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Déclaration d’amour à notre Québec kitsch
Plaisir coupable? Ironie? Nostalgie? Chez URBANIA, on trippe sur le kitsch. Mais pas autant que Roxanne Arsenault et Caroline Dubuc, qui viennent de publier un irrésistible ouvrage sur les restaurants et bars-salons kitsch des années 50-80 à travers la province. Un livre bourré de photos, d’anecdotes, d’oranges disproportionnées et de morceaux d’histoire du Québec.
La première est codirectrice du Centre d’art et de diffusion CLARK, la seconde est commissaire au design pour la Ville de Montréal. Ensemble, elles sont amies depuis 2008 et en ont long à dire sur cette esthétique un peu «spéciale».
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URBANIA: Vous êtes deux expertes en art et en design, qui se passionnent pour un genre que beaucoup associent au «mauvais goût». C’est pas un peu drôle?
Roxanne Arsenault: Il y a des gens qui sont très «less is more», mais moi, je suis plutôt «more is more»! Sans rire, le kitsch, c’est fondamentalement quelque chose que je trouve beau, et surtout beaucoup plus excitant que la plupart des environnements que je vois aujourd’hui. Quand je rentre dans un univers de couleurs, de textures, d’exubérance, où on a mis de l’énergie pour faire quelque chose de spécial, pour me faire voyager… Moi, je suis down, je suis complètement vendue.
Il y a des gens qui sont très «less is more», mais moi, je suis plutôt «more is more»!
Mais ce qui a été intéressant à travers mes études et à travers le livre, c’est de découvrir tout ce qu’on peut apprendre au niveau historique à travers ces lieux-là. Ils nous plaisaient à un niveau sensoriel, mais ils nous ont aussi appris plein de choses au niveau patrimonial et identitaire.
Caroline Dubuc: Le kitsch qui est représenté dans ce livre, ce n’est pas juste une lampe en léopard à froufrous placée quelque part pour l’épate. C’est beau, un objet kitsch! Mais c’est différent d’un restaurant, où, par exemple, le propriétaire s’est donné de la peine pour mettre sa culture d’origine de l ’avant.
À l’époque, certains clients venaient là pour être dépaysés, mais d’autres venaient aussi pour retrouver un petit morceau de chez eux. Les Gaspésiens, par exemple, fréquentaient des bars à thème maritime lorsqu’ils s’ennuyaient de leur région, qu’ils avaient quittée pour les études ou le travail.
Un passage du livre qui fait réagir, c’est celui qui montre de vieilles représentations de la culture autochtone par des propriétaires blancs. Le style «cowboys et Indiens», ça secoue!
R.A.: C’est une section sur laquelle on a beaucoup discuté et tergiversé. C’est une représentation qui est problématique et on le reconnaît dans le livre. Par contre, elle fait partie de notre histoire et ça aurait été bizarre de ne pas en parler. On a décidé d’aborder cette représentation en l’expliquant et en la mettant en contexte.
C.D.: C’était peut-être gauche et naïf, mais d’après ce qu’on a lu, on comprend que les propriétaires de l’époque voyaient ça comme une représentation «chic» et «classe» d’un volant de l’histoire. C’est sûr qu’on regarde ça aujourd’hui avec un œil totalement différent. Un gros tipi en béton à côté d’une maison traditionnelle, ça surprend énormément! C’est une représentation stéréotypée et grossie, mais c’est aussi ça, le kitsch.
En faisant la recherche pour ce livre, vous avez dû faire des rencontres colorées…
R.A.: On a fait des découvertes assez extraordinaires! Notamment Fawzia Amir, qui était cette propriétaire du Club Sahara dans le centre-ville. Une femme arabe propriétaire de night-club dans les années 60, il fallait le faire! Il y a plein d’anecdotes super intéressantes sur elle. [N.D.L.R. Un de ses stunts publicitaires fut de promener, rue Atwater, un chameau qu’elle avait reçu de la part d’un admirateur secret égyptien!]
C.D.: On a travaillé avec beaucoup de collaborateurs pour ce livre. Il y avait entre autres des stagiaires de l’Université Laval à Québec, qui ont pu rencontrer le désormais célèbre Roger «Cha-Cha» Dulude. Il était danseur à un moment donné, puis s’est lancé dans la restauration et les bars thématiques, et a fait impression avec le Bam-Boo Steak House à la Place Laurier. Il dit que c’est lui qui a amené le 5 à 7 à Québec! C’était hyper populaire, un lieu qui avait tous les ingrédients pour faire de belles fêtes. Et lui-même avait une personnalité flamboyante comme pas possible. On est contentes, parce qu’on a une super photo de lui qui accueille ses clients avec des cocktails dans des ananas.
R.A.: Moi, j’ai pu parler avec les enfants de Bill Wong. Le Bill Wong, c’était très important à Montréal. Sa famille dit que c’est lui qui aurait inventé le buffet chinois, c’est pas rien! C’était un lieu énorme, à côté de l’orange Julep, sur plusieurs étages, avec plein de salles thématiques. Sa famille a été très généreuse et m’a donné une foule d’informations. Moi, ça me fait vraiment plaisir d’asseoir cette mémoire-là, de faire en sorte que ça soit inscrit dans l’histoire.

Ça fait partie de votre démarche en arrière de Kitsch QC, la mémoire et la conservation d’un patrimoine qui disparaît peu à peu.
R.A.: C’est vraiment l’intention du livre, faire connaître ces lieux-là et leur redonner un peu plus de noblesse. On voulait en répertorier le plus possible, et expliquer ce qu’ils représentaient à l’époque, dans l’optique que ça puisse aider le petit 20% qui reste et qui mérite d’être sauvegardé.
Si les lecteurs d’URBANIA veulent aller fouiller dans les archives de leurs parents, ils peuvent nous écrire pour nous envoyer des photos. L’idée, c’est qu’il ne faut pas que ça se perde, de tout ramener à la même place pour qu’on ait une mémoire de ces lieux-là. [N.D.L.R. Envoyez vos trouvailles à [email protected] !]
On ne pensait pas s’émouvoir en feuilletant Kitsch QC, mais on s’est fait avoir par l’alternance entre les photos de partys thématiques décadents et celles d’animaux en fibre de verre déchiquetés par les bulldozers. Des femmes aussi passionnées par le kitsch, ça donne presque le goût de changer d’avis sur la monstrueuse soucoupe volante du Cinéplex de Laval.
Presque.