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Dans ses plus grandes années sur scène, il baissait son pantalon pour montrer ses fesses et lançait des invectives aux gouvernants. Michel Martelly, chanteur aujourd’hui président d’Haïti, était le véritable roi du carnaval annuel, plus grande rencontre culturelle haïtienne où toutes les dérisions sont permises. Maintenant en situation de pouvoir, il a affirmé vendredi dernier avoir téléphoné personnellement au comité organisateur du carnaval 2013, qui se déroule en ce moment, et fait retirer de la liste d’invités au moins un groupe critique de son gouvernement.
La presse internationale a rapporté la nouvelle, comme Radio-Canada, Fox News ou ABC News. Alors que le plus célèbre ex-dictateur Jean-Claude Duvalier fait face ce mois-ci à la justice haïtienne, les défenseurs de la liberté d’expression ont repris le flambeau. Même l’éditorialiste du seul quotidien haïtien ne se gêne plus pour parler explicitement de censure, expression aux résonnances douloureuses.
Il y a un mois, le comité organisateur de l’évènement avait publié la liste de la dizaine de groupes invités au carnaval. Une nouvelle liste révisée a été publiée quelques jours plus tard, sans que le comité soit en mesure d’expliquer ce revirement. Le groupe reggae Brother’s Posse avait disparu de la liste. L’entrevue accordée par le président Martelly à une radio de la capitale vendredi dernier a permis de mieux comprendre ce qui s’est passé.
Malgré sa chanson carnavalesque parmi les plus populaires, l’absence de Brother’s Posse n’est peut-être pas en soit un phénomène étonnant. Le carnaval, inspiré d’une tradition créée par le père de Jean-Claude Duvalier, a toujours servi aux gouvernements pour avaliser leurs actions. Pour cette raison, on a d’ailleurs souvent reproché à Martelly sa participation aux carnavals sous la dictature qui a renversé le premier gouvernement démocratiquement élu de Jean-Bertrand Aristide au début des années quatre-vingt-dix.
Le groupe Boukman Eksperyans n’avait pas non plus été sélectionné en 1998 avec sa chanson qui traitait du problème de boisson du président démocratique de l’époque. De retour cette année avec une chanson encore plus critique, le chanteur de ce groupe avouait que leur présence au carnaval était avant tout une question d’argent: les commanditaires doivent financer les artistes et leur char allégorique. Ce groupe de musique « racine » a finalement participé in extremis aux célébrations hier.
Devant ceux qui lui reprochent de vouloir contrôler le carnaval, Martelly a reconnu personnellement son implication, qui n’était pas proscrite par la loi. Cet aveux montre surtout comment il aime toujours provoquer, même lorsque les critiques face à son gouvernement semblent plus fortes.
Un autre aspect de l’actualité récente devraient peut-être d’avantage inquiéter les défenseurs de la démocratie haïtienne (sans parler de l’exclusion malhabile de la plus grande télévision privée du bal d’ouverture du carnaval). Un représentant de la justice haïtienne a appuyé jeudi dernier une demande déposée contre les victimes du régime de Duvalier.
Le ministère de la justice appuie une requête de Duvalier
« Ferme ta gueule », a lancé en pleine séance Bobby Duval à l’avocat de Duvalier, obligeant le juge à lui exiger des excuses. Jeudi dernier, la salle d’audience était surchauffée. Avouant après coup avoir été porté par l’émotion, ce plaignant dans l’affaire Duvalier aurait passé 14 mois dans la prison de Fort-Dimanche où s’est déroulée une grande partie des atrocités associées à ce régime chassé du pouvoir en 1986.
L’avocat principal de Duvalier, Maitre Reynold Georges, argumentait que la partie civile – les personnes qui ont porté plainte contre Duvalier pour crimes contre l’humanité – n’avait pas de provision légale pour siéger à l’audience. Si la tentative peut sembler normale venant d’un avocat voulant défendre son client, il en est tout autrement du Ministère public, équivalent haïtien du Procureur de la couronne, qui s’est rallié à l’argumentaire des représentants de Duvalier. Le Ministère poursuit Duvalier pour crimes économiques et association de malfaiteurs, mais ne juge pas utile ou légale la présence des plaignants partageant pourtant avec lui une « certaine communauté d’intérêts », comme le souligne Maitre Pascal Paradis, président d’Avocats sans frontières Canada, qui offre un support technique aux plaignants.
Les juges n’ont finalement pas accepté à la demande. Ils ont permis aux avocats des plaignants de continuer à sièger.
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Si le carnaval se clôt après-demain avec autant de succès que celui de l’année dernière, tous ces scandales auront été vite oubliés. L’amélioration des infrastructures nécessaires au carnaval et les conséquences positives sur l’économie de la région du Cap-Haïtien pourraient s’étaler sur plusieurs années. D’où l’importance pour le président haïtien d’assurer le bon déroulement du carnaval. On espère aussi réussir à oublier ce costume kitch d’inspiration néocoloniale* porté samedi par le président dans le bal inaugural.
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*La fête était était en l’honneur du roi Christophe.