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Depuis que je revendique mon droit de courailler pour oublier la mort

Midlife crisis, fidélité et Ashley Madison

Par
Rose-Aimée Automne T. Morin
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Il y a eu quelques hommes dans ma vie. Pas beaucoup, une poignée. Ils ont peu de choses en commun, mis à part un pénis, une famille unie (on ne choisit pas nos patterns), puis le fait que je leur ai tous dit que je me clancherais une crise de la quarantaine avant eux.

C’est un discours que je répète depuis l’adolescence. Une espèce de frustration que j’entretiens. J’ai l’impression que socialement, on convient que l’homme a droit à sa midlife crisis, qu’il s’agit en quelque sorte d’un rite de passage : on s’attend pratiquement à ce qu’il veuille défier la mort en allant voir ailleurs.* Comme si la culture populaire me disait : “Fille, tu dois t’y préparer : tu vas offrir tes plus belles années à un homme qui finira par toucher d’autres culottes tandis que tu l’attendras en fanant.”

Je ne vois pas pourquoi courailler pour oublier qu’on vieillit serait une affaire d’hommes.

Parce que je ne suis pas du tout une personne qui tend vers l’extrême, j’ai donc toujours ouvertement promis d’être proactive et de me taper, moi aussi, une midlife crisis. Ma twist : je n’attendrais pas la quarantaine. Je ferais ça tôt, ce serait préventif. J’aurais deux cellulaires pour gérer des amants plus jeunes et je m’assurerais de garder la forme pour leur plaire.

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J’en conviens, ce n’est pas la plus mature de mes réactions. (Mais c’est quand même mieux que la fois où j’ai refusé de dire mon nom à un auteur qui me le demandait parce que je trouvais que ça nous éloignait du sujet important: son art. Oui, j’étais saoule.)

Cela dit, j’ai récemment revu mon discours. Je comprends maintenant que j’ai surtout toujours eu peur d’un manque de communication. De l’idée qu’on s’impose une conduite respectant un concept dont on aimerait finalement mieux se passer. Qu’on se retienne sans s’en parler. Que le temps nous pousse aux secrets, à faire des niaiseries, à se briser. J’ai peur que l’un de nous ne vive pas comme il le voudrait vraiment, au nom d’un principe qu’on n’aurait pas osé aborder.

Il y a des choses qu’on préfère probablement ne pas trop remettre en question.
Comme la fidélité.
Ou la règle des cinq secondes quand nos nachos tombent au sol.

C’est correct. On virerait fou à tout revoir, tout le temps. J’imagine que c’est une question de choix, de valeurs ou de priorités. Mais quand je vois l’identité d’usagers du site Ashley Madison révélée au grand jour, je ne peux pas m’empêcher de penser à l’autre, à la femme qui a peut-être obéi à des promesses de fidélité pour finalement se faire avoir (ou à l’homme, même si 70 % des abonnés sont de sexe masculin).

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Je me demande si les abonnés du site – qui permet aux adultes de trouver des partenaires pour relations extraconjugales – avaient jasé de tout ça avec leur douce moitié. On ne parle pas d’un coup de foudre ou d’une histoire d’amour ici, soit d’un truc qu’on s’explique souvent mal (alors comment l’expliquer à l’autre?). On parle assez simplement d’une envie de sexe, de peau. De la peau de n’importe qui. De la peau d’une inconnue croisée par notre curseur.

On parle de cachotteries, de mensonges, de trahison.
Et je ne sais pas trop au nom de qui on se joue dans le dos.

Quand je pense aux partenaires des abonnés d’Ashley Madison, c’est niaiseux, mais j’espère très fort qu’elles ne se sont pas retenues. Ou alors, je souhaite qu’elles n’aient jamais eu envie d’aller voir ailleurs. Qu’aujourd’hui, elles n’aient pas un goût amer dans la bouche avec des relents de “j’aurais donc dû”. J’espère qu’elles n’ont pas l’impression d’avoir perdu du temps, de s’être pliée à la fidélité alors qu’elle n’était pas désirée par les deux partis. Puis si elles l’ont fait, j’espère que c’était par conviction et qu’elles en retirent une certaine satisfaction, malgré la déception.

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De mon bord, je regarde tout ça et je déprime un peu. Me reste plus qu’à espérer trouver le courage de définir à deux un cadre dans lequel tout le monde sera libre d’être heureux. Même si me taper une crise de la quarantaine préventive serait probablement pas mal plus simple…

(Gérer des émotions en adulte, ça suce.)

* Pas besoin de me le dire : je sais pertinemment que ce n’est pas le vœu de tous les hommes. Ne vous en faites surtout pas.