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De l’amour et des toutous pour donner du sens au drame

Une semaine après la tragédie, les gens défilent encore nombreux à la mémoire des victimes de la garderie de Laval.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Ça nous a bouleversé tout le monde. Ces enfants méritaient de vivre…»

D’une voix étranglée sous son masque, Rose-Marie Bourbonnais se recueille devant l’église Sainte-Rose-de-Lima, où le parvis est jonché de fleurs, toutous et lampions à la mémoire des victimes de la garderie de Laval, située à quelques rues de là.

Une semaine après le drame qui secoue toujours la province, les gens défilent encore nombreux pour rendre hommage aux deux bambins décédés dans la tragédie, aux cinq autres blessés et leurs proches.

Les voitures ralentissent ou se rangent sans cesse en bordure du boulevard devant l’église, où une messe a été célébrée vendredi dernier à la mémoire des enfants, dont un avait été baptisé à cet endroit quelques années plus tôt.

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Des gens qui ressentent le besoin de voir l’amoncellement d’offrandes, prier, méditer, bref, tenter d’absorber l’incompréhensible.

Des gens comme Rose-Marie Bourbonnais, incapable de comprendre sept jours plus tard comment un père de famille au volant d’un autobus a pu faucher ce qu’il y a de plus sacré sur Terre. « J’ai cinq petits-enfants et sept arrière-petits-enfants, dont la plus vieille n’a que deux ans. J’ai immédiatement pensé à eux. Quand j’ai appris ça aux nouvelles, je me suis dit: “ça se peut pas, ça se peut pas!” », raconte, encore sous le choc, cette dame du voisinage.

La photo d’une petite victime et le témoignage de ses parents, relayés la veille dans les médias, ont contribué à renforcer cette incrédulité. « Elle était tellement belle. On dirait que ça se peut pas… », murmure-t-elle à nouveau.

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En retrait, Jeanne-d’Arc Cormier bifurque vers le parvis de l’église sur le chemin de la banque. Elle éclate spontanément en sanglots à la vue du monticule de toutous et de fleurs. « Je trouve ça dur. Je les connais pas [les victimes], mais je trouve ça très dur. J’ai deux petits-fils et deux arrière-petits-fils qui vont à la garderie. Je pense à eux. Il faut soigner les gens malades », plaide la dame de 88 ans, qui habite Saint-Rose depuis 40 ans.

Chaque bouquet ou toutou déposé devant l’église prend la forme d’une jambette à l’horreur inconcevable de la tragédie.

Ses larmes redoublent d’ardeur en songeant à ces enfants partis trop tôt. « Ce sont des petits anges maintenant », se console-t-elle un peu, ajoutant à quel point la vie est aujourd’hui compliquée. Elle revisite avec mélancolie sa jeunesse à la campagne, à une époque où les drames du genre ne faisaient pas les manchettes. Du moins à sa connaissance. « On n’était pas riches, mais on ne manquait de rien. On avait l’essentiel, on avait de l’amour. Moi j’en souhaite à tout le monde, il en manque de nos jours », philosophe l’octogénaire, veuve depuis onze ans. « J’ai eu un bon mari, un homme tendre et doux. Pour moi il est encore là, je lui parle souvent et il m’aide beaucoup… », résume-t-elle, avant de reprendre son chemin vers la banque en s’essuyant les yeux.

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Peut-être à cause de la Saint-Valentin, mais plusieurs personnes croisées se souhaitent, comme Mme Cormier, de l’amour. Comme si chaque bouquet ou toutou déposé devant l’église prend la forme d’une jambette à l’horreur inconcevable de la tragédie.

Un jeune couple débarque à son tour d’une voiture, chacun d’eux traînant dans la main une gerbe de fleurs. Les amoureux déposent leurs bouquets dans l’amoncellement, avant de se recueillir un bref moment, le visage long. Chris, le jeune homme, ramasse un cierge parmi le tas multicolore, avant de l’allumer et de se signer de la croix. Sa copine Ani a les yeux rougis. « On a une petite fille de deux ans dans une garderie pas loin. Ça nous touche énormément. On n’arrive pas à imaginer, juste l’idée que…», confie la jeune maman, incapable de formuler le pire cauchemar qui soit pour des parents.

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« Les enfants, on touche pas à ça! »

À un peu moins de deux kilomètres de là, cette vision de solidarité se répète en face de la garderie éducative Sainte-Rose où, là encore, des dizaines, voire des centaines de bouquets, toutous, messages et lampions forment une dune sur la neige.

Après l’horreur et la cohue, le silence est total, sauf pour le gazouillis des oiseaux. Le soleil plombe sur la garderie, dont la façade barricadée rappelle la violence des évènements. Quelques oursons en peluche sont accrochés à la clôture en face de l’établissement fermé, à côté d’un conteneur rempli de débris.

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Des gens circulent à l’intérieur de la garderie. La propriétaire vient d’ailleurs de partager au moyen d’une lettre envoyée à La Presse le sentiment d’impuissance qui la hante depuis le drame. Impuissance devant la perte de ces « deux petits papillons partis trop tôt », mais aussi un sentiment de colère envers la police de Laval, qui l’a empêchée de fondre à la garderie prêter main-forte à ses éducatrices ce jour-là, en la refoulant derrière le périmètre de sécurité.

Des automobilistes émergent à intervalle régulier dans le rond-point, laissent tourner le moteur en roulant à basse vitesse dans le monticule, puis repartent. D’autres débarquent de leur véhicule, se recueillent, prennent des photos.

« Le tas de toutous n’arrête pas de grossir, je suis sûr que ça va continuer encore un bout. »

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De l’autre côté du rond-point, il y a un arrêt d’autobus de la Société de Transport de Laval (STL). Un circuit achalandé, note un voisin, qui voit régulièrement des autobus garés à cet endroit, durant les pauses des chauffeurs. « Fermer le moteur de l’autobus durant le temps d’attente », peut-on lire sur une pancarte au milieu du rond-point.

Le chauffeur de la STL à l’origine du drame était familier avec l’endroit, dit-on, même si les autorités se perdent toujours en conjectures pour expliquer ce qui a pu se passer.

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« On a tous des enfants. Ma fille entre au cégep et ça me fait quand même quelque chose », souligne René, un employé des environs en pause qui a fait un crochet au volant de son camion de compagnie pour venir rendre hommage aux victimes. « Il y a un visage sur la tristesse maintenant [la photo de la petite Maëva qui circule]. Ça nous touche, c’est incroyable », soupire-t-il.

Deux piétonnes s’amènent dans mon angle mort, pour les mêmes raisons. « C’est dur, c’est incompréhensible, on souhaite tout le soutien possible aux parents qui vivent ces émotions. Les enfants, on ne touche pas à ça! », affirme-t-elle, dans un mélange de hargne et de tristesse.

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Marc, un voisin, dit venir tous les jours depuis la tragédie. Plusieurs fois même. Ça lui fait du bien, justifie-t-il. « Ça nous affecte beaucoup ma femme et moi. Le tas de toutous n’arrête pas de grossir, je suis sûr que ça va continuer encore un bout », croit l’homme, mentionnant que le rond-point est encore plus achalandé le soir. « Il y a un paquet de lampions allumés. C’est beau… Enfin, tu comprends ce que je veux dire…»

« J’essaye de penser à autre chose »

Je frappe à la maison voisine de la garderie, là où habite Hamdi Benchaabane, un des hommes qui a maîtrisé le chauffeur avec quelques parents.

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Le samaritain ouvre la porte, les traits fatigués après une semaine aussi longue que surréelle. Une semaine qui s’est amorcée dans le vacarme d’une collision, les cris d’horreur des éducatrices, ceux d’enfants en détresse d’enfants coincés sous le bus et la vue du chauffeur en crise en train de retirer ses vêtements.

« Je n’ai pas dormi pendant deux jours. »

« Ça va mieux par rapport aux premières journées. J’essaye de penser à autre chose. Je n’ai pas dormi pendant deux jours et ensuite j’ai pu le faire quatorze heures en ligne. Ça m’a fait du bien », explique Hamdi, qui a pu témoigner du drame en direct à travers la fenêtre de sa chambre à coucher et de son salon avec sa famille.

Il s’explique toujours mal le courage et la force de caractère de sa fille de sept ans, qui a repris l’école même si un des enfants décédés est le petit frère de son camarade de classe. « Elle a reçu de l’aide psychologique à l’école. Sinon, on lui a expliqué que les deux enfants sont allés rejoindre son grand-papa avec Dieu et qu’ils vont maintenant s’amuser ensemble », explique Hamdi, qui a aussi bénéficié d’un soutien psychologique auprès d’un Centre d’aide aux victimes d’actes criminels.

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Le drame lui a rappelé la perte d’un ami d’enfance, mort d’un arrêt cardiaque devant lui en jouant une partie de soccer il y a quelques années. « Ça m’est revenu directement en tête. Je suis d’ordinaire calme, mentalement fort, mais ces images reviennent automatiquement, surtout les deux premières nuits », admet Hamdi, qui tente maintenant de reprendre un semblant de vie normale. « Quand j’ai rien à faire, j’essaye d’aller faire un tour pour me changer les idées. Je suis resté aussi en contact avec les quatre autres parents qui m’ont aidé à maîtriser le chauffeur. On s’appelle chaque jour », souligne-t-il.

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Hamdi se remet aussi du cirque médiatique qui a frappé ce proverbial quartier sans histoire, lui qui calcule avoir reçu entre 100 et 150 appels de journalistes les premiers jours, en plus de ses présences au micro des plus grandes émissions, ici comme ailleurs. « Je ne sais toujours pas comment ils (les médias) ont eu mon numéro. Ce n’est pas mon genre en tout cas, je préfère en général faire ma petite affaire. On me posait souvent une question niaiseuse: “comment vous êtes-vous senti quand c’est arrivé?” », relate le voisin, qui d’avis que la réponse est assez évidente.

Il croule aussi sous les messages reçus en privé sur les réseaux sociaux, de toutes sortes. « Des gens qui travaillent 12-13 heures par jour et réalisent que la vie est fragile et qu’ils doivent passer plus de temps avec leurs enfants », rapporte Hamdi.

Ce dernier devra encore un peu patienter pour passer à autre chose, puisque la garderie, en ruine, les toutous et les nombreux badauds sont toujours bien visibles sous le pas de sa porte, perchée au deuxième étage d’un bloc-appartements. « Le matin c’est calme, mais les voitures reviennent le soir sans cesse. Il y avait deux femmes âgées de l’Alberta hier venues expressément pour ça. J’ai passé une heure avec elles », raconte-t-il.

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Difficile d’en vouloir aux gens de venir se recueillir, même une semaine plus tard. La tragédie dépasse les frontières de l’Île-Jésus et le deuil s’étend bien au-delà des familles directement touchées. Tout le monde ou presque a pu se projeter dans l’horreur ultime, celle de perdre un enfant de manière aussi brutale.

Les fleurs, toutous, lampions abandonnés devant la garderie et l’église illustrent bien cette douleur collective, tout comme ces dessins et affiches déposés par les enfants de plusieurs autres garderies à travers la province.

Des enfants qui ont malheureusement déjà perdu un peu de leur innocence.