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Derrière les portes de l’aile psychiatrique
Le discours sur la santé mentale a beaucoup progressé dans les dernières années. De plus en plus, on prend la parole pour parler de dépression, d’anxiété, de troubles alimentaires et autres problèmes qui nous minent l’existence. Mais les soins psychiatriques, surtout lorsqu’ils requièrent un séjour à l’hôpital, ont encore mauvaise presse. La vision obsolète de « l’asile » avec des patient.e.s en camisole de force traîné.e.s contre leur gré le long de corridors froids et stériles est encore bien vivante dans l’imaginaire collectif.
*Michel est justement infirmier en soins psychiatriques. Rien ne le destinait à exercer le métier. Après un passage dans les forces armées, puis dans le monde des bars, il a enfilé, il y a cinq ans, l’uniforme vert mousse pour la première fois comme professionnel. L’idée d’un changement de carrière lui trottait dans la tête depuis plusieurs années, c’est en voyant des membres de sa famille qui pratiquent le métier qu’il a décidé de retourner sur les bancs d’école pour amorcer le virage.
Je me suis entretenu avec lui afin de discuter de toutes ces idées reçues sur les soins en psychiatrie. J’avais moi-même des préjugés et, force est d’admettre que j’avais pas mal tout faux.
Comment as-tu commencé à travailler en psychiatrie?
C’est assez simple. Pendant nos études, on fait des stages dans plusieurs milieux différents et celui-là m’avait plu. Dès qu’il y a eu une ouverture de poste, j’ai signalé mon intérêt.
C’est un milieu moins technique. On est plus dans le côté relationnel, l’observation, l’analyse du discours.
Il y a une certaine horizontalité à propos de la psychiatrie que j’aime beaucoup. C’est un milieu moins technique. On est plus dans le côté relationnel, l’observation, l’analyse du discours. Les médecins sont évidemment très en demande, c’est forcément nous qui passons plus de temps avec les patient.e.s et notre opinion compte. Quand un.e patient.e décompense (par exemple, lorsqu’il se montre agressif avec lui-même ou envers les autres), c’est souvent nous qui sommes en mesure de comprendre ce qui s’est passé.
Comment un.e. patient.e se retrouve en soins psychiatriques?
Il y a trois façons: à sa demande, à celle d’un tiers ou via le système légal. Dans le cas où un tiers signale un cas de santé mentale, ce sont les premiers répondants qui viennent le chercher. Ce sont souvent les pompiers, mais ça arrive que ce soit la police aussi.
Un séjour en psychiatrie, ça dure combien de temps en moyenne?
C’est impossible pour moi de répondre à cette question. Il y a des patient.e.s atteints de maladies qu’on n’arrive pas à stabiliser qui sont avec nous depuis 30 ans. Dans le cas de névroses, dépressions, troubles anxieux ou de burnouts, ça dépend. Il y en a qui sortent après quelques semaines et d’autres qui passent environ trois à six mois avec nous, je dirais.
Il faut aussi prendre en compte que les réintégrations en milieu de vie se font de manière progressive. Certain.e.s s’en vont en foyers. D’autres en maison de soins spécialisés. Quelqu’un qui occupe une fonction comme la mienne n’est pas témoin de la fin de l’histoire.
Quelle est la pathologie la plus observée?
Les patients sont regroupés par pathologie. On ne mélange jamais une personne dépressive avec une personne schizophrène, par exemple. La prise en charge est différente.
Personnellement, je travaille avec des cas dits plus lourds [donc il « n’observe » que ces cas], souvent des patient.e.s avec des sentiments de persécution très forts. C’est une dynamique très fragile et on marche sur des oeufs. C’est un autre paradigme qui demande une approche et une forme de traitement différente.
Qu’est-ce qu’on comprend mal à propos de la psychiatrie?
Plusieurs choses. Souvent, les gens ne comprennent pas qu’il s’agit de personnes malades. La société ne considère pas une personne qui a le cancer de la même manière qu’une personne qui doit composer avec la schizophrénie. On parle encore beaucoup de « folie ». Cette idée-là prend du temps à mourir.
Une personne qui souffre de dépression ne pleure pas tout le temps. Une personne qui souffre de la schizophrénie n’entend pas toujours des voix. Ça ne fonctionne pas comme ça.
Comme les gens ne « voient » pas la maladie comme on peut voir une blessure physique, on a tendance considérer que la personne n’est pas malade. On dira qu’elle est dramatique, qu’elle exagère. Non : elle est ma-la-de. Il y a les idées préconçues aussi. Une personne qui souffre de dépression ne pleure pas tout le temps. Une personne qui souffre de la schizophrénie n’entend pas toujours des voix. Une personne atteinte de bipolarité ne change pas d’humeur à chaque trois secondes. Ça ne fonctionne pas comme ça.
Qu’est-ce que tu dirais qui est mal représenté dans la fiction ou dans la culture populaire au sens large?
La psychiatrie a énormément évolué depuis 30 ans. L’image de la chambre d’isolement où un.e patient.e est restreint.e est de plus en plus contestée dans le monde, même si ce n’est pas toujours dénué d’intérêt pour les personnes dont l’état psychologique est plus fragmenté. Il faut aussi savoir que certain.e.s patient.e.s vont parfois nous en faire la demande quand des pulsions agressives ou autodestructrices montent.
La médication et son rôle sont mal compris aussi. Ça a souvent un lien avec la durée des séjours. Il faut tout d’abord trouver un médicament qui fonctionne pour un.e patient.e et ça prend souvent du temps avant d’en voir les effets. On doit parfois compter plusieurs semaines avant de voir une évolution. Il y a des patients qu’on n’arrive jamais à stabiliser.
Les patient.e.s violent.e.s, est-ce que c’est un mythe?
Il y a des incidents parfois. Par exemple, un patient avait développé une animosité envers moi, il ne voulait pas que je lui administre son traitement et m’a menacé avec un couteau à beurre, donc il n’y avait pas grand risque. On a réussi à calmer le jeu et à gérer la situation tendue sans débordements alors c’était une bonne journée.
*Le nom a été changé pour permettre à Michel de se confier librement sans risquer de compromettre l’anonymat de ses patient.e.s