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Depuis que le commis de la SAQ m’a proposé de faire un trip à trois

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— Sur une échelle de 1 à 10, à quel point tu dirais qu’on sort ensemble?
— Hum… 8?
— Cool.

Noël approchait et j’avais besoin d’une réponse à fournir aux membres de ma famille qui voudraient savoir ce qui advenait du gentil garçon que je fréquentais depuis quelques mois. “On forme un couple à 80 %” me semblait une explication simple, efficace et honnête.

J’étais satisfaite.

Avant de quitter l’appartement dudit garçon ce matin-là, on a convenu que j’y reviendrais le soir même pour souper en tête-à-tête. C’est le genre de choses que tu peux faire quand tu formes un couple à 80 % : t’es assez engagée pour ne pas partir en peur à l’idée de voir l’être presqu’aimé deux fois en quelques heures. En même temps, comme c’est tout neuf, tu peux te permettre de manger des sushis sans avoir l’air d’un couple de trentenaires surmenés tout droit sorti de 2003.

80 %, c’est un esti de beau stade.

Je suis sortie dans une Hochelaga enneigée et j’ai marché jusque chez moi. Sitôt entrée, j’ai refusé une invitation galante lancée avec charme par un inconnu sur Facebook en me disant que le timing fait de drôles de choses. Et que décembre, ça t’alourdit un lit pas partagé sur un moyen temps.

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C’est vrai que les fêtes ont quelque chose de triste quand on doit les traverser sans un corps contre lequel se lover dans le lit simple d’un sous-sol de banlieue avec une haleine de crème de menthe. Sans personne qu’on puisse forcer à regarder Love Actually juste parce qu’il neige. Sans personne pour nous flatter les cheveux quand on pleure en disant “je suis fatiguée, la litière des chats est pleine et je n’ai pas envie d’emballer les maudits cadeaux.”

(Impossible que je sois la seule à être passée par là. Impossible.)

C’est en réfléchissant à tout ça que je me suis préparée pour ma date. (C’est-à-dire que j’ai flatté mon chat en écoutant pour la centième fois Les prisonniers du lac Dufault – à ne pas confondre avec Les prisonniers de Luce Dufault.) Puis, en prenant la route vers la demeure de celui qui deviendrait mon mari, j’ai fait un saut à la SAQ.

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J’aime beaucoup le vin. Ce que j’aime le plus, c’est en découvrir de nouveaux. J’ai donc interrogé le commis le plus près pour lui demander ce qu’il me suggérait de boire avec du poisson cru. Par un heureux hasard, le commis le plus près était un bel homme. Grand, tatoué, l’air d’un bum doux. Si Chuck Hughes et Patrice L’Écuyer avaient fait un enfant, ce serait probablement lui. En empoignant une bouteille, il a décidé d’entamer une discussion.

— C’est pour boire avec des sushis que vous partagerez avec vos parents?
— Non.
— Avec votre meilleure amie?
— Non plus.
— Avec votre colocataire, alors?
— Vous êtes loin!
— Ne me dites pas que vous prévoyez manger ces sushis avec votre copain…
— En fait, on sort ensemble à 80 %.
— Ça laisse 20 % de jeu.
— J’pense qu’il ne nous manque que le “je t’aime”. C’est assez sérieux.
— Alors, j’ai une proposition. Je pourrais venir vous rejoindre.
— Pour manger les sushis?
— Oui. Et ensuite, on pourrait faire l’amour en groupe.
—… Faire quoi?
— L’amour en groupe.
— Oh.
— Il est beau, votre presque copain?
— Pas mal, oui.
— Alors ce sera bien.

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Peut-être qu’il niaisait. L’affaire, c’est qu’il n’avait pas du tout l’air de niaiser. J’oserais même dire qu’il me faisait des yeux cochons. Dans tous les cas, je mentirais si je vous disais que je n’ai pas brièvement considéré l’offre. J’étais entrée en me demandant si je voulais du riesling ou du chardonnay. Je me demandais maintenant si je voulais être double pénétrée.

— J’ai l’impression que mon presque copain ne serait pas super partant.
— C’est dommage.
— Aussi, je suis un peu gênée.
— Faut pas. Vous êtes belle quand vous êtes rouge.

Vous pouvez ici imaginer le rire ultra nerveux d’une fille tentée d’accepter la proposition sexuellement osée d’un homme qu’elle trouve cute. Et vous pouvez ensuite imaginer un très long silence lors duquel la même fille se pose beaucoup de questions, comme : est-ce socialement acceptable de répondre aux avances d’un parfait inconnu? Est-ce qu’un trip à trois, c’est quelque chose qu’on peut faire pour se mettre dans le mood des fêtes? Qui est en position d’autorité entre un commis de la SAQ et sa cliente?

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Devant le silence qui a suivi mon rire, j’ai monté mon foulard sur mon visage pour en cacher la rougeur. Et je jure – je jure – que j’ai pris la bouteille que le commis me tendait, sans un mot, avant de me rendre au comptoir à tâtons, à défaut de pouvoir bien voir à travers les mailles de laine qui couvraient mes yeux.

En guise d’adieu, mon nouveau prétendant a simplement lancé “Et j’adore vos accents toniques!”. C’était un original.

Mon futur conjoint a eu l’air surpris quand il m’a ouvert la porte, cinq minutes plus tard.
— T’es ben rouge!
— Oh, c’est juste que le commis de la SAQ voulait venir nous faire l’amour.
— As-tu accepté?
— J’aurais aimé ça, mais non. Je peux aller lui dire que j’ai changé d’idée, si tu veux.
— Bof.

Il semblerait que décembre, ça a beau t’alourdir un lit pas partagé, ce n’est pas une raison pour le remplir à trois.
Dommage.

Depuis que le commis de la SAQ m’a proposé de faire un trip à trois…

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  • J’ai appris que sa tactique a fonctionné avec au moins deux femmes — deux femmes satisfaites.
  • Je trouve tous les commis que je croise trop peu investis dans leur service à la clientèle.
  • J’espère qu’on pourra un jour réaliser un conte de Noël érotique basé sur mon histoire. Réalisateurs-trices, j’attends votre offre!
  • Je ne demande plus conseil aux employés de la SAQ, de peur d’être foudroyée par leur pouvoir de séduction. Une fille se protège…

***

Pour lire un autre texte de Rose-Aimée: Depuis que je suis une gouine grano.

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