« Gargarise cinq secondes dans la bouche, puis cinq secondes dans la gorge, à deux reprises en gardant ton masque », explique l’infirmière à Antonella, une employée de la SAAQ assise de l’autre côté d’un panneau de Plexiglas.
Nous sommes dans les locaux de la Chambre de commerce et d’industrie de Montréal-Nord, où l’on procède au dépistage préventif des employés de l’organisme, mais aussi ceux de la succursale de la Société de l’assurance automobile du Québec, dont les bureaux se trouvent au rez-de-chaussée.
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Cette opération se déroule en marge d’un projet pilote mené par des chercheurs du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), dont l’objectif est d’essayer de prévenir les éclosions dans les entreprises essentielles de Montréal-Nord, considéré comme un quartier chaud en raison du nombre élevé de cas actifs observés (450 par 100 000 habitants au moment d’écrire ces lignes).
Depuis la semaine dernière, deux équipes du CUSM se rendent directement dans les lieux de travail pour y dépister les gens asymptomatiques.
En gros, on souhaite prévenir plutôt que guérir.
Plus besoin de se faire rentrer un coton-tige dans les narines jusqu’au cerveau, un seul prélèvement de salive est fait.
Sur quelque 6000 travailleurs considérés essentiels estimés à Montréal-Nord, les chercheurs souhaitent en dépister 2500 au sein d’une centaine d’entreprises (petites ou grandes), à raison d’une centaine par jour. L’opération devrait donc s’étaler sur environ un mois.
Supermarchés, manufactures, postes de police, cabinets d’avocats, SAQ etc.: les endroits participants le font sur une base volontaire.
Il faut dire que l’affaire est clé en main. Les équipes du CUSM se déplacent et trimballent avec eux tout l’équipement nécessaire aux tests. En plus, plus besoin de se faire rentrer un coton-tige dans les narines jusqu’au cerveau, puisqu’un seul prélèvement de salive est fait, avant d’être analysé en laboratoire. Les résultats sont transmis entre 24 et 48 heures plus tard.
Après s’être gargarisée avec la solution saline se trouvant dans une éprouvette, Antonella recrache le liquide dans un petit flacon, qu’elle reverse ensuite dans une éprouvette.
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Pas plus compliqué que ça, le dépistage ne dure que quelques minutes incluant un petit questionnaire. « Je pense que c’est une bonne idée si ça peut aider, mais je ne suis pas stressée par le virus, puisqu’on fait très attention et on a du Plexiglas partout en bas », explique Antonella, tandis que l’infirmière désinfecte déjà le bureau où elle se trouvait avant l’arrivée du/de la prochain/e employé/e.
«Plusieurs mesures nous ont aidés à survivre, mais on voit que c’est pas suffisant et qu’il faut être plus proactif»
Pour la directrice générale de la Chambre de commerce locale Noushig Eloyan, ce projet pilote constitue une « opportunité extraordinaire » de donner un coup de pouce aux entreprises de Montréal-Nord. « Plusieurs mesures nous ont aidés à survivre, mais on voit que c’est pas suffisant et qu’il faut être plus proactif », explique-t-elle, quelques minutes avant d’aller passer son propre test de dépistage.
Pour Mme Eloyan, l’objectif est simple: prévenir des éclosions en amont. Elle a toutefois dû convaincre les commerçants de son quartier d’embarquer et pas seulement ceux qui sont membres de son organisme, raconte-t-elle. « C’était pas si simple puisque plusieurs chefs d’entreprises sont déjà sous pression et craintifs », admet l’ancienne mairesse de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville.
Elle ajoute que la principale inquiétude des entreprises était de devoir isoler les employés en attendant les résultats de leur test, ce qui n’est pas le cas, surtout dans l’optique où ils ne présentent aucun symptôme et se prêtent volontairement à l’exercice.
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Une semaine après le début du projet pilote, impossible de savoir si des tests effectués ont été positifs ou si des éclosions ont été prévenues. Les chercheurs devront analyser minutieusement les résultats avant de tirer des conclusions, explique le docteur Jonathon Campbell, un des spécialistes derrière la recherche. « Avec les données recueillies, on sera en mesure de savoir quel type d’entreprise est plus à risque. Là, on doit y aller à l’aveuglette », explique le chercheur, ajoutant que les manufactures et les supermarchés sont logiquement plus à risque puisque la distanciation y est plus difficile à respecter.
Jonathon Campbell invite d’ailleurs la population à rester vigilante même si le nombre de cas baisse depuis quelques jours. « Les cas ont déjà baissé dans le passé et ça ne s’était pas nécessairement bien déroulé par la suite », rappelle le chercheur évoquant l’accalmie avant la deuxième vague.
Si le projet pilote s’avère un succès, le docteur Campbell aimerait l’étendre au-delà de Montréal-Nord.
Plus de zones rouges précises
De son côté, la coordonnatrice des services de proximité au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal collabore avec le projet-pilote du CUSM, un outil de plus dans sa croisade pour faire tester le plus de monde possible. « On dépiste présentement 800 personnes dans le jour sur notre territoire alors qu’on pourrait aller jusqu’à 3000 », souligne Cathy Dresdell, dont le CIUSSS dessert plusieurs quartiers, dont Montréal-Nord, Saint-Léonard, Saint-Michel et Ahuntsic.
Si le scénario du printemps – où les taux de positivité sont parmi les plus élevés – se répète à nouveau, la façon d’intervenir n’est plus la même, nuance Mme Dresdell. « On s’était rendu compte rapidement que bien des zones chaudes étaient circonscrites à des endroits précis lors de la première vague et c’est pourquoi des unités mobiles avaient été dépêchées. La stratégie a changé cet hiver, puisqu’on a constaté qu’on n’avait plus de zones rouges précises et que les cas étaient répandus sur l’ensemble du territoire », explique Mme Dresdell, qui invite cette fois les gens à se rendre à trois centres de dépistage ouverts sept jours par semaine.
Mme Dresdell les gens à ne pas baisser la garde, même si les derniers chiffres sont plus encourageants.
Comme M. Campbell, elle encourage aussi les gens à ne pas baisser la garde, même si les derniers chiffres sont plus encourageants. « On ne veut pas qu’ils banalisent la situation, on est encore en pandémie », résume Mme Dresdell, qui a aussi conclu un partenariat avant Noël avec la Croix-Rouge, notamment pour relocaliser temporairement des gens atteints de COVID à l’hôtel pour protéger les familles intergénérationnelles.
Et cette pandémie n’est pas vécue de la même façon par tout le monde, souligne la coordinatrice générale de l’organisme Hoodstock Cassandra Exumé, qui a fait une sortie récemment pour sensibiliser les gens aux inégalités rencontrées à Montréal-Nord. L’organisme a notamment mené un sondage auprès de 5000 résidents pour constater que plus de 90% de ceux qui ont contracté le virus n’ont ensuite obtenu aucun soutien après avoir reçu leur diagnostic.
Même le couvre-feu n’est pas vécu de la même façon, souligne Mme Exumé.
Les gens respectent les mesures, mais la pandémie est plus difficile avec des logements surpeuplés. La petite marche de soirée faisait du bien.
« Il ne tient pas compte par exemple des gens qui travaillent, ont du mal à obtenir des attestations ou vivent du profilage », constate-t-elle, ajoutant que plusieurs ménages n’ont pas Internet, ni même d’ordinateur. « Cette fracture numérique existait déjà avant la pandémie », déplore-t-elle.
Cassandra Exumé évoque également la forte proportion de résidents du quartier qui travaillent dans le milieu de la santé et qui voyagent en transport en commun pour rentrer. « Il y a une méconnaissance de la réalité d’ici. Les gens respectent les mesures, mais la pandémie est plus difficile avec des logements surpeuplés. La petite marche de soirée faisait du bien », illustre-t-elle.
En attendant de voir si la sensibilisation et les initiatives locales comme le projet-pilote du CUSM feront une différence, c’est au moins rassurant de voir que Montréal-Nord est entre bonnes mains.