Logo

De l’Antiquité à aujourd’hui : petite histoire des femmes au théâtre

La place des femmes sur les planches n’a pas été accordée, elle a été gagnée!

Par
Pascale St-Onge
Publicité

URBANIA et le Théâtre du Nouveau Monde s’unissent pour vous proposer une synthèse de l’histoire de la place des femmes au théâtre, de l’Antiquité à aujourd’hui!

On le sait, les femmes n’ont pas toujours eu une place de choix dans nos sociétés, et la sphère théâtrale, historiquement, n’a pas échappé à ce phénomène. Longtemps, l’accès à la scène leur a été carrément interdit ou, si elles y avaient droit, elles y étaient alors sous-estimées ou perçues comme des travailleuses du sexe plutôt que des comédiennes… Vous vous dites sans doute « BEN VOYONS DONC… », mais il faut savoir que les créatrices et comédiennes s’organisent depuis des décennies et revendiquent leur place pour rattraper le temps perdu. URBANIA et le Théâtre du Nouveau Monde s’unissent pour vous proposer une synthèse courte, mais efficace, de l’histoire de la place des femmes au théâtre, de l’Antiquité à aujourd’hui.

Un long combat

Revenons quelques millénaires en arrière… Pour le dire très simplement, les femmes brillent par leur absence. On leur interdit complètement la scène tout au long de l’Antiquité, alors que défilent de grandes tragédies immortelles dans les spectacles à grand déploiement. En fait, il faut attendre l’arrivée de la commedia dell’arte pour voir apparaître des femmes sur scène dans ces scabreuses farces italiennes. Cet art de rue est souvent perçu comme l’origine des pratiques d’improvisation actuelles et comme un art du peuple, certes, mais il soulève également des questions sur sa manière d’exposer le corps féminin, quelque part entre malaise, érotisation et fascination.

Publicité

En Angleterre, le théâtre élisabéthain, aussi connu comme l’âge d’or shakespearien, interdit la présence de femmes sur scène de ses débuts jusqu’à l’interdiction des représentations théâtrales en 1642. Une femme sur scène est considérée comme une personne de moralité douteuse ou carrément comme une sorcière, par son habileté au déguisement et à la tromperie. Il est donc beaucoup plus sage de garder les femmes loin du théâtre… De jeunes hommes seront donc appelés à jouer les rôles célèbres de Juliette, des sorcières de Macbeth, d’Ophélie, de Titania et de plusieurs autres personnages marquants des pièces de Shakespeare. Le travestissement devient chose courante, autant en tragédie qu’en comédie. En 1660, l’interdiction de jouer sur scène est levée partout en Angleterre, et les femmes auront enfin accès au métier de comédienne.

Ailleurs dans le monde, les femmes trouvent leur place au sein de pratiques telles que le kabuki, forme théâtrale japonaise traditionnelle fortement codifiée et dansée. Cette liberté n’est cependant pas éternelle, les hommes reprenant le monopole de cette forme d’art dès le milieu du 17e siècle. Il en va de même pour le , où les hommes sont les seuls à y tenir un rôle pendant des siècles, même lorsqu’il s’agit de personnages féminins. La féminité représentée dans cet art est d’ailleurs transfigurée par le regard des hommes qui le créent. Les femmes investissent le nô pour la première fois au début du 20e siècle.

« Une femme sur scène est considérée comme une personne de moralité douteuse ou carrément comme une sorcière, par son habileté au déguisement et à la tromperie. »

Publicité

Les autrices dramatiques, pour leur part, ont été principalement effacées de l’histoire. Depuis peu, certaines d’entre elles ressortent de l’oubli, telle la désormais incontournable Olympe de Gouges. Femme de lettres française, elle écrit des pamphlets politiques importants, dont la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, mais aussi… du théâtre! Au 18e siècle, elle possède sa propre troupe professionnelle ambulante pour produire ses textes. Elle entreprend un long combat féministe et anticolonialiste au moyen de ses différentes productions théâtrales et le mène jusqu’à sa mort. Une pionnière, rien de moins! Olympe de Gouges meurt guillotinée à l’âge de 45 ans pour ses idées et ses actions politiques.

Plus tard dans l’Histoire, de grandes comédiennes marquent l’imaginaire et les esprits de leur public. Tel est le cas de l’immense Sarah Bernhardt à la fin du 19e siècle. La tragédienne fera son entrée à la Comédie-Française à l’âge de 18 ans à peine et enfilera les rôles de premier plan jusqu’à la fin de sa carrière. Elle aura même le « privilège » de jouer de grands rôles masculins comme celui de Hamlet, chose impensable jusqu’alors. Celle qu’on surnommait « La Divine » est une icône de la femme de théâtre, une femme de passion qui multiplia les collaborations célèbres avec Oscar Wilde, Edmond Rostand, Victor Hugo et plusieurs autres.

Publicité

Pis au Québec?

Le Québec possède sa propre histoire théâtrale, longtemps coincée entre tradition française et désir de création et d’émancipation. Une étape marquante y a grandement favorisé la représentation des femmes, soit le théâtre de Michel Tremblay, plus précisément à partir de la création en 1968 de sa pièce Les Belles-Sœurs, mise en scène par André Brassard. Si on parle souvent de cette pièce pour son emploi inédit d’une langue populaire riche et du joual, il ne faut pas passer à côté de son extraordinaire distribution de 15 personnages féminins de tous les âges. L’écriture de Tremblay rend hommage aux femmes qu’il a connues, des femmes ordinaires qui ne se reconnaissaient pas sur scène jusqu’alors.

La décennie suivante est marquée par un théâtre politique et social – plusieurs œuvres féminines font même scandale. Des revendications féministes occupent les planches, et des autrices abordent maternité, sexualité et autres enjeux. La première compagnie de théâtre féministe voit le jour en 1973, le Théâtre des Cuisines, de laquelle on retient entre autres la pièce Môman travaille pas, a trop d’ouvrage! Au Théâtre du Nouveau Monde, en 1976, un collectif féminin mené par Luce Guilbeault présente La Nef des Sorcières, une série de monologues mettant en scène la ménopause, l’objectification du corps de la femme et le célibat et condamnant tous le patriarcat. À une époque où les comédiennes sont toujours considérées comme inférieures à leurs collègues masculins, cette œuvre donnera la parole à plusieurs d’entre elles et marquera les débuts d’une dramaturgie féminine forte au Québec.

Publicité

Deux ans plus tard, cette tendance se poursuit. Le Théâtre du Nouveau Monde produit la pièce Les fées ont soif, de Denise Boucher. L’œuvre réinvente et assassine trois archétypes féminins : la mère (Marie), la putain (Madeleine) et la vierge (la Statue), en plus d’attaquer l’Église catholique et sa manière d’opprimer les femmes. Elle sera au cœur d’une polémique nationale : des groupes religieux feront appel à la justice pour empêcher sa diffusion, et le théâtre devra même fermer ses portes quelques jours. La justice donnera finalement raison à l’équipe de création et au théâtre, et la pièce trouvera son public et marquera l’histoire du théâtre québécois.

« L’écriture de Tremblay rend hommage aux femmes qu’il a connues, des femmes ordinaires qui ne se reconnaissaient pas sur scène jusqu’alors. »

Publicité

Dans les mêmes années, la compagnie du Théâtre Expérimental des Femmes s’interroge sur l’espace qu’ont les femmes pour créer entre elles et diffuser leurs œuvres théâtrales. Comment à la fois créer et déconstruire la figure de la femme véhiculée depuis les débuts de l’histoire dans la dramaturgie? Parmi les membres de cette compagnie, Pol Pelletier, Jovette Marchessault, Lise Vaillancourt et plusieurs autres marqueront la création québécoise. Leurs réflexions mèneront notamment à la création en 1979 du théâtre Espace Go, toujours actif et consacré aux imaginaires féminins.

Plus récemment, en 2016, un groupe de créatrices constate avec accablement tout ce qui reste encore à faire pour atteindre une représentation équitable de leur travail au sein des programmations des théâtres québécois. Autrices, metteuses en scène et conceptrices se rassemblent et donnent vie au mouvement des Femmes pour l’équité en théâtre et revendiquent depuis la place des femmes dans l’espace public ainsi que des conditions de création décentes pour celles-ci – comme quoi le combat pour que le théâtre soit un milieu inclusif et équitable n’est jamais terminé.

Publicité

En 2022, nombreux sont ceux qui diront qu’un éventail de possibilités s’ouvre à nous grâce au combat de plusieurs générations de femmes. Les créateurs et créatrices d’aujourd’hui jouent avec les codes du genre, se réapproprient les œuvres classiques et entament une relecture de l’histoire afin que les femmes puissent s’y inscrire. Comme public, il est de notre devoir de cultiver notre curiosité pour ces démarches qui ramènent les femmes à l’avant-plan, mais aussi pour les brillantes créatrices qui forment notre théâtre.

Puisqu’on parle de brillantes créatrices, mentionnons que l’autrice Rébecca Déraspe signe une relecture de La nuit des rois de Shakespeare qui sera présentée tout prochainement au Théâtre du Nouveau Monde, du 20 septembre au 15 octobre. Pour les billets, c’est juste ici.

Publicité