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Dear Denizen: le long chemin vers la musique du coeur

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Salut URBANIA!

Pour commencer l’année 2017 en beauté, je voulais te présenter quelqu’un qui risque de faire parler de lui cette année, une révélation. J’ai décidé d’y aller avec Ngabonziza Kiroko, leader du projet Dear Denizen, beaucoup parce que son EP Now Here sorti tout récemment est un beau moment d’espoir et de maturité qui annonce un album fort à venir. Et aussi un peu parce que derrière la musique, il y a parfois des êtres aux destinées complexes, intrigantes ou fabuleuses.

En voici un pas pire.

Oui, je viens d’Afrique, et ça fait partie de qui je suis, mais ça fait 16 ans que je suis parti. Je suis plus très frais comme africain.

On commence du début et on fait ta genèse, ok? Qui es-tu Ngabo? D’où viens-tu?

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En fait… pour être franc, je commence à être tanné de toujours repartir à zéro. Quand j’ai fait mon premier disque en 2011 c’était ça le focus, fallait tout le temps que je parle de ça; le jeune congolais réfugié de la guerre civile et débarqué à Montréal. Ça fait 16 ans que je suis parti, je commence à trouver ça un peu weird; je suis plus très frais comme africain, tu sais. (rire) Et j’aime moins l’idée d’être le représentant de quelque chose qu’avant. Oui, je viens d’Afrique et ça fait partie de qui je suis, mais je ne veux pas que ça me mette dans une case non plus.

Mon père tenait vraiment à ce que je fasse partie d’une chorale. Il avait peut-être déjà remarqué quelque chose chez moi…

Ok. Prenons ça d’un autre angle : comment t’en es venu à la musique?

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Je chantais dans une chorale de l’âge de 7 à 14 ans. Je n’aimais vraiment pas ça, mais mon père, je ne sais pas pourquoi, tenait vraiment à ce que je ne manque pas une répète. Je viens d’une famille de 11 enfants et je suis le middle child, c’est un peu étrange qu’il ait décidé que ça allait être moi. On n’en a jamais parlé, mais peut-être qu’il avait vu quelque chose chez moi, qu’il avait deviné que j’étais différent… Man, je ne voulais pas aller pratiquer avec les vieux pendant que mes amis jouaient dehors!

Quand je suis arrivé à Montréal, j’avais ce genre de rêve, de fantaisie de faire de la chanson. En même temps, je ne jouais de rien, pas de guitare, pas de piano, je ne savais pas du tout par où commencer. Et un jour je suis allé dans un party chez un ami et j’ai vu un gars monter une toune sur le logiciel Reason. Épiphanie. Je me suis inscrit à Musitechnic, j’ai fait 2 semaines juste le temps de comprendre la base du logiciel et j’ai tout lâché ça pour aller pratiquer chez nous. Sans cette technologie, je ne pense pas que j’aurais pu créer comme je le fais.

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Après j’ai fait des tounes en cachette. J’avais peur de me faire juger, qu’on me dise que ce n’est pas bon et que ça me bloque. Les gens qui me connaissent de cette époque auraient jamais pensé que je composait de la musique; ils sont encore très surpris de voir que je fais ça aujourd’hui!

Ça me fait rire l’étiquette “World music”, mais en même temps, j’ai grandi avec la rumba congolaise dans les oreilles, donc mon approche de la musique en est teintée.

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Tu dis que t’es tanné un peu de parler de tes origines, mais ton projet en français, l’album de 2011, c’était plutôt identitaire quand même, non? T’essaies de t’éloigner de ça maintenant?

C’était hyper identitaire en fait. Toute l’imagerie autour était africaine. Quand La Tribu m’ont recruté en 2011, je composais en anglais, et ils m’ont commandé un album en français. Donc, j’ai passé un an au complet à bûcher là-dessus, ils m’ont trouvé des bourses, m’ont envoyé en France et j’ai tout écrit en 9 mois. Je ne veux plus jamais faire ça. J’aurais aimé avoir plus de temps. J’avais énormément de choses à dire et on dirait que j’ai essayé de tout mettre dans un 40 minutes… c’est dur d’aller au fond des choses dans ce temps-là. Anyway, après un moment la relation avec la maison de disque s’est compliquée et ils m’ont lâché. Sur le coup ce n’était pas facile, ça m’a fait beaucoup de peine, mais si c’était pas de ça, Denizen n’aurait jamais vu le jour. Donc c’était pour le mieux.

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Y’a encore des gens qui qualifient Dear Denizen de « world music», ça me faisait rire au début et en même temps je commence à comprendre et assumer ça. J’ai grandi dans la rumba congolaise et les rythmes africains, donc mon approche de la musique, la manière dont je phrase mes mélodies, c’est certain qu’il y a un peu de ça dedans. Ça m’a même poussé un moment donné, quand on composait avec le groupe, à faire attention de « pas aller là » chaque fois que je trouvais une passe de guitare ou une mélodie qui pouvait sonner « musique du monde ». Mais un moment donné on s’en fout, non? Même que sur le premier EP de Dear Denizen sorti en 2014, y’a encore des traces de ça, une affirmation, une recherche. Mais récemment je m’en éloigne. Ce n’est pas volontaire c’est juste arrivé.

Au fait ça sort d’où, « Denizen »?

Un « Denizen » c’est un vieux terme anglais, le mot « citizen » en dérive. C’est d’abord un habitant, quelqu’un qui fréquente un endroit. Mais ça désigne aussi un animal qui s’adapte à la vie dans de nouvelles conditions, ou quelqu’un de naturalisé dans un nouveau pays. Et aussi un « régulier » de quelque chose, comme un client qui est toujours dans un bar ou quelque chose de même. Ça vient d’un livre de Dylan que je lisais, j’ai buté sur le mot et quand j’ai vu la définition j’ai fait « wow, c’est ça ». J’aime l’idée que n’importe qui peut aspirer à être un Denizen de quelque chose ou quelque part.

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Le EP Now Here vient tout juste d’être lancé en décembre dernier. Tu es content de la réception qu’il a à date? T’as eu un peu de feedback?

On a eu une belle couverture par rapport au lancement du EP, la réception est folle je suis même un peu flabergasté; y’a un paquet de blogues vraiment cool genre OkAfrica basé à New-York ou Afropunk qui en ont parlé, on va peut-être même faire leur genre de festival à Paris pis toute. C’est surprenant et très cool, surtout qu’il y a pas de machine derrière, c’est auto-produit et tout. Je suis vraiment content.

Comment tu le décrirais ce EP?

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C’est des chansons qui parlent d’amitié, d’amour, d’espoir. All that really cheesy stuff. Et c’est de l’auto-analyse aussi. Je vais avoir 40 ans dans pas si long, je suis dans les remises en question, je regarde mon passé, où je suis rendu, comment je suis arrivé là. Aussi je viens d’un background très religieux, j’ai grandi dans ce symbolisme-là, et c’est un peu ce qui m’a autant fait tripper sur un gars comme Leonard Cohen. Il réussit à aller là sans y aller vraiment, à faire des textes profondément spirituels et plein d’humilité sans ramener tous les dogmes religieux poches; ça, ça me touche vraiment beaucoup. Y’a des valeurs et une imagerie dans la religion qui, même si je ne suis pas du tout pratiquant, fait profondément partie de moi. C’est un peu cette idée de sagesse universelle qui lie ces chansons. Au départ ça a été qualifié de post-punk, d’électro, mais ça venait surtout de ma manière de travailler; plus ça va, plus avec le groupe on se rapproche du folk et du rock indie.

Pierre Kwenders et moi, on a énormément de choses en commun, mais quand on a essayé de travailler ensemble, ça ne s’est pas bien passé au début. Deux grosses têtes qui se ressemblent trop c’est too much.

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En parallèle tu as aussi sorti un autre EP avec Abakos, un projet avec Pierre Kwenders. Comment ça se passe, ça?

Quand Pierre et moi on s’est rencontrés, c’était la première fois dans ma vie « occidentale » que je croisais quelqu’un avec qui j’avais autant de choses en commun. On vient du Congo, on a grandi dans la même culture, la même langue et les mêmes mœurs et en plus, on a un peu le même parcours, c’était vraiment beau et épeurant en même temps pour moi. On se voyait vraiment trop, on sortait, on faisait le party et un moment donné on s’est dit « on devrait faire un band ». Et quand on s’est retrouvés à essayer de le faire vraiment, au début ça a été la catastrophe. Justement parce que deux grosses têtes qui se ressemblent trop, c’est too much dans la même pièce des fois pour créer… C’était un vrai effet miroir. Mais là ça se place, on a trouvé des manières de travailler qui marchent et c’est très cool. Le fait que j’ai mon projet solo et lui le sien aide beaucoup; si on avait juste ça on aurait sûrement abandonné. Le but, cette année, ce serait de faire un vrai album avec chacun de ces bands.

Je crois que mon récent retour aux trucs plus Queb‘ vient du lieu où je travaille, le Quai des Brumes. Ça m’a fait découvrir ben du monde.

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Je t’écoute parler d’Afrique, de Montréal, de New-York et de Paris indifféremment et on dirait que c’est très facile et logique pour toi de concevoir ta carrière et même ta vie partout en même temps, alors que pour beaucoup de monde c’est quand même une grosse affaire. Tu es quel genre de denizen par rapport au Québec?

Être un immigrant ça donne un certain détachement qu’il ne faut pas confondre avec du je-m’en-foutisme. On a choisi où on est, où planter nos rêves, et c’est toujours un peu bizarre pour moi de penser que quelqu’un pourrait se dire que je suis pas assez québécois ou pas assez enraciné ici. Pour l’anglais c’est la même chose; ce n’est pas ma langue maternelle, c’est un choix qui s’est fait très organiquement. Je me suis mis à lire en anglais et à tripper sur cette langue y’a quelques années. En même temps, ça vient un peu de mes origines aussi. En Afrique, l’héritage français c’est tellement de la marde, on n’a pas le même rapport que vous avec ça. J’avais envie de recommencer à zéro, de jouer vraiment à être quelqu’un d’autre. Un moment donné, j’avais décidé que je m’appelais Chris, pour le fun, c’était dans la bio du band et tout. (rire) Je pense que j’avais le goût d’être anglophone pour être un new born un peu. Et casser aussi le truc du premier album.

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Quand je vois tout le combat que les gens font ici pour préserver la langue française, la défendre et tout, je trouve ça d’une beauté hallucinante. Mais c’est deux choses différentes de tripper là-dessus et de créer l’identité d’un projet de musique.

Mon retour récent aux trucs plus Queb‘ vient un peu du Quai des Brumes, où je travaille, des gens que je côtoie là-bas. Ça m’a fait découvrir et démêler des affaires. L’an passé, Richard Desjardins est venu faire un show et je me demandais pourquoi il chantait une toune d’Éric Lapointe… Une madame m’a entendu dire ça et était très, très choquée. Horrifiée! Je pense qu’elle aurait repris mon passeport si elle avait pu. (rire) Mais là c’est correct, j’ai appris à mieux connaître l’œuvre du monsieur, j’ai même réarrangé et enregistré une de ses tounes pour Belle et Bum.

Quand je fais une chanson, j’essaie surtout d’être honnête, de parler de ce qui me préoccupe dans la vie.

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Ngabo tu ne voulais pas qu’on parle d’identité, mais on a pas mal juste fait ça en fait. En même temps on vient de régler quelques trucs, non? Maintenant on va peut-être pouvoir passer à autre chose et parler de toi avant tout comme d’un artiste. Ça va faire du bien?

Mais ça aussi c’est compliqué! Tu sais, au final, au moment de faire une chanson, on essaie juste d’être honnête et de bien représenter où on est rendu et ce qui nous préoccupe dans la vie à un moment précis. Je te parlais de Cohen tantôt; dans l’une des dernières entrevues qu’il a donnée, le journaliste lui parle de son album et il dit juste « il y a des mystères, je ne sais pas comment c’est arrivé ». Ce n’est pas un jeu pour lui être un artiste. C’est plus comme ça que j’aime m’imaginer.

Et bon; le but, c’est quand même de se réinventer sans cesse soi-même dans tout ça.

Pour lire une autre entrevue de Jean-Philippe Tremblay : « Louis-Philippe Gingras, le tigre géant ».

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