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Derrière le couteau à San Francisco

À Montréal, les crackheads sont relativement tranquilles, mais c’est pas la même chose partout.

Par
Philippe Lajeunesse
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C’est pendant un voyage à San Francisco avec mes boys de skate que j’ai appris cette leçon. Disons que les apparences sont parfois trompeuses, surtout en terrain inconnu.

Il était environ 9 heures du soir et notre crew se préparait pour aller skater de nuit. (Les gardes de sécurité des édifices sont beaucoup moins nombreux après le coucher du soleil, ce qui nous facilite la tâche). Je me sens un peu fatigué et décide d’aller me chercher un café chez Happy Donuts, une version ghetto de Dunkin Donuts, située à trois coins de rue de notre auberge du Red Light District de San Francisco. Je sors, marche tranquillement en direction du café et m’allume une cigarette.

La vie est belle. J’erre sur le trottoir en pensant à la nuit de skate qui m’attend. Je décide de terminer ma smoke avant de rentrer dans le café. Accoté au mur, je fredonne des airs des Grateful Dead. L’esprit peace and love de la ville déteint clairement sur moi; je suis sur un nuage. Je réfléchis en appréciant la brise fraîche quand un quelqu’un m’apostrophe : un petit homme à la peau foncée avec une tuque et un long manteau noir. Malgré ses dents en décomposition, il me semblait assez légit.

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L’homme s’approche et me demande gentiment s’il me reste une cigarette.

I just got out of work and I ran out of smokes, I would really like to enjoy one right now. Could you help a brother out, sir?

Je le trouve tellement poli que j’ai même pas le goût de faker qu’il me reste juste une cigg dans mon paquet. Je lui en tends une. Enfin un quêteux de cigarette avec un minimum de savoir vivre. Il me serre la main et se présente.

I’m Mario, nice to meet you man.

Je me présente à mon tour et nous engageons une petite conversation. Le gars est tellement smatte, j’ai jamais vu ça! Il offre même de me donner du pot gratuitement. Je suis dans un bon mood, pourquoi pas! Même si je me pensais en train de devenir chummy avec Mario, je commence à trouver qu’il me fixe un peu trop. Ses yeux vitreux, que je n’avais pas encore remarqués, observaient mes moindres mouvements.

Il sort un sac de plastique de son manteau et avant même que j’aie le temps de réagir, en vide le contenu directement dans la poche de mon coupe-vent, comme s’il voulait fouiller dedans. Du coin de l’œil, je vois des petites brindilles vertes tomber à côté de ma poche. C’est bizarre… Whatever, c’est quand même gentil de sa part. Je le remercie et me dirige vers les portes du Happy Donuts. HEY! Mario m’arrête brusquement en se postant devant moi.

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Je commence à le trouver un peu gossant. Son regard n’est pas le même que celui qu’il avait plus tôt. Il s’énerve de plus en plus et je ne comprends pas pourquoi…

Hey, do you have a dollar bill to roll? I got coke, let’s do some lines.

Là, ça devient franchement bizarre. Je lui dit rapidement que je ne fais pas de coke, que je dois m’en aller et je croise son regard à nouveau : le regard du crackhead en manque de dope. Trop tard… J’aurais dû m’en douter avant. Mario commence à me crier après.

Where is my money? I gave you weed, now you owe me money. Gimme my money! GIMME MY MONEY!!!

Ça c’est la meilleure! Les bums de San Francisco sont des go-getters. À la place de mendier sur le coin de la rue comme on fait chez nous, ils élaborent des stratagèmes pour engager des conversations avec les passants dans l’optique de les voler. À la manière qu’il a de crier « GIVE ME MY MONEY », c’est moi qui a l’air d’avoir volé Mario.

J’agrippe la poignée de porte du café, mais elle est barrée. À en juger par les clients qui sont encore à l’intérieur, le Happy Donuts vient tout juste de fermer boutique. Derrière moi, j’entends Mario s’alarmer.

DON’T RUN AWAY FROM ME!

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Le crackhead m’attrape et me retourne face à lui. Il m’agrippe par le collet et m’étampe violemment dans la porte de vitre du café. Un petit coup d’œil à l’intérieur me permet de constater que tout le monde regarde la scène, mais personne ne se lève pour venir m’aider…

Mario me hurle après! Il veut que je lui donne de l’argent, mais je suis figé sur place. Ma tête qui se retourne frénétiquement, en espérant qu’un client du café se soit levé pour m’aider, semble être la seule partie de mon corps qui fonctionne. Je me fais brasser contre la porte, mais je suis trop surpris par la tournure des événements pour penser à une solution rapidement. J’ai été trop lent, car je vois Mario sortir un petit couteau d’environs 15 cm de sa poche. Sèchement, il me le met sous la gorge en me maintenant au mur avec son autre bras. Je ne peux plus bouger.

WOOOOO minute!! Je sens la lame de son couteau toucher la peau de mon cou! C’est ma première expérience de la sorte…Vraiment ordinaire comme feeling. Je vais devoir capituler, lui donner mon argent. Personne ne vient à mon secours et je ne peux pas risquer de me faire trancher la gorge. OK OK! Mario desserre son étreinte et me laisse sortir mon porte-feuille de ma poche, mais il est d’une fureur telle que je l’imagine déjà me poignarder avant de s’enfuir avec mon porte-feuille et mes souliers. (Ses souliers étaient vraiment finis.)

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À la vue de l’argent, ses yeux se détendent. La distance entre la lame du couteau et mon cou est de moins en moins menaçante. Je lui donne tout ce que j’ai sur moi (environs 40 $) et il me lâche enfin. OUF, j’ai eu la chienne en maudit! Ce qui est drôle, c’est qu’une fois l’argent en main, Mario a sacré son camp en courant à une vitesse surhumaine. En grosse forme pour un crackhead, et astucieux en plus. Il m’avait bien eu le crisse! Je me suis fait prendre dans son piège et je ne devais pas être le premier. C’est honteux… En plus, je n’ai toujours pas de café.

À l’intérieur du Happy Donuts, tous les clients me regardent encore avec leur air ahuri. J’en reviens pas… De l’autre côté de la vitre, je les regarde à mon tour et leur présente doucement mes deux majeurs. Fuck you, pussies!

Je retourne à l’auberge d’un pas rapide et je me rappelle qu’au moins, le gars m’a donné un peu de weed. Sûrement pas pour 40$, mais c’est mieux que rien. Je fouille dans ma poche et découvre que l’herbe dont il m’a fait cadeau n’était en fait qu’une mixture de brindilles, de feuilles sèches et de cèdre… La stratégie de Mario était vraiment planifiée jusqu’au moindre détail. Pour ça, je lui lève mon chapeau.

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Crédit-photo: Daniel Mathieu

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