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De quoi nos jeunes seront-ils nostalgiques?

En dominant l’espace médiatique, la nostalgie prend la place de productions actuelles ou, carrément, elle freine la naissance de nouveautés en s'accaparant les ressources.

Par
Stéphane Morneau
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30 ans.

C’est le nombre d’années autour duquel s’articule le pendule de la nostalgie qui fait que les créateurs de contenus dans la trentaine s’inspirent de leur jeunesse et provoquent, ainsi, une vague nostalgique.

Ça explique en partie pourquoi les années 80 sont très populaires depuis quelques années. Pensons à Stranger Things, au remake de Ghostbusters et de la forte présence de synthétiseur dans la pop actuelle (Bruno Mars, par exemple).

Quand on parle de 30 ans, c’est évidemment un nombre approximatif parce que la nostalgie peut aussi frapper en cycles de vingt ans ou même de quinze ans. Il ne s’agit pas d’une science exacte, mais la théorie derrière le pendule est intéressante.

Après trente ans, il y a une masse critique de créateurs de contenus et de consommateurs avec un pouvoir d’achat qui puise dans les mêmes référents. Par exemple, j’ai bientôt 34 ans et la fin des années 80 a façonné mon enfance. Aujourd’hui, les Teenage Mutant Ninja Turtles me parlent encore et, forcément, leur retour sur les tablettes influencera ma décision d’en acheter et potentiellement celle de transmettre cette passion à ma fille parce que oui, elle a des pyjamas des Turtles et nous avons regardé les vieux films ensemble.

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Dans cet exemple, remarquez comment ma nostalgie est devenue le présent de ma fille.

Parce que j’ai aimé les tortues ninjas à son âge, j’assume qu’elle aussi sera interpellée par ça et on le partage ensemble. Dans trente ans, c’est possible qu’elle partage aussi cette nostalgie avec ses enfants.

Le pendule de la nostalgie devient ainsi un cycle et la production de nouvelles idées pourrait devenir une improbabilité.

En dominant l’espace médiatique, la nostalgie prend la place de productions actuelles ou, carrément, elle freine la naissance de nouveautés en s’accaparant les ressources.

Remâcher le passé est un raccourci vers le rassemblement, l’exploitation d’une valeur sûre, le confort de la familiarité.

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C’est vrai en télévision avec les retours annoncés de Roseanne et Murphy Brown, en plus des actualisations de Dallas et des Belles histoires des pays d’en haut. C’est évidemment vrai au cinéma avec la pluie torrentielle de remakes et de reboot, de l’horreur au classique en passant par la comédie et la science-fiction. Au théâtre, on nous présente des relectures de Shakespeare avec des iPhone et ne soyons pas surpris si Roméo & Juliette se croisent bientôt sur Tinder.

Remâcher le passé est un raccourci vers le rassemblement, l’exploitation d’une valeur sûre, le confort de la familiarité.

Le problème qui me parait de plus en plus incontournable, c’est que notre obsession pour nos amours d’antan envahit l’espace médiatique actuel et déborde de son cadre d’origine. Revoir des épisodes de Friends tous les ans, c’est une chose. Mais faire un test sur Facebook pour savoir quel personnage vous êtes, replacer les propos de l’émission dans les débats d’aujourd’hui et pousser des mèmes de la série dans vos discussions, c’en est une autre.

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Si notre nostalgie occupe autant d’espace, que reste-t-il pour le reste?

C’est là que la fougue et la résilience de la jeunesse rebelle m’émerveilleront toujours. Devant l’assaut répété de nos items nostalgiques, ce sont les nouveaux médiums qui imposent leurs voix.

La télé traditionnelle se meurt et les publicitaires sont les seuls à s’accrocher à ce modèle vétuste. Alors les jeunes se tournent vers YouTube et Twitch. Au niveau de la musique, malgré des influences du passé dans la musique pop, il y a de quoi de résolument actuel dans des succès-monstre comme Kendrick Lamar qui saute à pieds joints sur le médium pour lui donner la forme qu’il souhaite.

Sur le web, même si les marques et les compagnies se sont invitées sur les réseaux sociaux, les jeunes utilisateurs se dirigent systématiquement ailleurs. Quand Facebook n’était plus cool, il y a eu Instagram, ensuite Snapchat et maintenant on exploite même l’environnement VR Chat pour lancer des modes sur le web.

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Quand je dis que la jeunesse rebelle m’émerveille, c’est sur ces aspects. Entre deux élans nostalgiques, les analystes et les « vieux experts » décrieront leurs utilisations des médiums, mais au final, ce sont eux qui défrichent le chemin. Nous, les trentenaires nostalgiques, sommes un peu comme les parents des années 50 qui voyaient des manifestations sataniques dans le déhanchement d’Elvis Presley.

Par contre, l’expression de la jeunesse d’aujourd’hui semble plus éphémère, instantanée. Je me demande vraiment la trace qu’elle laissera dans trente ans lorsque le pendule de la nostalgie sera sur son retour. Rendus là, est-ce qu’ils puiseront dans la rébellion de leur jeunesse ou est-ce que l’omniprésence de notre nostalgie sera la locomotive du train?

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C’est peut-être anodin comme réflexion, mais ça m’inquiète dans la mesure où si on ne sort jamais du spectre de notre passé, que reste-t-il de l’expression humaine? Après combien de reprises d’un Tramway nommé désir peut-on décider, collectivement, que ça suffit et qu’il est temps de passer à autre chose?

Et si hier revenait demain, aujourd’hui se positionne où?

Ça devient vite un cercle vicieux quand nos médias parlent de cette nostalgie qui elle-même s’alimente des médias qui en parlent. Le serpent se mange la queue. Les créateurs de demain ne sont pas perméables au discours des créateurs d’aujourd’hui qui, eux, parlent la langue d’hier.

Et si hier revenait demain, aujourd’hui se positionne où?

Nous avons une façon détournée d’endormir l’esprit critique et créatif. En puisant systématiquement dans la familiarité, on s’assure une certaine forme de réception chaleureuse. Comme un bon bain chaud, ça apaise, attendrit et ramollit même.

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Peut-être que nos jeunes seront nostalgiques de cet état plus complaisant et amorphe qu’on leur présente et nous serons l’inspiration d’une vague nostalgique qui ne bouscule pas grand-chose. À l’instar de celle que l’on vit présentement.

Ça serait le temps de sortir un remake du film Le confort et l’indifférence de Denys Arcand, mais au lieu des enjeux référendaires, on pourrait présenter la désespérante chute de notre patrimoine culturel.

Un quiz Buzzfeed à la fois.

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