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Derek Parker : Entre combats sur glace et combats intérieurs

« Je n’ai jamais su où mes poings allaient me mener. »

Par
Jean Bourbeau
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Le poing brandi, les jointures gonflées par les frappes, le vétéran numéro 25 se dirige vers le banc des pénalités sur un seul patin, glissant la bouche rugissante vers une foule en liesse qui scande son nom : « Parker! Parker! Parker! »

Mon ami se retourne vers moi et me dit : « Tabarnak, ton chum, c’t’un héros! »

Quelques jours plus tôt, j’empruntais la voiture d’une collègue pour donner un lift à Derek Parker, colosse ailier gauche évoluant au sein des Pétroliers du Nord de Laval, une équipe semi-professionnelle de la Ligue nord-américaine de hockey (LNAH), traditionnellement reconnue pour sa robustesse.

Le bagarreur âgé de 40 ans, totalisant plus de 500 combats à sa fiche, peine à prendre place dans la petite Echo 2000.

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Chaque fin de semaine de match, Derek fait le trajet en avion de Regina à Montréal pour rejoindre l’équipe, d’où mon humble offre de transport pour l’aider à épargner les frais de taxi.

Une première rencontre des plus intimes alors qu’une vingtaine de minutes nous sépare de sa pratique. Ses premières réponses sont toutefois laconiques, presque gênées, le silence de l’habitacle meublé par le puissant vrombissement de sa respiration.

Je lui demande comment c’était, de jeter les gants contre Donald Brashear, l’ancien homme fort de la LNH, qui, à 51 ans, a rejoint la LNAH cette saison. « C’était bien. J’ai hâte de l’affronter à nouveau », dit-il avec un calme désarmant. Il interrompt la conversation pour envoyer un message à sa fiancée. « J’ai besoin d’argent et c’est elle qui gère mes finances. J’ai un problème de jeu. J’ai perdu 25 dollars, ce matin, au blackjack ».

Après une suspension de cinq matchs, le joueur originaire de Melville, en Saskatchewan, effectue un très attendu retour au jeu. Derek est l’un des derniers « goons » à l’ancienne encore en activité dans le monde du hockey québécois. Il n’a jamais été salué pour l’élégance de son coup de patin ; il est là pour faire sa job, il est là pour se pogner.

Portrait d’un athlète complexe à la croisée des chemins.

« Je voulais être un joueur de hockey ou un ninja. J’ai réussi à combiner les deux », admet-il en riant.

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Depuis aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours eu la passion du combat. Dès son premier match, il a jeté les gants contre l’un de ses amis. Au niveau midget, il avait déjà accumulé une vingtaine de combats contre des adversaires tous plus âgés que lui.

Après un parcours junior dans l’Ouest où il a consolidé sa notoriété de dur à cuire, il s’envole vers les États-Unis et accumule plus de 500 minutes de punition en une seule saison avant de poser sa poche à Saint-Hyacinthe, marquant ainsi le début d’une longue histoire d’amour avec le Québec.

« Un jour, un coach m’a dit : “Si tu as du talent pour quelque chose, ne le fais jamais gratuitement.” Cette phrase m’a sauvé bien des ennuis hors-glace, ayant grandi dans un coin rempli de cowboys », raconte-t-il, d’une voix plus assurée une fois arrivé à l’aréna, où il retrouve ses repères.

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Accumulant plus de 70 combats dès sa première saison, il gagne rapidement le cœur du public maskoutain. Un poster à son effigie ornait fièrement le mur du bar de danseuses locales, Le Zipper, où son amie Michelle, une barmaid d’origine ontarienne, l’accueillait avec bonté. « C’était une période dorée. Un membre haut placé des Hells me payait un verre après chaque match. Il adorait mon style », confie-t-il dans un français attendrissant, fort de ses 18 années à œuvrer au Québec.

« Pendant mes premières années à Saint-Hyacinthe, mes mains étaient toutes brisées. J’avais une casserole d’eau chaude et un bocal d’eau glacée. Je trempais mes mains pendant cinq minutes dans chacune, jusqu’au week-end où tout recommençait. »

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Un vent glacial n’empêche pas la foule de fumer une clope dans les marches du House of Pain, aréna devenu emblématique par sa violence, niché dans un quartier défavorisé à l’ombre d’une prison et quasiment figée dans le temps depuis les années 1950. « Parker va ben se battre à soir », marmonne un fan en shakant son hoodie Headrush pour se réchauffer.

Si certains choisissent d’aller au théâtre ou au restaurant, le vendredi soir, d’autres préfèrent se réfugier dans le Colisée de Laval pour siffler des double rhum & coke en regardant la « North ». Réputé pour les extravagances de ses spectateurs, cet amphithéâtre se distingue en province en étant l’un des rares à disposer de bancs de punition en cage, assurant ainsi une séparation entre les supporters et les joueurs.

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On y croise des gars plus larges que grands arborant des maillots des Chiefs, des vieux Harley les mains remplies de lanières de moitié-moitié et des jeunes coiffés de casquettes par en arrière à peine enfoncées sur leur tête. Vous avez l’image.

Affublé du surnom « The Lion » depuis plus de deux décennies, comme en témoigne un imposant tatouage du félin sur son flanc, Derek enfile ses gants de boxe avant chaque match et s’engage dans quelques échanges de coups avec un coéquipier volontaire. Avant de fouler la glace, il s’accorde un moment de prière, exprimant des vœux de sécurité pour lui-même et de protection pour ses adversaires. Mais ça, nous y reviendrons.

Dès la période d’échauffement, son prénom retentit dans les gradins.

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Malgré un maniement de rondelle parfois hésitant, chaque fois qu’il inscrit un but, le Savage Squad, une troupe de partisans arborant banderoles et tenues distinctives, le célèbre avec une ferveur aidée par la bière qui coule à flot.

Le coup d’envoi du match est donné et les jeux s’enchaînent à un rythme effréné. Alors que la ligue a longtemps fait l’objet de critiques pour ses moments moins reluisants, elle a progressé au fil du temps pour offrir un hockey d’une qualité remarquable.

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Milieu de première période, l’égalité est créée lorsque Derek embarque sur la patinoire. Personne ne se fait d’histoires, la tension règne dans les gradins. Dès la mise au jeu, Derek engage le combat contre Sébastien Laferrière, un poids lourd qui, lui aussi, a du millage dans la ligue. On enlève les casques. Les 1600 personnes sont presque toutes debout à hurler à l’unisson : « Parker! Parker! Parker! ». Un combat serré sans réel vainqueur. N’empêche, la foule est conquise.

Si Derek protège ses coéquipiers sur la glace, Lucien et Pierre, eux, protègent Derek comme ils peuvent.

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Lucien Paquette est le directeur-général des Pétroliers du Nord. Il connaît Derek depuis ses débuts et l’aime d’un amour sincère. « C’est tellement un bon gars. Il est excellent avec nos jeunes joueurs. Ça n’a pas toujours été évident, mais nous, on va toujours être derrière lui. Ce ne sont pas toutes les organisations qui le feraient venir de Melville. Derek, c’est notre homme. Je suis vraiment content qu’il ait rencontré sa fiancée. »

Pierre Pelletier est président du club en plus d’avoir été son entraîneur-chef à Saint-Hyacinthe : « Où qu’il ait joué, il a toujours été le chouchou du public. Un gars d’équipe très charismatique que j’ai moi aussi rapidement aimé. Je lui confiais plusieurs rôles, même du temps sur le power play, mais il a toujours aimé se battre et on n’avait pas un club très équipé en hommes forts, alors Derek était là, toujours prêt. Des joueurs comme lui, il y en a de moins en moins. »

Pierre Pelletier, président des Pétroliers du Nord
Pierre Pelletier, président des Pétroliers du Nord
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Celui qui tient le rôle de enforcer reconnaît avoir un poste différent de ses coéquipiers: « Je ne serai jamais un compteur de but. Je suis là pour me battre. Les gens associent les combats avec la colère, mais c’est si loin de moi. Il y a beaucoup d’estime entre nous. On fait un boulot difficile, on sait qu’on est très remplaçable. On ne s’aime pas tous, mais il y a toujours du respect. On s’écrit parfois sur Messenger la veille d’un combat pour se souhaiter bonne chance. »

Alors que certains s’engourdissent dans la consommation pour surmonter l’angoisse ou trouver le sommeil la veille d’un match, Derek affirme rester calme, voire serein, avant chaque duel.

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Et cela, même si le hockey sur glace demeure le dernier sport au monde impliquant des combats à mains nues.

Mais si Derek Parker a attiré mon attention parmi la douzaine de justiciers que compte le circuit, c’est en raison de sa reconnaissance liée à un mysticisme plutôt singulier. En effet, pendant quelques saisons, il se présentait au Colisée vêtu d’une soutane blanche, arborant un grand crucifix, et s’agenouillait pour prier dans les douches avant les rencontres, au point de devenir un distraction dans le vestiaire.

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Sa voix se serre lorsqu’il évoque cette période où il a plongé dans la foi : « J’étais en mission dans une sorte de voyage spirituel. Si je voulais au départ incarner l’image du bien, je me suis un peu égaré, jusqu’à nourrir l’aspiration de devenir un saint. Un vrai. C’était une obsession. Je me renseignais sur différents miracles, je priais plus que jamais », admet-il au sujet d’une phase qui a duré quelques années.

En 2012, son plus jeune frère, André, met fin à ses jours. Une tragédie déchirante pour la famille Parker, très unie depuis toujours.

Derek se rapproche alors de l’Église, allant même jusqu’à envisager faire partie du clergé.

Puis, en 2019, « enfoncé dans la spiritualité, je me suis convaincu qu’il y avait une infime possibilité qu’André ressuscite avec mon aide. J’étais dans une période où je n’avais peur de rien, sauf de Dieu. J’ai fini par creuser la tombe de mon frère. La chose la plus démente qu’il soit. Je me suis fait arrêter et envoyé dans un hôpital psychiatrique. »

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Interrogé sur son état d’esprit à cette époque, Derek prend un instant avant de répondre : « Je pense que mon deuil s’était brouillé dans un folklore catholique, et j’étais capable de faire des choses que personne n’osait faire. Un trouble délirant, de la bipolarité? Je sais juste que j’étais un accro de Dieu. Aujourd’hui, je récite un “Notre Père” quotidien, mais ma relation avec la foi s’est vraiment apaisée. »

Il est difficile de ne pas faire de parallèle entre cet épisode étrange et les nombreux cas médiatisés de joueurs robustes qui, après avoir brillé sur la glace, ont ensuite fait face à des périodes tumultueuses et à des problèmes de dépendance. Les destins tragiques de vedettes telles que Derek Boogaard, Bob Probert, Rick Rypien et Steve Montador viennent immédiatement à l’esprit.

Une étude récente souligne que les bagarreurs de la LNH ont une espérance de vie inférieure de 10 ans par rapport à leurs collègues joueurs.

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Avec sa palette noire, un nez écrasé et des arcades sourcilières malmenées par les années, je lui demande quelle relation entretient-il avec son reflet dans le miroir? « Je m’en suis toujours un peu moqué. J’essaie de respecter la première règle qui est de ne pas se faire frapper, mais j’ai eu ma part d’yeux au beurre noir », avoue celui qui s’est frotté à toutes les légendes du circuit.

Malgré plusieurs knockouts et les inévitables commotions cérébrales qu’il a subis, Derek semble ne pas s’en préoccuper outre mesure. « Il faut être un peu fou pour faire ce boulot, mais je crois que nous avons des personnalités fortes qui sont enclines à faire des excès. Mon problème de jeu est un autre exemple. J’ai toujours été excessif, dans tout ce que je fais. »

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Troisième période, le pointage est serré. Derek n’a pas embarqué depuis son unique présence au premier tiers. Laferrière, ancien joueur de Laval et ébéniste de profession, l’invite à en découdre à nouveau. Les gants tombent au centre de la glace et cette fois, Derek terrasse son adversaire d’une puissante droite sur la tempe. Son équipe explose, le vieil aréna tremble. L’adrénaline du guerrier victorieux.

Après un deuxième affrontement, Derek est automatiquement expulsé de la rencontre, mais dès qu’il sort du vestiaire habillé en civil, le Colisée l’acclame, une fois de plus. Incapable de retenir son sourire, il s’invite dans les gradins, signe des autographes et prend des dizaines de selfies. Une bière à la main, il visite le Savage Squad où il triomphe en grande vedette.

Le pugiliste sur lames se dirige ensuite vers la loge de l’équipe, où Lucien et Pierre l’accueillent en l’entourant de leurs bras. Il retrouve ensuite Michelle, qui a fait le voyage pour le voir jouer.

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Les Pétroliers du Nord l’emportent finalement en prolongation, offrant un match des plus divertissants avec onze buts et quatre bagarres. Les partisans quittent, comblés, avec la certitude que le Lion est encore roi dans le House of Pain.

Si la vie n’a pas toujours été douce pour l’homme fort, Derek Parker semble aujourd’hui persuadé d’avoir trouvé un peu de paix : « Je suis amoureux, je gagne ma vie en jouant au hockey, j’apporte mon soutien à l’équipe junior de Melville et je vois des jeunes évoluer dans la bonne direction. La retraite n’est pas dans les plans! », lance-t-il avec assurance.

« La semaine dernière, à l’église, on a parlé de la parabole de l’esclave qui avait un seul talent, mais qui a accompli de grandes choses. J’ai hérité d’un talent pour me battre, et je l’ai fait prospérer en une vie riche en aventures. Je peux dire, aujourd’hui, que j’en suis fier. »