.jpg)
Déclaration de Philippe Bond : des propos qui « invalident les personnes qui témoignent »
« Je suis atterré par ce que je viens de lire. Je ne reconnais pas la personne qui est décrite dans cet article. Par respect pour mes collaborateurs et employeurs qui me côtoient depuis des années et parce que je veux leur éviter de répondre à une avalanche de questions des journalistes, je me retire de tout […]. Je dois protéger et prendre soin de mes proches mais surtout je dois être là pour mes enfants et ma femme. Penser à ce qu’ils auront à vivre avec moi me bouleverse car il n’y a rien de plus important pour moi qu’eux. »
C’est là un extrait de la déclaration de Philippe Bond, publiée jeudi sur Instagram, à la suite d’allégations d’inconduites sexuelles révélées dans un reportage de La Presse.
Dans cette enquête, on découvre les témoignages de huit femmes affirmant « avoir subi une forme ou une autre d’inconduite sexuelle aux mains de […] l’humoriste Philippe Bond, entre les années 2006 et 2015 ». Quatre d’entre elles témoignent à visage découvert.
Philippe Bond semble nier ce qui lui est reproché, ne faire aucune introspection et se place en posture de victime. Du moins, c’est ce que laisse entrevoir sa publication Instagram.
« Ce qui saute aux yeux, c’est que la réaction de Philippe Bond est profondément invalidante. Elle nie toute la douleur et la souffrance qu’il a pu causer, malgré les déclarations très détaillées de huit femmes », constate d’emblée Juliette Bélanger-Charpentier, candidate à la maîtrise en criminologie à l’Université de Montréal. « Bien sûr, d’un point de vue purement judiciaire et légal, ce ne serait pas à son avantage d’admettre ses torts publiquement pour le moment. »
On sait que l’humoriste est représenté, et donc probablement conseillé, par un avocat dans la gestion de la crise.
Malgré tout, la déclaration de Philippe Bond laisse perplexe : devant tant de témoignages (bien qu’un seul aurait suffit), pourquoi un tel refus apparent de se remettre en question?
prendre le contrôle du narratif
« C’est intéressant de porter attention au vocabulaire employé dans sa déclaration, remarque Juliette Bélanger-Charpentier. Des mots comme “respect”, “protéger”, “prendre soin”, “mes enfants et ma femme”, sont très appuyés. »
Selon la déclaration, si Bond se retire de la vie publique, ce n’est pas par respect pour ses présumées victimes, mais bien pour la paix de son entourage familial et professionnel.
Pour la candidate à la maîtrise, qui publie régulièrement du contenu en lien avec les violences à caractère sexuel sur son compte Instagram, tout ce lexique laisse croire que Bond tente de se positionner à la fois comme victime et maître du narratif. En effet, selon le message, si Bond se retire de la vie publique, ce n’est pas par respect pour ses présumées victimes, mais bien pour la paix de son entourage familial et professionnel.
« Le texte laisse entendre que s’il quitte la vie publique, c’est pour éviter de faire vivre de la souffrance aux autres, alors que ce qui lui est reproché, c’est justement d’avoir lui-même fait du mal autour de lui à travers les années », fait valoir Juliette Bélanger-Charpentier, soulignant l’incohérence de ce raisonnement.
Ainsi, la jeune femme estime que Philippe Bond place sa perception au-dessus de celles des autres. En outre, il n’annonce pas de processus d’introspection ni de temps de réflexion.
« Ne pas reconnaître ses torts lorsqu’on cause de la souffrance s’inscrit dans une large continuité de prise de pouvoir sur les personnes victimes/survivantes. […] Nier la douleur causée devant une myriade d’accusations de la même nature traduit un désir de contrôle du narratif et de domination sur l’autre », a justement écrit Juliette Bélanger-Charpentier sur Instagram.
Instrumentaliser la famille
Parmi les mots et les idées mis de l’avant dans la déclaration de Philippe Bond, je note le lexique de la famille – « Je dois protéger et prendre soin de mes proches […] être là pour mes enfants et ma femme » –, une avenue qui a également fait réagir l’autrice, militante et maman Mélodie Nelson.
« Il se place même dans la posture du bon père de famille, du sauveur qui doit bravement défendre les siens. »
« Hier les dernières phrases de Philippe Bond, sur les réseaux sociaux, ont provoqué chez moi une réaction physique. Je l’ai lu avec mon corps. Je ne l’ai pas répété dans ma tête. Les mots les signes les valeurs familiales, c’est mon corps qu’ils ont occupé. […] Retourner contre les personnes qui témoignent cette immense culpabilité, celle de blesser un enfant, est une autre violence », écrit-elle sur sa page Facebook vendredi matin.
L’humoriste choisit manifestement de se positionner en bon père de famille, en mari aimant et en courageux protecteur, pour le moins victime d’une tempête que lui et ses proches subissent, alors que huit femmes disent qu’il en est plutôt la source.
« Il se place même dans la posture du sauveur, de celui qui doit bravement défendre les siens, poursuit Juliette Bélanger-Charpentier. Je trouve que ça donne une idée d’où il est, ou d’où il n’est pas, dans son cheminement. »
La reconnaissance des torts : la base
« Faute avouée est à moitié pardonnée », dit l’adage.
Pour l’instant, aucune plainte n’a été déposée contre Bond, bien que l’une des femmes citées dans l’enquête de La Presse dise vouloir aller de l’avant. Mais qu’un processus judiciaire ou pas s’invite dans le paysage, reconnaître ses torts a un effet direct sur les victimes, ici présumées.
« La reconnaissance des torts est l’une des avenues les plus réparatrices qui soient. »
« Le rôle de la reconnaissance des torts, c’est de dire : “Ce que tu as vécu, je reconnais que j’en suis la cause, que j’en suis la source, et je comprends que j’ai le pouvoir d’agir pour ne pas que cela se reproduise”, explique Juliette. C’est surtout une manière de valider les émotions de la personne qui dit avoir subi un préjudice. C’est sans contredit l’une des avenues les plus réparatrices qui soient. »
Selon elle, la reconnaissance des torts est la base, le point de départ du processus de guérison de beaucoup de personnes victimes et survivantes d’agressions à caractère sexuel, mais aussi, de la réhabilitation des personnes ayant posé des gestes répréhensibles.
« C’est la même chose pour une personne aux prises avec des problèmes de toxicomanie : tant qu’elle ne reconnaît pas qu’elle a un problème, c’est très difficile d’entamer un processus de réhabilitation », exemplifie Juliette..
Quel impact sur les victimes et les survivantes?
À la lecture de la publication de Philippe Bond, je n’ai pu m’empêcher de penser aux huit femmes qui ont pris la parole, à visage découvert ou non, dont je salue le courage.
Je me permets de souligner également le courage de toutes celles qui, pour des raisons qui leur appartiennent, auraient choisi le silence.
« La victimisation secondaire, c’est les émotions vécues par une personne victime de violence, qui voit son expérience niée ou minimisée. »
« Bien sûr, des propos comme ceux que tient Bond invalident, minimisent et humilient les personnes qui témoignent », croit Juliette, en insistant sur le potentiel profondément traumatisant de telles déclarations pour de nombreuses personnes qui ont vécu des agressions à caractère sexuel. Pour la jeune femme, tout cela génère un climat d’insécurité pour toutes les personnes qui souhaiteraient éventuellement dénoncer leur agresseur.
On peut aussi supposer que pour celles qui auraient pu subir une forme ou une autre d’inconduite sexuelle aux mains de Philippe Bond, le post Instagram de l’humoriste, qui nie les faits qui lui sont reprochés, a dû engendrer ce qu’on appelle une victimisation secondaire ou seconde victimisation, explique Juliette Bélanger-Charpentier.
« La victimisation secondaire, c’est les émotions vécues par une personne victime de violence, qui voit son expérience niée ou minimisée, précise-t-elle. Ce sont de grandes occasions de souffrance et nous en avons ici un bon exemple. »
Pour ma part, j’ose espérer que la suite des choses ne soit pas faite d’un podcast engagé, d’une invitation à faire un don à une œuvre de charité et d’un retour dans la sphère publique dans deux ans, presque comme si de rien n’était.