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La première petite neige tombe sur la région et personne, sauf les crackpots, ont installé leurs pneus d’hiver. Ça tombe mal, puisque je dois me rendre dans une petite municipalité près de Magog, pour y rencontrer Denis Lévesque.
Comme il s’apprête à lancer un balado, je me dois d’abattre les 130 kilomètres me séparant de l’animateur-vedette, qui a été pendant seize ans à la barre d’une des émissions les plus écoutées au Québec, à LCN. Neige ou pas.
En plus, il paraît qu’il est devenu une sorte de gentleman-farmer, après avoir fait l’achat de quelques vaches Highland. Le temps de claquer des doigts pour faire semblant d’éteindre des lumières comme à la fin de son défunt show, me v’là sur l’autoroute 10 en train de braver la «tempête*».
*Bon, ça a duré 20 minutes et c’était de la neige fondante, mais j’étais en gougoune, la veille, alors c’est clairement l’APOCALYPSE.
J’arrive à l’avance et je poireaute dans le stationnement en attendant. La maison de style champêtre est magnifique. J’apprends plus tard qu’il s’agit d’une ancienne auberge, que le couple Denis Lévesque/Pascale Wilhelmy a découvert au hasard lors d’une balade dans le coin, il y a deux ans.
Pascale Wilhelmy m’aperçoit justement et vient m’accueillir avec sa chaleur habituelle.
« Denis est en train de manger ses toasts, mais tu peux entrer. »
L’intérieur est encore plus beau. Un piano au fond du salon, un vestibule campagnard, du bois en masse, plusieurs toiles et une couple de trophées Gémeaux alignés dans un meuble vitré.
Denis me tend la main entre deux bouchées de toast généreusement enduites de fromage Boivin à tartiner, un must. « Ah, c’est dommage que ça soit brumeux, sinon tu verrais l’abbaye (Saint-Benoît-du-Lac), le lac (Memphrémagog) et mes vaches dans le champs, là-bas », se désole Denis Lévesque, en pointant du doigt l’horizon noyé dans le brouillard.
Entre deux toasts
Le Robervalois de 64 ans a fière allure et un air décontracté avec son débardeur et une barbe grisonnante. On s’installe dans sa salle à manger.
Entre deux bouchées de toasts, il me raconte de long en large la genèse du podcast qu’il lance le 13 novembre prochain.
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Pas une balado ordinaire, nuance-t-il, mais un véritable show accessible par courriel aux abonnés jusqu’à trois/quatre fois par semaine.
« Ce n’est pas une émission d’affaires publiques, de variété ou de débat, mais c’est un peu tout ça en même temps », résume Denis Lévesque, qui s’est fait aménager un studio à Montréal expressément pour y enregistrer ses épisodes.
Deux studios, en fait : un plus intime pour mener des entrevues de fond et un autre pour recevoir plusieurs invités ou présenter des prestations musicales.
Le nouveau défi tombe à point. Denis Lévesque venait de signer un documentaire sur son ami disparu Jean Lapierre et 25 entrevues avec des personnalités (Guy Laliberté, Lino Zambito, Pauline Marois, etc.) à l’occasion du quart de siècle de LCN, station qu’il a d’ailleurs largement contribué à faire connaître du grand public. « J’en suis venu à la conclusion que j’aimais pas ça tant que ça, le documentaire. Pendant que je faisais mes entrevues de fond pour les 25 ans, ma fille Mimi m’a dit: pourquoi tu fais pas des podcasts, à la place? »
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Celle-là, Denis Lévesque ne l’a pas vu venir. Il regardait d’un œil distant ce qui se faisait sur ce médium, avant de s’y intéresser de plus près.
Un euphémisme. En six mois, il consomme bouliquement des podcasts d’ici, mais surtout des États-Unis, où il s’intéresse aux succès des polarisants Bill O’Reilly, Tucker Carlson et Megyn Kelly.
Suffisamment en tout cas pour être frappé d’une sorte d’épiphanie.
« J’ai compris que, pour la première fois depuis des décennies, j’allais être mon propre boss.»
En investissant ses économies et en se tournant vers le financement participatif, Denis Lévesque entend mener sa barque à sa manière. Ce qu’il a toujours fait, précise-t-il, mais sans rendre de compte et sans cravate. « J’avais jamais porté ça avant d’avoir 40 ans. C’est mon père, un ancien notaire, qui m’avait montré comment faire le nœud.»
Donner la chance aux (plus jeunes) coureurs
Le concept prend forme au fil du temps et l’animateur souhaite se démarquer. Mieux, c’est une petite révolution qu’il propose.
« On veut créer un modèle qui va servir au Québec, comme une sorte de constellation de podcasts faits par des gens de gauche ou de droite qu’on va ensuite laisser aux jeunes, parce que nous, on ne sera pas là encore bien longtemps », raconte avec lucidité Denis Lévesque, qui souhaite mettre son clout à la disposition des talents qu’il recrutera au fil du temps.
« On trouvera une place aux jeunes talents dans notre environnement, mais nous, on sera le vaisseau amiral », illustre-t-il.
Des commanditaires se greffent aussi au projet, mais l’aventure s’apparente néanmoins à un saut dans le vide pour le podcasteur en devenir.
Contrairement à d’autres étoiles de la télé (Marie-Claude Barrette, Stéphan Bureau) qui ont aussi trouvé une niche dans l’univers du balado, Denis Lévesque ira au-delà du face à face. « On veut être un pont entre la télévision et Internet. C’est un show qu’on propose », insiste-t-il, avec un enthousiasme contagieux.
La bienveillance, malgré tout
Sa frénésie est palpable. Ça frappe, chez un sexagénaire qui pourrait couler des jours heureux dans son auberge, le torse bombé d’une carrière faite de milliers d’entrevues à partir d’un large éventail d’invités, allant de Larry King à une lesbienne ex-alcoolique en fauteuil roulant. Du vrai monde, pour le meilleur et parfois le pire, mais sans le moindre soupçon de condescendance.
Denis Lévesque – récipiendaire de plusieurs prix Gémeaux en animation – s’est toujours défendu d’animer un freak show.
« Les gens, même les plus colorés, ce sont aussi des citoyens. La famille de la dame qui a été tuée par un lanceur de couteaux, on ne savait pas que ça virerait de même, mais ça a été vu des millions de fois. Et même quand on savait que ça donnerait un bon show, on s’assurait de la santé mentale de certain.e.s avant de les mettre en ondes », assure Denis Lévesque, citant au hasard un couple qui vivait avec une centaine de chiens à Rimouski, qui était avant tout démuni et dépassé par la situation.
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Même si son style invite à la caricature, Denis Lévesque préconise la bonhomie et la bienveillance dans son approche.
Et, chaque fois, sa mission reste la même: comprendre le monde dans lequel on vit. « J’ai reçu des gens qui disaient que le 11 septembre 2001 n’était pas arrivé, mais je prenais le soin d’inviter un anti-complotiste, pour offrir le contrepoids. Le but, c’est le dialogue », martèle Denis Lévesque.
Un dialogue parfois difficile à absorber pour l’auditoire. « J’ai déjà reçu une femme dont le bichon maltais avait été sodomisé par un marteau. J’ai toujours été sensible à la maltraitance des animaux et le voisin responsable avait hérité de la première peine de prison pour cruauté animale. Me semble que c’est pas rien! », lance Denis Lévesque, dont les cotes d’écoute flottaient alors dans la stratosphère. « Quand ça s’est mis à marcher tempête*, on avait environ deux millions de téléspectateurs par semaine! », rugit-il avec aplomb.
*L’expression «tempête» est clairement sous-utilisée dans la vie, merci Denis.
Aborder le malaise
Se définissant comme à gauche, au niveau de la solidarité sociale et conservateur économiquement, Denis Lévesque prône le paradoxe et les vues différentes. « Le communisme, le fascisme, le capitalisme: l’humain semble avoir besoin d’un prêt-à-porter idéologique, comme s’il trouvait difficile de perdre un peu de chaque bord », constate l’animateur, qui a aussi l’intention de donner la parole à des exclus de la société.
Denis Lévesque n’hésiterait d’ailleurs pas à recevoir des personnalités qui ont subi la cancel culture, notamment Éric Lapointe ou Julien Lacroix, sans pour autant leur donner un chèque en blanc.
« Si je recevais quelqu’un comme Didier Raoult, je poserais toutes mes questions, il pourrait se fâcher, mais je viserais plus une conversation qu’une confrontation », affirme l’animateur, qui a déjà mis fin à l’interview d’un invité qui colportait des faussetés sur le sida.
Denis Lévesque prêche par l’exemple. Récemment, il a invité Alex Nevsky à l’émission En direct de l’univers qui lui était consacrée. Rappelons que le chanteur dénoncé en marge du mouvement #MeToo a repris sa carrière musicale, loin des projecteurs. « Un membre de leur équipe (EDDL) m’a prévenu et j’ai dit que c’est exactement pour ça que je l’invite. C’est un chanteur que j’admire et après trois ans, il me semble qu’il a assez payé. »
« Il n’a pas tué personne »
C’est cette même attitude qui l’a poussé à faire appel à son vieux frère d’arme Serge Fortin (ex-VP de la salle des nouvelles de TVA), éclaboussé par une enquête sur le climat toxique dont il était apparemment responsable.
La Presse avait recueilli le témoignage d’une vingtaine d’employés qui avaient dénoncé le climat de travail difficile qui régnait dans les bureaux de TVA. Serge Fortin avait alors été remercié, à l’instar d’un adjoint principal.
L’annonce de cette nouvelle collaboration entre Denis Lévesque et Serge Fortin a fait grincer les dents de l’écrivain et chef d’antenne Michel Jean.
Dans un tweet, l’auteur de Kukum s’était dit déçu de voir Denis Lévesque s’associer à une personne renvoyée à la suite de « très nombreuses plaintes de harcèlement psychologique ».
Sans excuser les gestes reprochés à son partenaire, Denis Lévesque est d’avis qu’il a droit à la réhabilitation. « Il n’a tué personne, n’a pas fait face à des accusations criminelles et a été crissé dehors. Moi, je suis alcoolique et j’ai cessé de boire à 27 ans. Je pense que c’est noble de donner une deuxième chance à quelqu’un et Serge est le meilleur gars de médias que je connaisse », justifie Denis Lévesque.
Il ne se sent nullement coupable d’employer celui qui l’avait jadis débauché de TQS, même si des gens l’ont découragé de s’associer à lui. « D’autres m’ont félicité de l’avoir fait. Et puis, on sera juste deux. Je suis très bien capable de me défendre », tranche-t-il.
Donner la parole à tout le monde
Ne reste plus à Denis Lévesque que de faire ses preuves sur un nouveau terrain de jeu, même après plusieurs décennies de métier. « Tout le monde de l’industrie nous regarde et est sûr que ça ne marchera pas », admet le néophyte, qui entend prouver le contraire.
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Sa boîte de production est baptisée « 9 millions », en lien avec le nombre de Québécois.es qui peupleront sous peu la Belle province. « 9 Millions de Québécois.es avec des réalités, des rêves à réaliser, d’autres déçus et on veut donner la parole à tout le monde », renchérit Denis Lévesque, dont les valeurs de liberté et d’indépendance guideront le projet.
« Les cultures de Québecor et Radio-Canada s’accompagnent de quelques contraintes, mais les limites n’existent pas avec les podcasts. Même si j’étais assez libre à la télévision, ce n’était pas une liberté totale, non plus », admet Denis Lévesque, qui aimerait attirer autant ses auditeurs de TVA que ceux qui avaient des à priori envers lui et la télé traditionnelle.
« Les temps ont changé, même ma belle-mère de 90 ans va sur Facebook, maintenant. »
Denis et Hubert Lenoir
On sent que Denis Lévesque a envie de se lâcher lousse. Une bonne partie de son projet devrait d’ailleurs être consacrée à la musique, une de ses passions. Faut-il rappeler que l’animateur avait surpris ses plus fervents détracteurs en poussant la chansonnette le temps de deux albums, notamment avec une chanson en hommage à sa maman atteinte d’Alzheimer.
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Il aimerait se faire le cadeau de recevoir des idoles comme Michel Sardou et des artistes plus émergents dont il admire le travail, comme Aliocha Schneider, ou encore Hubert Lenoir qui lui avait rendu une forme d’hommage dans une capsule d’URBANIA. « Il y a deux ans, il m’a salué sur la rue à Québec et voulait un selfie. C’est un jeune homme fascinant, qui me rappelle le style d’Elton John, au début de sa carrière.»
Si son arthrite l’empêche désormais de gratter la guitare, il affectionne son piano, sur lequel il me montre brièvement son savoir-faire.
«Je trouve ça beau»
Il est bientôt l’heure de partir. Denis doit aller à Montréal attacher les derniers fils de son projet avant le lancement.
Je demande où sont les toilettes. « T’as le choix, il y en a huit! », rétorque-t-il. L’auberge est un endroit hautement familial où les enfants de Denis (2) et de Pascale (2) ont chacun leur chambre.
Mais bon, j’ai pas fait toute cette route pour passer à côté de ces damnées vaches dont il m’a parlé avec tant de ferveur. C’est encore brumeux dehors, les bovins sont hors de vue.
«Ah, je les vois! », lance enfin Denis, en apercevant les bêtes brouter au loin, sur le terrain du voisin d’en face. C’est ce dernier qui gère les vaches. Un win-win situation: « Nous, on voulait en acheter et lui voulait juste s’en occuper.»
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Le couple a acheté deux vaches et un taureau. La nature s’est occupée du reste. Deux veaux plus tard, les femelles Highland seraient à nouveau enceintes. Mais c’est quoi le trip, au juste? « C’est vraiment le contact avec la nature. Le matin, je m’assois sur mon terrain et je les regarde. Je trouve ça beau.»
Son amour dans le pré est palpable. En approchant de son troupeau dans le champ inondé, Denis ressemble à un enfant dans un carré de sable. « Hey, cocotte! Viens ici! », lance-t-il à l’attention d’une imposante femelle, qui s’approche flanquée du reste de son troupeau.
Qu’on l’aime ou non, Denis Lévesque est beau à voir aller sur le plancher des vaches.