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Depuis quand tout le monde ment à son psy?

Mentir en thérapie : un phénomène plus répandu qu’il n’y paraît.

Par
Laïma A. Gérald
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« Dès que j’ai entendu le mensonge sortir de ma bouche, je me suis dit que c’était absurde. Mais pour une raison qui m’échappe, je n’étais pas prête à dire à ma psy que j’avais eu une rechute », confie Stéphanie*, une jeune femme de 26 ans qui vit avec un trouble alimentaire depuis l’adolescence.

« Avec le recul, je pense que je ne voulais pas décevoir ma psy. […] Je pense aussi que j’avais peur qu’elle pense qu’elle n’avait pas bien fait son travail ou qu’elle croit qu’elle n’arrivait pas à m’aider à gérer mes shits comme il faut. C’est con, hein? »

Con? Pas du tout!

Un phénomène plus répandu qu’on ne le croit

En effet, l’anecdote de Stéphanie est loin d’être un cas isolé.

Sur TikTok, le sujet du mensonge en contexte thérapeutique compile déjà plus de 600 millions de vues et regroupe un nombre incalculable de vidéos abordant ouvertement la question, tant du point de vue des patient.e.s que des thérapeutes.

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Qu’il s’agisse d’un petit white lie inoffensif, d’un mensonge plus significatif ou simplement d’occulter une mauvaise journée en prétendant que « tout va bien! », il semble assez courant de ne pas toujours dire toute la vérité en thérapie.

@_amber.burdyy Some things I’ll never be able to say #therapy ♬ original sound – ✭𝙍𝙮𝙖𝙣

Et qu’en dit la science? Selon une étude américaine cherchant à mesurer la place du mensonge en thérapie menée en 2022, de nombreux patients et de nombreuses patientes cachent parfois la vérité – ou une partie de la vérité – à leur thérapeute. Les chercheur.euse.s en psychologie Jacqueline Patmore et Barry Farber ont d’ailleurs découvert que certains sujets font plus souvent l’objet de cachotteries, les troubles du comportement alimentaire ainsi que les problèmes d’image corporelle et d’estime de soi figurant en tête de liste.

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Tu ne mentiras point

C’est sûr que dans un monde idéal, on parviendrait à s’ouvrir en deux secondes, dès que notre thérapeute nous demande comment on se sent. Mais selon TikTok, il est courant de sourire et de dire que tout va bien, même lorsque ce n’est pas le cas.

Dans un article de Bustle, la journaliste Carolyn Steber s’est amusée à compiler quelques réflexions sur la question publiée sur le populaire réseau social.

Par exemple, la créatrice @makenzyksmith a admis qu’elle répond aux questions de son thérapeute de manière à la présenter sous son meilleur jour.

Au lieu d’être honnête, elle donne la réponse qui lui semble « correcte », même si elle sait que ce n’est pas toute la vérité.

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Pour sa part, @carlabezanson explique que son thérapeute pense qu’elle est épanouie et qu’elle va très bien, mais c’est seulement parce qu’elle choisit de formuler quelques petits mensonges de temps à autre. En réalité, son thérapeute ne sait pas ce qui se passe dans sa vie.

Un coup d’œil à la section commentaires révèle que beaucoup de gens font la même chose. Par exemple, une personne affirme ne pas vouloir se sentir « jugée par [son] thérapeute », tandis qu’une autre écrit carrément : « Je veux faire plaisir [à ma psy]. Je veux qu’elle ait l’impression de bien faire son travail. »

Pourquoi on ment?

Au fil de leurs recherches, les chercheur.euse.s en psychologie, Jacqueline Patmore et Barry Farber, cités plus tôt, ont découvert plusieurs raisons qui peuvent pousser une personne à mentir à son ou sa psy. La plus courante? La honte.

@imanisun I always confess eventually 👉🏾👈🏾 #therapy #confess #vulnerable ♬ She Knows – J. Cole
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« La honte s’est avérée être la raison de non-divulgation la plus souvent invoquée, en particulier la honte du corps, la honte du comportement pathologique et la honte du jugement anticipé du thérapeute », révèle leur étude publiée dans la revue Taylor & Francis Online.

En parallèle, la recherche de l’approbation et le désir de plaire constituent les deux justifications les plus couramment évoquées sur TikTok.

Certaines personnes désirent que leur psy « soit fier.ère d’elles » et souhaitent être perçues comme agréables, drôles, gentilles, résilientes, etc., par leur thérapeute, et parfois même, ne pas les « déranger ».

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D’autres voudront rassurer leur thérapeute en simulant ou en amplifiant des progrès et ainsi, le ou la conforter dans ses compétences.

Selon Carrie Torn, une thérapeute basée en Caroline du Nord citée dans l’article de Bustle mentionnée précédemment, il existe plusieurs autres raisons pouvant motiver les gens à mentir à leur thérapeute.

« Dès que nous disons quelque chose à voix haute, cela peut sembler devenir plus réel et plus vrai », explique-t-elle au site web américain. « Dans ce cas, il est plus facile de parler de choses légères, afin de ne pas avoir à aborder des sujets délicats. »

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La honte, le déni et le désir de plaire : ces justifications résonnent chez Stéphanie. « Je pense que, effectivement, j’avais honte d’avoir eu une rechute de mon trouble alimentaire, mais aussi, j’avais l’impression qu’en en parlant à voix haute, ça devenait vrai », constate la jeune femme, qui a fini par s’ouvrir sur son expérience à sa psy.

« C’est pas tant que je voulais cacher la vérité, je n’étais juste pas prête à faire face à la réalité. I guess que j’étais dans le déni. »

D’après Carrie Thorn, il est également courant d’omettre certains faits jusqu’à ce que l’on soit à l’aise avec son ou sa thérapeute. « Ça prend parfois un certain temps pour prendre le pouls et s’assurer que l’on est dans un safe space avant de parler de son passé ou de révéler des secrets plus sombres », fait valoir l’experte américaine.

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Enfin, les études démontrent que certain.e.s patient.e.s optent pour le mensonge par peur des conséquences que la vérité risquerait d’engendrer : ouverture d’une boîte de Pandore, établissement d’un diagnostic, changement de médication ou de stratégie thérapeutique, hospitalisation, etc.

En règle générale, certains thérapeutes sont très conscients de cette tendance et décèlent les mensonges ici et là. Plusieurs d’entre eux en témoignent d’ailleurs sur TikTok.

Le mensonge est-il la meilleure stratégie?

Appelons un chat un chat : consulter un.e thérapeute, en 2024, c’est un privilège. Alors qu’au Québec, le tarif d’une séance de psychothérapie de 50 minutes varie généralement entre 120$ et 180$, les listes d’attente en santé mentale, elles, s’allongent.

Sachant cela, mentir en thérapie, n’est-ce pas contre-productif?

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Les experts précédemment cités s’entendent pour dire que le fait d’avoir occasionnellement recours à ce type de stratégies est parfaitement normal. Avoir honte, ne pas se sentir prêt.e à faire face à la réalité, peur des conséquences ou désir de plaire : ça peut arriver, c’est humain.

Par contre, si on commence à réaliser qu’il s’agit d’une habitude récurrente, il est recommandé d’en faire part à son ou sa thérapeute. Ainsi, ce dernier ou cette dernière pourra prêter attention à ce pattern, et même, l’indiquer quand il survient.

De plus, si vous préférez ne pas aborder un sujet spécifique pour le moment (ou jamais), il est tout à fait acceptable de le dire plutôt que de mentir sur votre état réel.

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« Rappelez-vous que les objectifs que vous avez en thérapie sont VOS objectifs », fait valoir Carrie Torn, en entrevue avec Bustle. En effet, vous pouvez être honnête avec votre thérapeute au sujet des choses dont vous ne voulez pas discuter ou dont vous n’êtes pas encore prêt à parler. « Un bon thérapeute suivra votre rythme. Il pourrait également être utile de dire à voix haute chaque fois que vous ressentez l’envie de mentir. Après l’avoir nommé, votre thérapeute pourra vous aider à explorer plus en profondeur cette impulsion et vous aider à briser cette habitude. »

Ceci étant dit, dans certains cas, il est possible que vous réalisiez que vous n’êtes pas entièrement à l’aise avec votre thérapeute et que vous préfériez poursuivre la démarche avec un.e autre spécialiste. Ça aussi, c’est légitime.

Après tout, l’un des objectifs de la thérapie n’est-il pas de à baisser la garde et de se sentir en confiance?

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