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De la nécessité de promener son chien au moins une heure par jour

Une nouvelle loi allemande obligera les propriétaires à sortir pitou deux fois par jour, trente minutes chaque fois. Un exemple à suivre?

Par
François Breton-Champigny
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«Pourrais-tu sortir Jeanne stp? Elle a pas beaucoup bougé aujourd’hui et je vais arriver tard!»

Quand ma voisine et amie m’envoyait ce genre de message, j’acceptais toujours avec joie. Je descendais les quelques marches pour aller chez elle et quand j’ouvrais la porte, Jeanne, affectueusement rebaptisée Jeannette par ma blonde et moi, trépignait sur place en pleurnichant, aussi excitée d’aller faire le tour de la ruelle qu’un ado qui reçoit une PlayStation 5 à Noël (ou serait-on rendu à la 6?).

Dans ma tête, on sortait un chien 10-15 minutes le matin avant d’aller travailler et un autre 15-20 minutes max le soir en revenant de la job la semaine. Peut-être un peu plus lors des sorties les fins de semaine et c’était ben en masse.

Les quelques clébards qui avaient la chance de s’énerver au parc à chien tous les soirs bénéficiaient d’un luxe inouï.

Alors quand j’ai vu un article de The Guardian qui parlait d’un projet de loi en Allemagne visant à obliger les propriétaires de chien à promener leur bête deux fois par jour pendant une demi-heure minimum chaque fois, j’ai un peu sursauté.

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«Eh boy! Pas sûr que ça passerait ici ça!», me suis-je dit. En parlant autour de moi, et en lisant davantage d’articles sur le sujet, j’ai réalisé que la question entourant les minutes quotidiennes d’exercice des pitous était quasiment autant polarisante que l’enjeu du masque dans les lieux publics. OK, peut-être juste un peu moins.

Alors, est-ce que c’est une bonne idée? Est-ce vraiment réaliste? Qu’en est-il de la situation ici, dans la Belle Province? J’ai décidé de mener une enquête qui ferait de l’ombre au scandale d’Éric Salvail pour aller au fond des choses.

Pas les mêmes besoins pour tous les toutous

Pour savoir ce qu’en pensent les principales intéressés, aka les propriétaires de chien, j’ai entamé un pèlerinage vers la Mecque des parcs à chien à Montréal: celui du parc Lafontaine.

Repère foisonnant de pitous de toutes sortes, le grand espace grillagé juste à côté des terrains de tennis attire des dizaines de propriétaires des quatre coins de la ville tous les jours. Sauf peut-être le jeudi après-midi à 14h15 lorsqu’il vient d’avoir une petite averse, comme je peux le constater en arrivant sur les lieux.

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«T’es pas chanceux, habituellement c’est plein de chiens ici», lance Thea juste pour tourner le fer dans ma plaie, l’unique âme du spot accompagnée de Panda, un vigoureux labrador blond qui se jette sur moi tout souriant dès que je m’approche un peu.

Arrivée d’Australie en janvier, Thea m’explique que Panda n’est pas à elle, que c’est plutôt l’un des chiens dont elle s’occupe quotidiennement. «J’ai commencé à faire marcher des chiens parce que c’est une job facile qui ne nécessite pas de diplôme et qu’il y avait beaucoup de demandes. Et évidemment, j’adore les chiens», confie la native de Canberra.

Elle me confie s’occuper en moyenne de trois chiens par jour depuis qu’elle s’est lancée en «affaire». Des amis poilus, elle en a vu passer un paquet depuis les derniers mois, mettons.

«C’est absurde! Tous les chiens n’ont pas besoin de faire la même quantité d’exercice dans une journée!»

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Quand je lui explique le but de mon article et la polémique entourant la nouvelle loi allemande, Thea n’y va pas de main morte. «C’est absurde! Tous les chiens n’ont pas besoin de faire la même quantité d’exercice dans une journée!»

Selon elle, chaque canidé est différent et il est donc impossible d’imposer une loi «one size fits all» pour ce genre de chose. «L’un de mes chiens marche 30 minutes maximum et il est brûlé pour le restant de la journée. D’autres, comme Panda, peuvent courir après des bâtons pendant des heures et ça ne semble jamais assez», explique-t-elle.

Panda qui attend impatiemment que Thea lance le bâton pour la 132e fois.
Panda qui attend impatiemment que Thea lance le bâton pour la 132e fois.
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Effectivement, depuis que je suis arrivé, Panda ne laisse aucun répit à Thea, qui doit constamment lui lancer le bâton sous peine de jappements assourdissants.

«Hey! It’s your friend!», lance-t-elle en regardant par-dessus mon épaule. Quand je me retourne, une vision prophétique apparaît: un autre propriétaire de chien avec son molosse!

Tout comme Panda à mon arrivée, je me jette dessus. Sans baver sur ses shorts en lui sautant sur les cuisses, cela dit.

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Mohammed et Ritz sont des habitués de la place. Ça saute aux yeux que Ritz et Panda ont déjà fraternisé par le passé, puisqu’ils se sentent à peine le péteux avant de commencer à galoper à travers la garnotte en se chamaillant.

«Même si j’habite downtown, je viens ici pareil. Ritz adore ça et c’est l’un des plus beaux parcs à chien de l’île» confirme Mohammed, venant appuyer mon opinion.

Je m’empresse de lui expliquer la raison de ma présence, pour ne pas avoir l’air du gars weird trop gaga des chiens qui va au parc à chien un jeudi après-midi, sans chien.

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«C’est quasiment impossible de respecter ça tout le temps», déclare d’emblée Mohammed. Travaillant pour une compagnie de déménagement, il raconte que son horaire atypique ne lui permettrait vraisemblablement pas de promener son Rottweiler une heure par jour 7 jours sur 7.

Mohammed et Ritz, qui vient de voler le joujou à Panda.
Mohammed et Ritz, qui vient de voler le joujou à Panda.

«De toute façon, après 30 minutes à s’énerver ici, il est crevé, il n’a pas envie de ressortir pour une autre longue balade plus tard», ajoute-t-il, alors que Ritz a sournoisement volé le bâton de Panda pendant que celui-ci s’émerveille devant un écureuil bondissant d’une branche à l’autre.

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Il est du même avis que Thea: chaque chien a des besoins différents et une loi qui mettrait des balises aussi strictes ne fonctionnerait jamais.

«Comment font-ils pour déterminer que chaque chien doit absolument bouger une heure? Et si ton chien est malade ou vieux? Est-ce que tu vas l’obliger à sortir pour respecter la loi? C’est ridicule» laisse-t-il tomber en riant, tandis que Ritz me passe entre les jambes, imprégnant mes shorts de salive visqueuse juste avant mon retour au bureau.

Le meilleur des mondes… de chien

«Je ne dirais pas que l’idée est mauvaise. C’est ce qu’il faudrait faire dans le meilleur des mondes, lance Andrée Gibeault, technicienne en santé animale depuis 10 ans, copropriétaire d’Animex, un service d’ambulance pour animaux, et maman de deux chiens lorsque je la questionne sur la pertinence d’une telle loi. Mais la réalité, c’est qu’il est difficile d’assurer cette quantité d’exercice quotidienne avec le style de vie métro, boulot, dodo que la majorité des gens mène. Il y a aussi des personnes à mobilité réduite ou en situation d’handicap pour qui c’est impossible», amène-t-elle.

«Il faut savoir être attentif et s’adapter. Négliger cela peut avoir des conséquences néfastes à long terme, comme de l’anxiété, de l’embonpoint et de l’agressivité.»

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Tout comme Thea et Mohammed, elle croit que d’imposer le même carcan à toutes les situations est illogique puisque chaque chien, selon la race, l’âge et la santé physique, a des besoins différents. Cela dit, elle tient à faire la part des choses. «C’est important de combler les besoins de son animal en termes d’exercice. Il faut savoir être attentif et s’adapter. Négliger cela peut avoir des conséquences néfastes à long terme, comme de l’anxiété, de l’embonpoint et de l’agressivité», explique Andrée.

Pour illustrer ses propos, la technicienne prend en exemple ses deux pitous. «J’en ai un de moyenne taille et un autre plus gros. Le premier est une boule d’énergie qui pourrait courir non-stop pendant des heures. L’autre, c’est une couch potato. J’ai de la misère à lui faire faire le tour du bloc».

Andrée partage également l’avis de Mohammed quant à la faisabilité de faire respecter une telle loi. «Admettons que j’ai une gastro et que je ne peux pas sortir mes chiens 1 heure cette journée-là, la police va venir me donner une amende? Mes voisins vont me chronométrer et me stooler aux autorités si je ne sors pas mes chiens assez? Qui s’assurerait que ça soit respecté? Ça a pas de sens. Ça créerait plus de situations problématiques qu’autre chose», admet-elle.

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Selon elle, il vaudrait beaucoup mieux sensibiliser les gens sur la santé des animaux à travers des campagnes publicitaires et créer des organismes à cet effet plutôt que d’imposer une loi. «L’éducation est à la base d’une saine relation avec son animal».

Et à Montréal, est-ce que les gens sortent assez leur chien? Pas vraiment, selon la copropriétaire d’Animex. «Je ne veux pas pointer du doigt les Montréalais. Je comprends que quand t’habites dans une tour de logements dans un quartier où les espaces verts sont rares, ça peut être difficile de prendre le temps d’amener son chien se dégourdir les pattes. Idéalement, il faudrait plus de parcs à chien accessibles un peu partout sur l’île», admet-elle.

Mme Plante, ne cherchez plus. J’ai trouvé votre prochain projet.