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Depuis que je sais que mon père a fait de la softporn

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Quand il perdait un pari que je lui avais lancé, mon père allait à l’épicerie en jupe avec une passoire sur la tête. Il gardait la tête haute et saluait dignement chaque commis.

On a déjà passé l’Halloween un 29 octobre parce qu’il ne serait pas en ville le 31. Les gens nous donnaient ce qu’ils avaient sous la main : bonbons, fruits et/ou regards perplexes.

Quand je gagnais aux cartes, j’avais une minute pour lui dire toutes les insultes qui me passaient par la tête. Si je perdais, c’est lui qui avait le privilège de me crier des monstruosités. Grâce à cette discipline, je ne pense pas avoir déjà perdu la face dans un combat de mots vulgaires. Je ne pense pas non plus pouvoir écrire ici ce que j’ai répondu au petit Michaël qui m’a traitée de “tapette hawaïenne” pendant le concours de lip sync du Club Optimiste de Farnham…

Mon père créait de la magie.

J’avais seize ans quand il est mort.

Et vingt-deux quand j’ai appris qu’il avait fait de la softporn.

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Je savais que mon père avait été un comédien “pourri, mais pas mal beau”. On m’avait dit qu’il avait joué le premier gai de la télé québécoise dans Le paradis terrestre et un hétérosexuel dans Ilsa la tigresse de Sibérie. Ce que j’ignorais, c’est qu’Ilsa la tigresse de Sibérie est loin d’être un documentaire animalier…

On parle ici d’une œuvre où le cheap côtoie assez bien la violence et plutôt mal l’érotisme. N’ayons pas peur des mots, c’est de la soft porn de mauvaise qualité : des guns, du sang, de la nudité et mon géniteur incarnant l’objet sexuel de Dyanne Thorne.

Je n’ai évidemment jamais regardé le film. Traumatisée par les quelques minutes disponibles sur Youtube, je n’ose pas me procurer la cassette ou l’emprunter à des copains qui la possèdent (parce que oui, j’en ai). Sauf que depuis que je connais son existence, je fais face à un lourd dilemme moral.

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Quand je m’ennuie de mon paternel, je sais que je pourrais de nouveau entendre sa voix, retrouver certaines de ses mimiques, fixer ses yeux. Mais pour ça, il faudrait que je sois prête à le voir tout nu…

C’est pas mal le plus twisted des “would you rather” : préfèrerais-tu ne plus jamais voir ton père en action OU le voir en action sur une femme en totons?

La réponse est claire.

J’ai fouillé et je n’ai pas trouvé un seul guide sur le deuil conseillant de regarder l’être disparu se faire fouetter par une dame en baby-doll. Reste que la possibilité est là et que j’ai parfois peur de flancher, sabotant par la bande ma vie sexuelle pour les dix ou trente-cinq prochaines années…

Il y a plus : je suis la fille d’un homme qui a été payé pour donner vie à un récit érotique. Mon père s’est déjà assis avec un scénario entre les mains. Il a lu une scène et il a fixé un point en se demandant longuement ce que son personnage ressentirait s’il était véritablement entre les griffes (et les jambes) de la louve des SS. Il s’est ensuite levé pour esquisser quelques mouvements en tentant de trouver la vérité dans son jeu. Il a fait du air sex par rigueur et professionnalisme. Je sais que tout ça s’est passé, parce qu’il y avait La construction de l’acteur par Stanislavski dans notre bibliothèque…

Moi, dans la vie, on me paie pour faire de la recherche.

Est-ce qu’il me trouverait straight s’il vivait encore?

Est-ce que j’ose assez?

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Si je ne fais rien de flamboyant, est-ce que ce sera mieux pour mes enfants? Au contraire, dois-je tout de suite penser à quelque chose de complètement déplacé à leur léguer?

Et si le vice était dans mon sang?

Je ne pense pas poursuivre la tradition pornographique des Morin, mais je vais essayer de rester fidèle à une autre : celle de transformer le quotidien en conte choquant. Les réponses viendront d’elles-mêmes, j’imagine.

Chose certaine, je n’aurais pas voulu d’un autre père. Fausse sexualité en Sibérie ou non.

Depuis que je sais que mon père a fait de la softporn :

  • J’ai jeté mon lecteur VHS.
  • J’ai peur de googler son nom.
  • J’espère qu’il continuera de m’étonner, malgré mes tabous. Malgré la mort.

***

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