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Éducatrice spécialisée le jour, détective privée la nuit
À peine ai-je mis les pieds dans sa grande cuisine lumineuse de Tétreautville que déjà, Annie Richard et moi sommes en grande discussion sur Mario Bastien, Gilles Pimparé et autres sombres individus ayant entaché la mémoire collective québécoise.
Petite, avec une démarche nerveuse et un débit formidable, elle ne cadre pas avec le stéréotype qu’on se fait d’un détective privé. Ni même celui d’un enquêteur d’une compagnie de sécurité. Elle ne ressemble à personne que je connais ni à aucune idée que je me suis faite sur le métier.
Contrairement à Sherlock Holmes, Hercule Poirot et compagnie, Annie existe pour vrai et elle aide du vrai monde. Le jour comme la nuit.
Tout le temps.
Contrairement à Sherlock Holmes, Hercule Poirot et compagnie, Annie existe pour vrai et elle aide du vrai monde. Le jour comme la nuit.
Le jour, elle est éducatrice spécialisée à la Commission scolaire de Montréal. Elle travaille auprès d’élèves de 16 à 21 ans avec une déficience intellectuelle profonde. En revenant à la maison, elle s’occupe de son fils avant de plonger dans le passé et de s’attaquer aux crimes non résolus. Son deuxième shift, comme elle l’appelle.
Quand je vous disais qu’Annie passe littéralement ses journées à aider le monde, c’est ça.
«Les gens croient que je fais ça parce que je trippe sur les meurtres, mais c’est l’inverse. Ça m’a longtemps donné des cauchemars,» m’explique-t-elle.
Je comprends ce qu’elle veut dire. Beaucoup des dossiers que Annie évoque me sont familiers. Comme elle, j’ai de la difficulté à expliquer pourquoi ça me fascine, mais ce n’est certainement pas parce qu’on a un faible pour les trucs morbides ou les humais tordus. C’est plus compliqué que ça. En appuyant sur bouton RECORD de mon iPhone, j’espère en silence qu’on trouvera les mots à deux.
Comment on devient détective privé?
Avant de continuer, je veux insister sur quelque chose. Annie est une VRAIE de VRAIE détective privée, elle ne s’est pas improvisé enquêtrice sur internet. Oui, cette profession existe toujours. Elle est régie par le Bureau de la sécurité privé et Annie détient un permis en bonne et due forme. La preuve:
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«C’est pas compliqué de passer son permis. Il y a un AEC qui se donne,» me dit Annie en étalant ses papiers officiels sur la table. «C’est trois cours. On passe au travers du Code criminel, de la loi sur l’information et autres trucs comme ça. J’ai l’ai fait pour montrer aux familles avec lesquelles je travaille que je suis imputable à un ordre professionnel. Que j’ai des responsabilités, que je ne peux pas faire n’importe quoi avec l’information qu’on me donne. J’ai pas fait ça pour flasher.»
Annie s’est lancée dans la recherche de cold cases en 2014 avec le cas des enlèvements d’Hochelaga. Le crime s’est passé près de chez elle. «À un moment donné, j’ai été obligée de prendre un break, je trouvais ça trop…lire un rapport d’autopsie d’enfant qui fait 8 pages, c’est rough.»
«Lire un rapport d’autopsie d’enfant qui fait 8 pages, c’est rough.»
Quelques années plus tard, un travailleur de la voirie s’en prendra à sa soeur sur la rue et enfermera la jeune Annie dans un cabanon pour lui «donner une leçon» après qu’elle se soit portée à la défense de sa soeur. «J’ai pensé à Sébastien Métivier à ce moment-là (ndlr: un enfant enlevé et toujours porté disparu). J’ai eu peur de finir comme ça. C’est vraiment ma bête noire, ce crime. On a été chanceuses. Le monsieur n’aura finalement pas fait de mal à ma soeur. »
Elle décide alors de se spécialiser dans les homicides et disparitions de femmes. L’organisme Meurtres et Disparition Irrésolus du Québec fera appel à ses services entre autres pour donner un coup de main avec l’enquête sur la mort de Roxanne Luce, la mère de leur président. Elle apporte immédiatement de l’eau au moulin: «Il n’avait pas l’enquête du coroner, seulement le rapport d’autopsie. Plusieurs personnes pensent que c’est la même chose». Dans ses recherches, Annie tombera sur le dossier de police complet. «Quand un cas n’est pas résolu, on pense souvent que la police avait bâclé le travail. Pas dans ce cas-ci en tout cas. C’était du beau.»
De fil en aiguille, Annie sort de l’ombre et arrive sur les réseaux sociaux sous le sobriquet «Dépoussiéreuse de crimes». On commence à l’entendre sur des balados et elle se fait un nom dans le métier. C’était le début d’une nouvelle vie.
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L’espace de travail d’Annie, chez elle.
Est-ce que ça sert à quelque chose de faire ça?
C’est bien beau rouvrir des affaires non-résolues, mais est-ce que ça change quelque chose pour les familles? Quel est l’intérêt de rouvrir de vieilles blessures auxquelles il ne semble pas y avoir de remède? «J’essaie de faire un pont qui est sain avec les familles,» explique Annie, visiblement habituée de se faire poser la question. «Je leur trouve de la paperasse objective. Après ça, des théories on peut en sortir, mais je leur déniche ce qu’ils n’ont pas. Souvent, ils ont très peu sous la main.»
«J’essaie de faire un pont qui est sain avec les familles. Je leur trouve de la paperasse objective. Après ça, des théories on peut en sortir, mais je leur trouve ce qu’ils n’ont pas. Souvent, ils ont très peu sous la main.»
Ce n’est pas l’argent non plus qui la motive. Elle travaille largement de façon bénévole. Les seuls cachets qu’elle touche sont reliés à la rédaction d’articles et à des projets de recherche. «De toute façon, je n’ai pas le droit d’être payée. Il faut avoir un deuxième permis plus onéreux pour ça. Si je voulais être payée, ce serait sous la table et je n’ai jamais été game de demander de l’argent à des familles. Parce que ce sont des familles. Ils ont juste besoin de réponses.»
Enquêter est devenu une vocation pour Annie. Trouver des réponses, connecter les familles avec l’information disponible et garder un oeil sur des crimes mis sur la glace par manque de ressources, c’est son expertise. On y trouve rarement satisfaction complète. Souvent, les coupables sont décédés depuis longtemps ou simplement disparus, mais c’est quand même possible de donner un contexte à des drames qui ont secoué des familles.
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Annie montre un exemple de rapport d’incident disponible au public.
Elle me donne en exemple l’affaire Nora Lavallée, assassinée par son conjoint Marcel Lambert à Sept-Îles en 1977. L’homme en question a été condamné à une très légère peine de prison et la DPJ lui a même redonné la garde de son fils par la suite. C’est ce dernier qui a, un jour, approché Annie pour faire la lumière sur son histoire. Même si Marcel Lambert était décédé depuis belle lurette, elle a pu retracer les circonstances de son aberrante libération et a établi des hypothèses sur les raisons qui expliqueraient pourquoi il aurait échappé, en quelque sorte, au système.
«La généalogie, c’est super important pour t’assurer que tu parles à la bonne personne. Le nom commun, c’est l’ennemi mortel du détective privé.»
Son travail lui donne aussi des habiletés inusitées. Grâce à ses enquêtes, Annie est devenue une très bonne… généalogiste! «La généalogie, c’est super important pour t’assurer que tu parles à la bonne personne. Le nom commun, c’est l’ennemi mortel du détective privé.»
En fin d’entrevue, je demande à Annie son avis sur le cas Julie Surprenant. Un mystère qui me hante encore aujourd’hui. Elle m’explique qu’il y avait un suspect important, qu’il aurait même fait des aveux sur son lit de mort, mais que parce qu’il était en période de vulnérabilité, on ne pouvait pas prendre cet élément en considération. Bref, une piste qui se termine en cul-de-sac.
Les pistes, les hypothèses ou les réponses pas claires, même si elles ne sont que ça, peuvent faire du bien. C’est pour ça que le travail d’Annie est important. Le pire ennemi des familles injustement endeuillées, c’est l’oubli. Parfois, la résolution est impossible, mais ça aide de comprendre ce qui s’est probablement passé.
Tout d’un coup, je me sens moins coupable de m’intéresser aussi aux crimes du passé.
Je vous invite à lire le site d’Annie et à la suivre sur Facebook si ça vous intéresse aussi. C’est important.