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Déboires et merveilles du couple pris en otage par le ronflement
Dans le cadre d’un tournoi de hockey à l’adolescence, nous roulions en direction d’une grande maison d’époque où l’équipe allait passer la nuit. Dans l’autobus, je me régalais des légendes entourant Bob – le père de notre gardien de but –, un colosse bien en chair détenteur du titre du plus grand ronfleur de la région. Des histoires mythiques de tournois antérieurs où il réveillait des motels entiers et où la police débarquait au milieu de la nuit pour des ronflements si caverneux et puissants qu’ils semaient la désolation partout où l’équipe s’arrêtait.
Digne d’un héros du réalisme magique littéraire, on pouvait effectivement, le soir venu, entendre son vrombissement à des kilomètres. Mes coéquipiers et moi nous cachions sous les draps, hilares, l’oreiller pressé sur les tympans, incapables d’amortir l’infâme douleur sonore.
En chalet avec des amis, ce n’est plus le confort ou la largeur du matelas qu’il faut chasser en s’installant, mais bien la position géographique la plus éloignée des tracteurs de la nuit.
Les années ont passé et les coéquipiers d’autrefois sont devenus les ronfleurs d’aujourd’hui. En chalet avec des amis, ce n’est plus le confort ou la largeur du matelas qu’il faut chasser en s’installant, mais bien la position géographique la plus éloignée des tracteurs de la nuit.
Tout le monde possède au moins une histoire digne de contes folkloriques, que ce soit une vilaine expérience de dortoir dans une auberge de jeunesse ou une nuit sans sommeil lors d’un camping bien arrosé. Mais personne n’en parle si ouvertement lorsque le ou la coupable est la personne qui partage son lit. En grattant le sujet auprès de mon entourage, j’ai même essuyé plusieurs refus avec l’impolitesse que les vieilles amitiés confèrent.
J’en suis venu à me demander si la chose n’était pas un plus grand tabou que l’on imagine. J’étais surtout curieux de connaître la relation que les femmes et les hommes entretiennent avec leur conjoint.e qui émet un spectacle aussi bruyant que récurrent.
J’ai donc poussé mes recherches afin d’offrir une rare tribune à ces compagnons de l’ombre. Sachez que les prénoms ont tous été modifiés pour ne pas déclencher de grandes guerres nuptiales que je ne pourrais me pardonner.
«On se sent prisonnier d’une malédiction sans issue.»
Alexis a eu le courage de me parler de sa situation. « On se sent prisonnier d’une malédiction sans issue, lance-t-il. Le matin, on est habité par la culpabilité en réalisant que sa blonde a déménagé dans le salon. Ou que les amis sont déjà à l’étage, à vif et les yeux bouffis alors que tu descends les escaliers à siffler gaiement comme si de rien n’était. » Le ronfleur, malgré toute sa bonne volonté, s’impose parfois avec violence.
Kristine, qui est célibataire, me confie qu’elle ne croit pas être en mesure de tomber en amour avec un ronfleur. « Je tiens mordicus à la qualité de mes dodos et j’aime trop les accolades pour faire chambre à part. » Une réalité pourtant vécue par près de 10 % des couples québécois.
Même son de cloche chez Anne-Julie, qui me précise sa hantise de découvrir chez l’élu un fléau indomptable. « Je peux dormir n’importe où, n’importe quand, mais à la seconde où j’entends ce son, impossible que je puisse fermer l’œil. Et ce sont toujours les premiers à s’endormir », déclare-t-elle avec une pointe de venin dans la voix.
À écouter ces premiers témoignages, je ne peux qu’avoir de l’empathie pour le ronfleur ou la ronfleuse, qui est, après tout, un ennemi innocent victime d’une condition incontrôlable. Entretenir une légère indignation et fermer la porte d’emblée à une romance en raison d’un impondérable est fort malheureux, mais somme toute, compréhensible à entendre l’écho de Bob qui revient me pourchasser. Son épouse était soit sourde, soit une sainte. En réalité, elle dormait dans une autre chambre depuis des années.
En faisant quelques recherches, il est étonnant de constater à quel point le phénomène est extrêmement courant. Il se rencontre chez environ 44 % des hommes et 28 % des femmes âgé.e.s de 30 à 60 ans.
Il y a certes des facteurs aggravants qu’il est possible de contrôler, comme le tabagisme, le coude léger, la prise de somnifères, la posture, le poids en trop, mais dans plusieurs cas d’études, aucune de ces variables n’est présente chez le ou la principal.e concerné.e. Et malgré les risques, comme l’apnée du sommeil, l’inconvénient majeur de ce tapage nocturne est subi par l’entourage.
«Ça m’incommodait un peu au début. Surtout au début. on s’y fait et étrangement, c’est devenu attachant.»
Samuel partage son lit avec une ronfleuse depuis quelques années. « Ça m’incommodait un peu au début. Surtout au début. Puis, on s’y fait et étrangement, c’est devenu attachant. J’aime le confort auditif de sa présence, savoir que mon amoureuse dort me fait du bien. Quelques fois, je vais mettre des bouchons, mais quand elle n’est pas là, je me surprends à trouver qu’il y a un vide dans la chambre à coucher », confesse-t-il, la voix pleine de papillons.
Pour Nathalie, le sujet a pris une gravité plus difficile dans sa vie conjugale. « Je t’avouerais qu’on a tout essayé, dit-elle. C’est sûr que quand mon chum revient tard dans la nuit, disons que je le trouve moins attirant. Je lui ai déjà acheté un genre de mouthpiece pour diminuer les répercussions, mais ça lui était super inconfortable. Il a même testé un ruban qui te colle la bouche pendant la nuit. C’est une torture, dormir avec ça! Et puis, il est gêné d’aller dans des chalets avec mes amis, de peur de créer l’émoi. C’est dommage, mais est-ce que ça nuit à notre union? Non. Je l’aime et avec le temps, ça fait partie de nous. »
Anthony, habite avec son copain depuis un peu moins d’un an et malgré une svelte silhouette, son amoureux ronfle comme « une tronçonneuse mal huilée » Ça a un impact direct sur mon quotidien, souligne-t-il d’emblée. « Quand tu es stressé, que tu es débordé par tes responsabilités professionnelles, tu ne peux pas arriver en réunion et t’excuser : “Désolé, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit parce que mon chum ronflait.” »
« Au début, je ne comprenais pas pourquoi il ne voulait pas rester dormir. Je réalise maintenant que c’est vulnérabilisant, alors j’essaie de le supporter du mieux que je peux, mais ce serait mentir de dire que c’est toujours facile », conclut-il en précisant que c’est un petit handicap attachant.
Andrée-Anne semble quant à elle en paix avec le vacarme noctambule sous toutes ses formes. « J’ai grandi dans une vieille maison qui craque avec un père et une mère qui ronflaient. Ensuite, j’ai déménagé dans le centre de Barcelone, où les nuits chaudes sont pleines de bruits de diesel. Et depuis mon retour, je suis avec un ronfleur, disons-le, assez costaud. Les nuits silencieuses, je ne connais pas », raconte-t-elle avec une indifférence pleine de confiance.
Certain.e.s gèrent donc cette position avec confort et apprécient cette douce houle réconfortante. Alors que d’autres qui assistent contre leur gré à de longs DJ set de dubstep peuvent parfois considérer cette condition comme un obstacle. Les scénarios sont infinis et uniques à chacun.e, mais à la lumière de ce maigre échantillon sur une réalité trop peu effleurée, je me dis que partager ses nuits avec une tempête est peut-être, en fait, l’une des plus belles preuves d’amour qu’il soit.