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Decypher : un premier documentaire sur l’histoire du breakdance à Montréal

« Si tu danses pas, t’es wack! »

Par
Jean Bourbeau
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Bien avant l’annonce de son intronisation aux Jeux olympiques de Paris en 2024, le break fut d’abord et avant tout une sous-culture issue de la rue, méconnue, car bien plus souvent admirée de loin que de proche.

Popularisé à New York au courant des années 70, le mouvement s’est emparé de Montréal quelques années plus tard, s’implantant en une riche tradition encore active à ce jour.

La scène de la métropole n’avait pourtant jamais fait l’objet d’un documentaire avant l’initiative de Bboy Fléau, un jeune danseur bien connu de la communauté locale. Le réalisateur présentera ce jeudi le fruit de trois années de travail, son long-métrage intitulé Decypher.

Je me suis entretenu avec l’artisan, Léo Caron de son vrai nom, pour en apprendre davantage sur ce singulier projet.

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La genèse

Rendez-vous en soirée dans Villeray, où l’on s’installe sur une terrasse cachée derrière un barbershop qu’il vient de fermer pour la journée. On craque deux canettes.

« En 2019, j’étais blessé et je ne pouvais plus aller à fond dans la danse, raconte Bboy Fléau. Je voulais explorer ma discipline et son histoire, comprendre d’où venait la scène que je connais. Depuis mon enfance, j’entends des noms d’une autre époque. Je voulais rencontrer ses premiers acteurs parce que le break est basé sur une chaîne d’inspirations. Ce film-là est en fait un hommage aux pionniers. »

Le contexte semble idéal pour une telle approche. Devant une commercialisation rampante éloignant le break toujours plus loin de ses racines, le documentaire décide de braquer sa loupe sur les origines de la culture à Montréal.

Mais pour ce faire, il lui fallait une caméra, de l’équipement, une expertise. Fléau propose donc l’idée à son ami Adrian Colina, un Bboy floridien qui s’y connaît en tournage. « Je lui ai pitché la prémisse, ma vision, qu’on avait accès à des archives et à une trentaine d’intervenants à Montréal, Ottawa et Toronto. Il a accepté sur le champ. On a fait ça à deux, sans compter les heures, avec peu de moyens, mais beaucoup d’amour. »

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Image tirée du documentaire

« Tu veux des vidéos? Tiens, on te fait confiance. »

Recruter des danseurs et danseuses pour les entrevues n’a pas été une tâche trop ardue : la scène est une petite communauté tissée serré. Fléau raconte que les différents acteurs et actrices lui ont fait confiance dès le début. « À part quelques-uns qui avaient quitté la scène, on se connaissait tous. Le fait que je ne sois pas un documentariste ni un universitaire, mais bien un Bboy qui voulait faire rayonner les fondements de sa scène, a été très bien accueilli. »

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Le breakeur, qui a voyagé un peu partout sur la planète dans le cadre de sa pratique, m’explique que certains danseurs des années 90 avaient encore en leur possession une tonne de cassettes. « Ils ne les auraient pas données à n’importe qui, c’est des tapes qu’ils considèrent presque sacrées, mais ils m’ont dit : “Ce projet-là, c’est celui qui a du sens.” Je suis très reconnaissant envers eux. »

Image tirée du documentaire

Le Bboy Scramble Lock, un archiviste de danse urbaine canadienne, s’est occupé de numériser des montagnes de VHS. De la révision légale à la bande sonore, Fléau précise que tout a été fait par des danseurs. « La communauté a vraiment participé à ce que le projet aboutisse. »

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Avec plus de 80 heures de matériel audiovisuel, l’un des principaux défis fut de trouver les meilleurs extraits à présenter. Un processus fastidieux pour dénicher chaque pépite cachée à travers les prestations entières.

Image tirée du documentaire

« Et il y avait des gaps dans l’histoire, souligne Fléau entre deux gorgées. Dans les années 80, il n’y avait qu’un seul crew qui avait fait du footage, y’avait rien d’autre. Il fallait essayer de ficeler un bon storytelling cohérent et tenter de dresser un portrait accessible à un public de non-initiés. Ç’a été challengeant. »

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Un pari à mon avis réussi, le film fourmillant en scènes de found footage absolument magnifiques. Du contenu hypnotique rempli de texture analogue et de haute voltige acrobatique. Des captations inédites réalisées un peu partout; dans des sous-sols, des clubs ou à même les quais de métro.

Image tirée du documentaire

Décoder une culture

Je lui demande l’origine du titre, Decypher, cryptique pour le néophyte que je suis. « Un cypher, c’est le rond de danse, l’arène informelle. C’est un classique du jargon. Decypher fait aussi référence à “decipher”, traduction de déchiffrer, décoder. En d’autres mots, mon film veut décoder la culture du break. »

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Brosser en cinquante minutes le panorama d’une culture apparue en 1984 et ayant connu des hauts et des bas impose un choix éditorial évident. « J’avais certaines réticences à mettre l’accent sur les fractures, les débats de puristes ou la polarisation autour des olympiques. La diversité d’opinions est très grande dans la scène », clame celui qui voulait davantage mettre l’accent sur une période où chaque crew représentait un style plutôt qu’un drapeau.

Image tirée du documentaire

Le style de Montréal

Fléau m’apprend que l’identité du break à Montréal s’est forgée à travers deux grandes rivalités aux visions opposées. Un duel d’influences entre un crew technique aux figures difficiles et soucieux de casser le moule, se frottant à un rival plus proche de la pure flavor, du rythme, de la musicalité, de l’esthétique à travers la finesse.

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De ce conflit est découlé le style qui caractérise Montréal aujourd’hui, un mélange marqué par une grande capacité à improviser, à se laisser aller avec fluidité et originalité.

« Le style, c’est éternel », pour citer un danseur interrogé.

Image tirée du documentaire

S’il fut un temps où le break montréalais était une scène à l’essence plus hood et intimidante, celle-ci s’est adoucie pour devenir inclusive et très chaleureuse. Une communauté de passionné.e.s avec des pratiques hebdomadaires, de DG au parc Jarry. « Nous sommes tous soudés autour d’une obsession commune. On voit un plancher lisse et il y a quelque chose qui nous appelle », rigole Fléau.

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Decypher vient s’assurer qu’au temps prochain de la spectacularisation olympique du break, on puisse se rappeler de l’ère où cette danse de la rue était un art régi selon ses propres règles, aussi sauvagement musical qu’imprévisible.

Un film à propos des débuts, important et nécessaire.

Image tirée du documentaire

Decypher sera présenté en grande première au cinéma Impérial le jeudi 28 juillet 2022 à 18 h 30.
Admission gratuite avec réservation jusqu’au 27 juillet 2022.

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Le documentaire sera par la suite disponible sur la chaîne YouTube JACKALOPE TV.