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De la pub, sans pauses publicitaires

Par
Steve Proulx
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La pub, ça défriche toujours de nouveaux territoires. Désormais, elle investit jusqu’au contenu de nos films et de nos émissions de télé. Et on n’a encore vu que la pointe de l’iceberg…

La télé, petite pute de la pub…

La télé fait tout pour jouir des dollars publicitaires. Elle va même jusqu’à vendre son corps : le contenu de ses émissions. Dans un contexte où les chaînes se multiplient, où le peuple s’engraisse de moins en moins souvent devant le tube cathodique et où les enregistreurs numériques (qui permettent de « sauter » les messages publicitaires) se démocratisent, trouver de nouvelles cases publicitaires est devenu une question de survie pour les télédiffuseurs. « Dans l’industrie de la publicité, il y a eu un questionnement concernant l’efficacité des chaînes généralistes à rejoindre une grande masse de personnes, explique la journaliste spécialisée en publicité Emmanuelle Garnaud. De ce questionnement a découlé celui entourant la rentabilité de la publicité. Il y a vraiment une remise en question des annonceurs concernant l’efficacité du bon vieux message publicitaire de 30 secondes. »

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La pub télé fait moins mouche. Selon une étude américaine citée dans le magazine L’actualité, un message publicitaire doit être télédiffusé 70 fois pour toucher au moins 50% des Américains. En 1980, on l’aurait diffusé seulement trois fois pour obtenir le même résultat! C’est le dilemme. Si elle veut continuer à offrir des émissions « de qualité », la télé doit prouver qu’elle peut encore vendre les marques de ses clients. Une façon d’améliorer la portée d’un message au milieu de cette congestion promotionnelle : l’intégrer à l’intérieur même des émissions de télévision. « Ce dont on parle actuellement, c’est de la disparition du cloisonnement entre le contenu et la publicité, poursuit Emmanuelle Garnaud. C’est une frontière qui est en train de devenir de plus en plus floue. »

« Aujourd’hui, on admet que le responsable du placement médias dans les agences doit être aussi créatif que le créatif qui concevait les messages publicitaires il y a 20 ans, dit le professeur en marketing social de l’Université Laval Claude Cossette. S’occuper du placement médias, c’est non seulement décider d’annoncer à la télévision pour rejoindre un certain public, mais c’est aussi trouver une façon originale de se marier à telle ou telle émission afin d’obtenir une meilleure place pour le produit ou le service à promouvoir. »

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C’est la pub dans le contenu. Et tout un vocabulaire s’est déjà développé autour du concept. On parle de placement de produits, de branded content, de branded entertainment, mais aussi d’advertorial dans le monde du magazine et d’advergaming dans l’univers du jeu vidéo. Parce que la pub dans le contenu, ça ne se retrouve pas uniquement à la télé…

Le domaine est en ébullition. Selon une étude de PQ Média, la valeur des placements de produits à la télévision américaine a augmenté de 46,4% en 2004, pour s’établir à 1,88 milliard $US. De son côté, le « divertissement commandité » (branded entertainment) représente cette année, toujours aux États-Unis, un marché estimé à plus de 100 millions $US.

Les Reese’s Pieces d’E.T.

Il était si mignon, E.T. l’extraterrestre, quand il s’empiffrait de chocolats Reese’s Pieces! En 1982, parce que la friandise a trouvé une place dans le célèbre conte de science-fiction de Steven Spielberg, les ventes de Reese’s Pieces ont bondi de 65%. Le placement de produits au cinéma existait autrefois de façon plus ou moins informelle, mais l’exemple de Reese’s Pieces a permis de démontrer hors de tout doute l’incroyable efficacité de la stratégie.

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Si le cinéma est, depuis E.T., devenu une véritable usine à promouvoir toutes les marques de l’arc-en-ciel (qu’est-ce que le film Cast Away, sinon une longue pub pour FedEx?) la télé n’est pas en reste. Or, le placement de produits est devenu une industrie de plus en plus organisée. Une boîte new-yorkaise, iTVx, se spécialise même dans l’analyse de la valeur d’un placement de produits à la télévision. La boîte a ainsi déterminé qu’une certaine apparition de la marque Coca-Cola à l’intérieur de la populaire émission American Idol aurait, à elle seule, valu 1,8 million $US. Pourquoi? Selon une explication rapportée dans Inc. Magazine (octobre 2004), deux verres de Coca-Cola étaient posés sur la table des trois juges lors d’un épisode particulier. Puisqu’un spot publicitaire de 30 secondes diffusé à cette heure de grande écoute est vendu 350 000 $, les analystes d’iTVx ont déterminé que Coca-Cola avait obtenu près de 9 minutes de visibilité lors de cette seule émission. Non seulement le logo était-il bien en vue, mais à un certain moment, un des juges a pris une gorgée du breuvage brun. Un geste lourd de conséquences!

Coca-Cola n’a probablement pas déboursé un tel montant pour jouir d’une visibilité dans American Idol. La prochaine fois cependant, elle devra peut-être le faire pour éviter que les juges ne se désaltèrent au Diet Pepsi… Récemment, Toyota a payé 16 millions $US pour commanditer l’émission The Contender (une téléréalité produite par Sylvester Stallone). Sur le compte, environ 6 millions $US étaient alloués à l’intégration des produits Toyota dans l’émission. Ainsi, on a pu voir les concurrents de l’émission remplir un camion Toyota de 10 ballons médicinaux. Le gagnant du défi remportait… un camion Toyota, évidemment!

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La téléréalité n’est pas seulement une façon facile d’attirer des auditoires, elle se prête aussi merveilleusement bien au placement de produits. On n’a qu’à penser aux fameux « soupers des filles » dans Occupation double, où le chef Métro était invité chaque semaine à venir présenter les mets qu’il avait préparés. Et que dire de Ma Maison RONA? Non, l’émission ne s’intitule pas Ma Maison Rona seulement parce que ça fait joli…

Tout pour la marque!

Certains pourraient arguer que la présence de marques réelles à l’intérieur des films ou des émissions de télé ajoute du « réalisme » à l’histoire. Peut-être déchanteront-ils lorsque ces marques passeront de simples figurants à premiers rôles… Parce que ce que les Français appellent le « branded entertainment » représente la voie de l’avenir. « On parle de dramatiques dans lesquelles on pourrait tourner les textes autour d’un produit, explique le vice-président Produits médias chez Cossette Médias Luc-André Cormier. Ce sont des choses qui sont en voie de se réaliser. Il y a de plus en plus d’ouverture d’esprit autant chez les réseaux que chez les producteurs. Si je vous parlais des projets sur lesquels on travaille actuellement, vous tomberiez sur le dos… »

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Les exemples de cette forme de publicité dissimulée sont encore peu nombreux, mais on en trouve néanmoins. Cet été, MusiquePlus présentait l’émission Cool La Soif, une sélection de vidéoclips hip-hop présentée par nul autre que le petit personnage des publicités de 7-Up. Parce que 7-Up ne désirait pas continuer le financement de l’émission, elle n’a pas été reconduite cet automne.

Afin de développer de nouvelles formes e publicités intégrées à du contenu, Cossette a lancé une nouvelle filiale, Ricochet Création. La phrase qui ouvre le site Internet de l’entreprise en dit long sur ses visées : « Imaginez… une série télévisée conçue sur mesure pour vanter les mérites d’une grande marque automobile. »

L’imaginez-vous?

Les Marlboro de Lois Lane

En 1983, dans le film Superman II, on peut voir la reporter Lois Lane défoncer les portes dans un milieu traditionnellement masculin… tout en grillant cigarette après cigarette. Femme de tête, typique des années 80, elle représente un modèle fort pour les adolescentes de l’époque. Mais pourquoi fume-t-elle? En cinquante années de bandes dessinées, la version crayonnée de Lois Lane n’a pourtant jamais inhalé autre chose que les effluves de testostérone de Clark Kent? C’est que pour le film Superman II, Marlboro aurait déboursé un montant de 42 000 $ pour voir apparaître la marque à 22 reprises dans le film. Or, non seulement Lois Lane a-t-elle toujours un paquet de Marlboro à portée de main, mais dans une certaine scène, Superman se bat au beau milieu de panneaux publicitaires affichant le nom de Marlboro et un camion arborant le logo apparaît à un autre moment du film… L’histoire d’amour entre Marlboro et Superman n’a toutefois pas connu de suite dans Superman III. Selon des documents internes émanant du propriétaire de Marlboro (R.J. Reynolds), les négociations entre la marque et les producteurs de Superman III auraient achoppé lorsque ces derniers auraient « refusé de changer une scène-clé qui aurait montré les cigarettes sous un mauvais jour… » On se souviendra que dans Superman III, de la kryptonite était mélangée à du goudron à tabac afin de rendre vilain notre bon vieux superhéros…

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Ce texte est issu du numéro 10 spécial Médias | automne 2005