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Moins de poubelles = moins de déchets

Une équation gagnante?

Par
Camille Dauphinais-Pelletier
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Avril. C’est (supposément) la fonte des neiges, moment de l’année où tous les déchets qui ont passé l’hiver cachés sous un majestueux manteau blanc viennent nous rappeler qu’ils ne se biodégradent pas rapidement. La Ville organise des corvées, le voisin fait semblant que les crottes n’appartiennent pas à son chien, personne n’ose toucher à l’oreiller qui traîne dans la ruelle (est-ce que ça survit au froid, les puces de lit?)…

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(Crédit photo : Michel)

Ah décidément, si en plus on enlevait les poubelles des lieux publics, on nagerait sous les déchets en moins de 48 heures, non?

Peut-être pas.

En 2011, la Ville de New York a démarré un projet-pilote de retrait des poubelles dans son réseau de métro, avec l’espoir que les usagers jetteraient leurs déchets ailleurs.

Pourquoi? Eh bien, ne pas gérer la collecte des sacs de vidanges et leur acheminement jusqu’au site d’enfouissement était intéressant pour la Ville. Les odeurs de vieux lunchs qui marinaient dans le fond de la poubelle sont disparues. Il paraît qu’il y avait même moins de rats qui effrayaient les passagers puisque leur source de nourriture avait été éliminée!

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Si la Ville s’est ainsi épargné des tonnes de sacs de vidanges, le nombre de déchets qui traînaient par terre n’a apparemment pas augmenté. Quelqu’un qui jetait déjà ses choses sur le sol n’allait pas arrêter de le faire parce qu’il n’y avait plus de poubelles autour, mais les gentils usagers des poubelles ne se sont pas tournés vers le plancher quand la mesure a été mise en place; ils ont gardé leurs déchets sur eux-mêmes.

L’hypothèse de la vitre brisée

Même si ça n’a pas été constaté dans le métro de New York, certains soutiennent que le retrait des poubelles peut même mener à une diminution des ordures qui traînent par terre.

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En criminologie, l’hypothèse de la vitre brisée part du principe que si une fenêtre est fracassée sur un édifice et qu’on ne la remplace pas tout de suite, les chances que de nouvelles vitres y soient cassées augmentent. En gros, quelqu’un va se dire « la bâtisse est déjà délabrée/abandonnée, pourquoi je me retiendrais? » (avant de garrocher une roche dessus).

Par analogie, si des déchets traînent partout dans un lieu public, #lesgens seront plus enclins à ajouter les leurs à la masse.

Et curieusement, la présence de poubelles peut mener à cela : quand une poubelle de parc est pleine, par exemple, on se dit qu’on a quand même le droit de laisser nos déchets sur place, et on les empile sur le tas en sachant très bien qu’ils ne sont pas théoriquement « dans » la poubelle. En résultent des amas de déchets à côté, qui sont dispersés par le vent, puis par un chien qui court… et le nombre de déchets par terre augmente.

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(Crédit photo : greenhem)

C’est un peu pour ça que la STM a décidé en 2011 de retirer les poubelles et bacs de récupération de ses quais de métro. Une pile de journaux à trois mètres d’un train qui arrive à toute allure… ça s’envole. Il y avait tellement de déchets qui jonchaient les rails que ça causait des arrêts de service, que les portes des wagons et les drains des rails se bloquaient.

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Des poubelles dangereuses?

Au Japon, il y a très peu de poubelles dans l’espace public. La raison est assez surprenante : en 1995, cinq membres d’une secte ont dispersé du gaz sarin dans le métro de Tokyo en utilisant des sacs de plastique et des journaux pour le disperser. Douze personnes en étaient mortes, et plus de 5000 (!) avaient été affectées par l’attaque.

L’une des mesures de sécurité prises par les autorités de l’époque avait été de retirer les poubelles des espaces publics, puisqu’elles pouvaient être utilisées pour cacher des armes terroristes, et elles n’ont jamais été réinstallées depuis. Le Japon étant réputé pour être l’un des pays les plus propres au monde, on comprend qu’on n’a pas besoin de poubelles pour avoir une rue immaculée : parfois, c’est juste une question de faire attention.

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(Et quand ils ont des poubelles, elles sont charmantes. Crédit photo : Elyse)

Et à Montréal?

Ça ne veut pas dire non plus que ce genre de mesure marcherait partout : en 2015, la Ville a dû ajouter 200 poubelles dans le parc du Mont-Royal, puisque chaque soir, après le passage de la crowd des tam-tams, des fans de musique électro et des rebelles qui font des feux de camp, il y avait des déchets partout (allez lire l’article paru à ce sujet – il y avait aussi un groupe de taï-chi qui nuisait à « l’usage normal des lieux », c’est très drôle).

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On a d’ailleurs demandé à Coralie Deny, directrice générale du Conseil régional de l’environnement de Montréal, si elle croyait que le retrait des poubelles pourrait être bénéfique à la métropole.

« L’enjeu qu’on a ici, c’est que beaucoup de gens consomment des produits à emporter, et mettent dans les poubelles des tasses de café, des bouteilles ou des canettes. Dans certains pays, manger ou boire en se déplaçant est moins courant, donc ils ont moins besoin de poubelles dans la rue », dit-elle d’entrée de jeu. « Sincèrement, dans une ville comme Montréal, je ne suis pas sûre que ce serait la bonne solution de tout retirer. Mais les gens devraient avoir systématiquement le choix entre un bac pour la poubelle, un pour le recyclage et, dans un avenir plus lointain, un bac pour le compostage. Actuellement, il y a plusieurs endroits dans les lieux publics où ce n’est pas le cas, où il n’y a qu’une poubelle. »

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Il y a quand même certains bacs qu’on gagnerait à enlever. « Certaines poubelles sont essentiellement utilisées par des gens qui ne veulent pas attendre le jour de la collecte pour se débarrasser de leurs déchets. Par exemple, le camion passe le vendredi, mais eux, le lundi, ils emballent leurs ordures dans un sac et vont le mettre dans une poubelle publique. C’est très courant à Montréal, et les poubelles se remplissent rapidement et débordent », explique Coralie Deny.

Les irréductibles

Petite parenthèse de l’auteure, au cas où vous vous demandiez qui est assez négligent pour salir nos beaux espaces publics.

Je marchais dans les sentiers des Cinque Terre il y a quelques années, un endroit fort beau (et fort touristique) en Italie. Avec des copains d’auberge de jeunesse, on s’était assis au bord du sentier pour pique-niquer en chemin, et à la fin de notre lunch, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de poubelles le long du sentier. On a donc remballé nos déchets, sauf un Anglais qui a décidé que traîner une poubelle avec lui, c’était NON.

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On a eu beau lui faire comprendre qu’on trouvait que ça n’avait pas d’allure, rien à faire. Je me suis donc glorieusement sacrifiée en traînant ses affaires jusqu’au prochain village.

Cette anecdote pour dire que certaines personnes jetteront leurs déchets par terre sans vergogne peu importe où ils sont (et aussi que ses déchets qui débordent de mon sac sont visibles sur mes photos de voyage).

(Remarquons que la géographie du coin peut indiquer pourquoi il n’y a pas de collecte de vidanges dans les sentiers.)

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Dans l’temps

Avec nos emballages qui frôlent parfois le ridicule, on produit dans les foyers québécois en 2018 un nombre beaucoup plus élevé de déchets que dans le « bon vieux temps ».

Cela dit, avant 1868, on se fiait à la « débrouillardise des Montréalais pour se débarrasser de leurs déchets ». Soyons francs : une bonne proportion d’entre eux les dompaient probablement dans le mont Royal. Plus ça change, plus c’est pareil!

Aimeriez-vous voir une réduction des poubelles dans les espaces publics? Que les entreprises qui vendent ces produits emballés soient celles qui fournissent les poubelles à même leurs commerces plutôt que la ville? Ou au contraire, aimeriez-vous qu’il y ait plus de poubelles?

Quelle que soit votre opinion, s’il vous plaît, ne jetez pas vos déchets par terre cette année. On a tous envie d’un printemps propre…

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