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Depuis que je collectionne les lettres d’amour
“Bravo pour ton beau travail!”
“Je t’aime.”
“Allo.”
J’ai une boîte remplie de post-it sur lesquels sont gribouillés des niaiseries, des mots d’amour, des dessins étranges. Ils s’entassent avec un paquet de lettres accumulées pendant mon secondaire. (Tsé, celles pliées grâce à de savantes techniques d’origami, adressées à “ma grosse patate”, dans lesquelles on se racontait nos journées si plates ?)
En fait, j’ai l’étrange manie de conserver tout ce qui est écrit à la main. Comme si une personne déversait un peu de son âme avec l’encre de son stylo. C’est simple : je n’arrive pas à jeter un mot qui m’a été adressé. Tout bout de papier devient un petit cadeau, l’empreinte d’une relation qui pourrait à tout moment cesser.
Je garde, parce que j’ai peur que ça s’arrête.
(C’est une drôle d’habitude, mais ce n’est pas si bizarre non plus. Ça reste plus sain qu’une collection de gales, mettons.)
J’ai encore de vieilles listes d’épicerie conçues par ma coloc du cégep, des cartes reçues pour mon douzième anniversaire et toutes les lettres d’amour qu’on m’a offertes dans les dix années actives de ma vie sentimentale.
Aujourd’hui, elles forment le constat de mes échecs.
Comme le tueur en série qui garde un souvenir de ses victimes, je plonge dans mes vieilles lettres d’amour pour me rappeler l’ampleur des dommages causés.
Je retrouve les mots doux, puis je suis leur progression vers l’insécurité et la plume nerveuse de celui qui vient de se séparer. Je me paper-cut le cœur en prenant entre mes mains les conséquences concrètes de mes espoirs et de mes erreurs.
Ce n’est pas juste pathétique, c’est important. Un devoir de mémoire de mes ex : ex-amoureux, ex-sentiments, ex-personnalités. Une façon de voir combien j’ai adoré, puis combien j’ai été aimée en retour. Et surtout, une façon de me rappeler que trop de gens pensent qu’on doit mettre un “s” au “va” de “va chier”.
Anyway.
Les lettres d’amour m’obsèdent.
Si je pouvais entrer chez vous et lire le contenu de tous les mots que vous avez choisis de protéger, j’imploserais de satisfaction. Je me laisserais émouvoir par ce précieux condensé d’abandon doux, de passion, de déchirements. J’imaginerais l’état dans lequel ont été écrites chacune des lettres. Je devinerais quel lien vous unissait à leur auteur. Je compatirais pour les pertes et les boules dans le ventre. Je célèbrerais l’attachement et les feux de Bengale qui perdurent. Mais bon. Je n’ai pas la liberté de venir spontanément fouiller votre intimité. J’pense que je pourrais me faire arrêter pour ça. Alors, je lis et relis des lettres d’amour publiées.
Puis à ce rayon, j’ai de solides chouchous.
Gérald Godin : poète, politicien et journaliste.
Pauline Julien : chanteuse et comédienne engagée.
Uni durant plus de trente ans, le couple s’est livré une correspondance dénuée de pudeur. La lecture de son échange épistolaire nous permet de plonger dans une relation aussi trouble que magnifique. Chaque mot écrit par l’un me fait rêver d’être l’autre.
Au nom de l’amour et de la poésie, voici quelques extraits de La Renarde et le mal peigné, recueil de la correspondance entretenue par ces deux géants de la culture québécoise. Si je ne vous donne pas envie de plonger dans l’amour des autres avec ça, j’admire votre profond respect pour l’intimité d’autrui (mais je ne le comprends crissement pas)…
***
Quant à toi, tu es dans ma vie intérieure, très profondément – l’amour est là, je le sens, j’y touche et c’est très fort et très vivant, grouillant de vie et de caresses et de baisers pour toi.
Je te lèche
Gérald
***
Fais-tu des scènes à tes mignons amants comme tu m’en fais à moi ou suis-je le seul à y avoir droit ???
Dis-moi que je suis le seul, du moins de toute manière, c’est la vie. Mène ta vie à ta guise, je n’y peux rien, tu es souveraine, en fin de compte. Souveraine et mon impératrice.
***
Je vous embrasse
Je m’ennuie de vous
Soyez heureuse et paisible
Je t’aime presque tout à fait
Gérald
***
On va se l’avouer, Gérald Godin avait un talent immense pour les conclusions qui frappent. De quoi rendre pâlotte de jalousie mon humble collection de mots d’amour.
En espérant que vous ayez trouvé votre Pauline,
Rose
P.S Le sous-titre de ce billet, c’est le poème Si belle, de Gérald Godin.
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Pour lire un autre texte de Rose-Aimée Automne T. Morin : “Laisser ou être laissé, choisis ta douleur!”