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De Sao Paulo à Curitiba, au coeur du mouvement de contestation brésilien

Retour sur le mouvement contestataire qui a embrasé le Brésil depuis près de trois semaines.

Par
Simon Benoit-Guyod et Vinicius Ferreira
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Ils sont plus d’un million, jeunes, étudiants, travailleurs, à s’être indignés contre la corruption, le prix des transports publics, le manque d’investissement dans l’éducation, la santé et les dépenses astronomiques en vue de l’organisation de la Coupe du Monde de la FIFA 2014. De Sao Paulo à Curitiba, en passant par Salvador et Rio de Janeiro, la colère a grondé. Du jamais vu depuis plus de vingt ans dans un pays qui traverse un des moments les plus importants de son histoire.

Sao Paulo, Jeudi 13 Juin 2013. Face au théâtre municipal, au coeur de la mégalopole la plus peuplée d’Amérique du Sud, la foule se prépare dans le calme. Plusieurs milliers de Brésiliens ont répondu à l’appel du Mouvement Passe Livre, qui milite pour la gratuité des transports en commun. Les visages sont jeunes et les téléphones portables sont de sortie. Le bouche à oreille a fonctionné. Les réseaux sociaux sont en ébullition.

La hausse du prix des transports en commun, mise en place par le maire travailliste Fernando Haddad, ne laisse personne indifférent. Le salaire minimum au Brésil ne dépasse pas les 350 dollars canadiens mensuellement. Le prix du billet vient de grimper de 10 centavos, soit 20 cennes. Les autobus du réseau urbain commencent à se voir bloquer l’accès aux grandes avenues, sous le regard surpris d’une utilisatrice tout juste sortie du travail. Le quartier des affaires de Sao Paulo est paralysé.

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La horde de manifestants, principalement composée d’étudiants et de jeunes travailleurs issus des classes moyennes, lance son grand défilé. Sur les banderoles, le message est clair: la jeunesse paulistana est dans la rue. La presse est prise de court alors que la police militaire commence à effectuer les premières interpellations. La tension monte au fur et à mesure que le cordon s’allonge.

La répression, d’une rare intensité, fait son apparition. C’est un jeune manifestant pacifiste qui en fait les frais. Jet de pepper spray en pleine figure, la police militaire répond par la force. Une reporter du quotidien Folha de SP est atteinte d’un tir de balle au caoutchouc en plein visage. Les premières sirènes retentissent. La police arrête un journaliste de la revue Carta Capital. Motif? Le jeune homme transporte une bouteille de vinaigre dans son sac pour se protéger contre les gaz lacrymogènes.

La police militaire repousse un groupe de manifestants qui tentent de se diriger vers l’Avenida Paulista, centre financier et commercial de la sixième puissance économique mondiale. Le centre-ville vire au chaos. Balles en caoutchouc, pétards, jets de pierre. La rue commence à brûler, quelques barricades se forment. Des renforts arrivent sur place. Personne ne s’attendait à voir de telles scènes se produire dans les rues de Sao Paulo, vitrine de la réussite économique du géant brésilien.

Lundi 17 Juin, Curitiba, « ville modèle » du sud du Brésil. Le mouvement contestataire prend une ampleur nationale: Rio de Janeiro, Brasilia, Porto Alegre, Belo Horizonte, Campinas… Des centaines de milliers de Brésiliens descendent dans les rues afin de protester contre l’augmentation du prix dans les transports en commun. D’autres motifs viennent nourrir la colère de la jeunesse: la corruption, la faiblesse des services publics, un prix de la vie en constante hausse, la répression policière.

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Ils sont 5,000 à s’être regroupés devant le bâtiment historique de l’Université Fédérale du Paraná, la plus ancienne université fédérale du pays. Les manifestants décident du trajet de la manifestation: le défilé ira jusqu’au Palacio Iguaçu, siège du gouverneur de l’état du Paraná. Les visages sont peints au couleur du Brésil: vert, jaune et bleu. Plusieurs manifestants portent des drapeaux. Un fumigène est allumé sur les marches de la faculté.

Travailleurs, étudiants, radicaux, … « Le Brésil s’est réveillé » scande la foule. La hausse du prix du billet de bus est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Plusieurs municipalités décident de revenir sur l’augmentation des tarifs. Mais la colère continue de gronder. La plupart des jeunes dans la rue n’ont jamais participé à un mouvement de contestation. Facebook et Twitter se font les porte-paroles de la jeunesse. Les médias traditionnels relayent les images des manifestations aux quatre coins du pays.

Les plus motivés sont attendus par les forces de l’ordre au Palais Iguaçu, situé dans le quartier Centro Civico, à quelques centaines de quartier historique de Curitiba. La confusion règne entre les jeunes issus des classes moyennes, ceux de la périphérie et les anarchistes. On a du mal à se mettre d’accord sur l’objectif de la mobilisation. Seule la colère semble unir la foule dont l’âge moyen ne dépasse pas les 25 ans.

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« Jamais je n’avais imaginé faire partie d’un tel mouvement au Brésil,» confie un jeune manifestant. « On va envahir le palais du Gouverneur, » lance un anarchiste. D’autres, plus modérés, s’indignent contre la classe politique, qu’ils jugent « corrompue » et loin des préoccupations quotidiennes des Brésiliens. Alors que le pays s’apprête à recevoir la Coupe du Monde de soccer l’année prochaine et les Jeux Olympiques de 2016, le Brésil crie son ras-le-bol.

La situation dégénère devant le Palais Iguaçu. Assiegée, la police répond en lançant des bombes lacrymogènes. Certains radicaux retournent les bombes sur les forces de l’ordre. Les pierres volent dans le ciel. « Demain, on sera de plus en plus nombreux à se mettre en colère, » crie un groupe de manifestants. La rue n’a pas dit son dernier mot.

Texte : Simon Benoit-Guyod et Vinicius Ferreira
Photos : Vinicius Ferreira