourquoi Spirou restait célibataire, je voulais frencher Archie en cachette et péter la gueule à Véronica. À onze ans, Le Parfum de Patrick Süskind, qui raconte l’histoire d’un meurtrier obsédé par le parfum de jeunes filles rousses, m’avait profondément bouleversé. Longtemps, j’ai placé le livre dans le top 5 de mes meilleures lectures. À quatorze ans, la face de Lily Cole tapissait les murs de ma chambre et grâce aux teintures de pharmacie, mes cheveux copiaient enfin ceux de la petite sirène.

Comme beaucoup d’entre nous, j’ai grandi sur la Rive-Sud. Au secondaire, j’allais à La Mag, une grosse poly pleine d’amiante perchée sur les bords du boulevard Taschereau. Entre les poubelles qui flambaient et les games de aki pour passer le temps, mes amies et moi, on s’était surnommées les cowgirls de la Magdeleine. C’était juste avant qu’on puisse coller un #Yolo à n’importe quoi. On avait élaboré une to do list à l’aide d’un crayon HB. Pour l’enterrer quelque part sur le terrain de l’école, on l’avait glissée dans une cannette de V8. Chaque soir dans notre lit, on remontait les couvertes sur notre corps encore vierge. On rêvait à notre cowboy roux/prince charmant, celui qui nous donnerait des bébés rouquins.

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All right, j’imagine que les cowboys ont toujours été à la limite du cool et du loser. C’est un peu comme hésiter entre Johnny Cash et le gars qui se pointe dans un houseparty, coiffé d’un chapeau de rodéo avec une caisse de 24 dans les mains. C’est peut-être pour ça aussi qu’on aimait autant les roux, ce genre de personnages ambigus, entre l’adorable et le fatiguant. Bref, à notre manière d’adolescentes, on aimait ce qui sortait de l’ordinaire, les laissés pour compte et les mal-aimés. À l’époque, il faut le préciser, c’était capital d’être différentes, de rentrer dans le troupeau des un peu fucked.

Je ne me rappelle plus très bien du contenu de la liste planquée dans la canette de V8. Il me semble entre autres, qu’elle nous dictait de dater un roux et de danser dans des soirées country. C’est Camille qui a scoré la première. Un jour, elle nous attendait à l’aéroport avec une pancarte JE SORS AVEC LE ROUX. Même si Sam (le Roux de notre programme) l’a flushée après 3 semaines, notre amour pour ses cheveux n’a pas démordu. Une fois, on a même décidé de prendre un échantillon capillaire de tous les roux de la polyvalente. On s’est promené durant une semaine ciseaux à la main; on scotchait notre récolte sur mon cartable. Madame talkie walkie, une surveillante à la coupe boule, nous trouvait pas mal comiques. On a profité du fait qu’elle était willing pour saccager sa permanente et lui soustraire un gros morceau de toupet orange. À la fin, j’avais l’impression de traîner sur moi une banque ADN des roux du 450. J’aurais pu cloner le grand fauve médiéval. Celui qui se battait avec des épées mousse à l’heure du midi.

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Huit ans ont passé maintenant et j’ai pété mes bottes de cowboy à force de les porter. Dans mes archives, je garde un travail de 22 pages sur la femme rousse en histoire de l’art et une copie plastifiée de notre récolte de cheveux. Quand j’ai quitté la Rive-Sud, j’ai rangé Arielle dans le grenier, laissé mon premier amour, Klimt et les préraphaélites. J’ai pris un break des teintures Jean Coutu et mes pointes roussies et fourchues m’ont remerciée. Alléluia!

J’ai donc sursauté lorsque Facebook m’a appris que Cath était devenue agente de bords chez Air Canada. La réminiscence de mes premiers amours m’a sauté au visage comme des freckles au soleil. J’hésite entre l’émotion et le malaise, en me revoyant jurer fidélité aux poils carotte, aveuglée par l’adolescence. Un peu comme lorsqu’on découvre gêné, l’intensité de nos sentiments maintenant disparus. Oui, je m’en rappelle maintenant quand au printemps 2004, Rosa avait regardé dans la paume de ma main. À ma grande déception, la vieille m’avait prédit un homme aux cheveux bruns! Elle m’avait aussi annoncé qu’à l’instar d’une carrière chez Air Canada, j’étais artiste et c’est ce que j’allais faire. Je n’ai pas compris tout de suite ce que ça voulait dire. Une chose est sûre, je n’avais pas besoin de cheveux roux pour être fucked.

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