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Démunis devant la rentrée

Une « Opération Sac à dos » record pour le Regroupement Partage

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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L’année chaotique marquée par la pandémie et des pertes d’emplois à la pelle se fait sentir jusque dans la rentrée scolaire. Le Regroupement Partage en sait quelque chose : cette année, l’organisme derrière l’Opération Sac à dos, qui distribue nourriture et fournitures scolaires aux écoliers montréalais, a vu sa fréquentation bondir de manière fulgurante dans les dernières semaines. L’an dernier à pareille date, c’est 4700 enfants qui bénéficiaient de l’initiative; cette année, ce nombre est passé à 6000.

« On a 2-300% plus de demandes qu’avant la pandémie dans certains quartiers », calcule Sylvie Rochette, la co-fondatrice et directrice générale de l’organisme montréalais, citant notamment Villeray et Hochelaga-Maisonneuve parmi les zones les plus touchées.

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Ses troupes n’ont pas chômé pour approvisionner en effets scolaires et denrées les organismes mandatés (baptisés Magasins-Partage) dans 19 quartiers montréalais, accueillant depuis lundi les familles dans le besoin. Une armée de bénévoles a trimé dur pour préparer les 6000 sacs d’école, avant de les éparpiller dans la vingtaine de points de service.

Sylvie Rochette me donne rendez-vous dans l’un d’eux, La Corbeille, un organisme spécialisé en sécurité alimentaire de Bordeaux-Cartierville.

COVID-19 oblige, les dons s’effectuent à la porte, suivant des horaires préétablis.

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De grosses journées

À mon arrivée en début d’après-midi, plusieurs familles font la file à l’extérieur sous un soleil de plomb. À l’intérieur, l’employé Assia semble débordée, distribuant les effets scolaires aux familles inscrites.

« Vous n’êtes pas sur ma liste madame. Vous deviez vous inscrire pour avoir droit aux effets scolaires, je suis désolée », explique-t-elle, empathique, à une dame déçue, par le truchement d’un interphone à l’entrée, illustrant du même coup la demande croissante.

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Contrairement aux éditions antérieures de l’Opération Sac à dos, les élèves ne peuvent pas «magasiner» eux-mêmes leurs sacs d’école à l’intérieur ni leur couleur de cartable. « On y est allé avec les généralités: duo-tangs, feuilles mobiles, cahiers Canada, cartables, règles, gommes à effacer, crayons. Les deux tiers vont aux élèves du primaire, les autres au secondaire », énumère Sylvie Rochette, qui ajoute avoir doublé l’épicerie de l’an dernier pour répondre aux besoins criants, soit offrir l’équivalent de deux épiceries sur deux semaines.

Une première épicerie est offerte en même temps que les effets scolaires, par une autre porte située sur le côté du bâtiment.

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« Avec la pandémie, on a ajouté des masques réutilisables et 600 gourdes d’eau parce que les fontaines seront fermées », ajoute Mme Rochette.

Le chef des opérations à La Corbeille François Hébert calcule une hausse des demandes d’environ 30% par rapport à l’an dernier. « Au total, on va distribuer 370 sacs d’école pour environ 180 familles du quartier », souligne-t-il, mentionnant que plusieurs semblent avoir perdu des emplois parmi les visiteurs.

Autour de lui, les employés de l’organisme n’ont pas une minute de répits. Trois femmes préparent des sandwiches dans la cuisine à l’arrière, pendant qu’une poignée d’autres s’activent à la distribution.

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des Donateurs devenus bénéficiaires

Au milieu de la file, Aitha vient cueillir pour la première fois un sac d’école pour son fils qui se prépare à entrer en deuxième année. « C’est l’organisme La Maison des parents qui m’a suggéré de venir ici », souligne la Marocaine d’origine, au Québec depuis deux ans.

Marie-Justine, elle, est arrivée du Cameroun avec sa famille il y a neuf mois à peine. « J’ai trois enfants, mais il n’y a que ma fille qui va à l’école », raconte la jeune femme, en recherche d’emploi comme son mari. En attendant, elle se dit reconnaissante d’obtenir de l’aide alimentaire et un sac d’école. « L’aide alimentaire, ça n’existe pas au Cameroun, chacun se débrouille », résume-t-elle.

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Sylvie Rochette explique travailler en partenariat avec différents intervenants, dont le milieu scolaire, pour arriver à tendre la main aux gens. « Dans plusieurs cultures, ce n’est pas évident de demander de l’aide », observe-t-elle, ajoutant que la pandémie avait modifié le visage de la pauvreté.

Certains donateurs sont devenus des bénéficiaires. Quand on disait que la pauvreté n’avait pas de visage, les gens prenaient ça avec un grain de sel. Là, c’est vrai plus que jamais.

Aux clients réguliers, s’ajoutent ceux qui expérimentent la précarité pour la toute première fois. « Certains donateurs sont devenus des bénéficiaires. Quand on disait que la pauvreté n’avait pas de visage, les gens prenaient ça avec un grain de sel. Là, c’est vrai plus que jamais », constate Mme Rochette, ajoutant que certaines situations sont difficiles à absorber pour les intervenants sur le terrain.

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Elle offre d’ailleurs un coup de chapeau au milieu communautaire, « qui s’est retourné sur un dix cennes » pour faire face aux nombreux défis nés de la pandémie. « J’ai vu de la solidarité sur le terrain comme j’en ai jamais vu, une générosité sans faille. Mais cette générosité a des limites, malheureusement on ne peut pas donner ce qu’on a pas », laisse tomber Mme Rochette, qui invite les gens à faire des dons pour étendre l’aide aux familles démunies. « Il n’y a pas que des sacs d’école. Les élèves ont aussi besoin de souliers, de manteaux, de passes d’autobus », résume-t-elle, ajoutant que la victoire sur la pauvreté passe par l’éducation.

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À l’entrée, Assia reprend un peu son souffle alors qu’achève le rush de cette première journée de distribution, rêvant du jour où aucune famille ne fera la file devant elle à la veille de la rentrée scolaire.

Mais pour l’instant, son répit sera de courte durée: demain, le branle-bas reprendra.