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De la lassitude devant la connerie

Par
Judith Lussier
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Parce que parfois, on préfère se taire.

Il m’arrive souvent de ne pas vouloir argumenter. Quand un chauffeur de taxi me dit que la rue Sainte-Catherine est remplie de tarlouzes qui iront en enfer, vous pensez peut-être que je sors mon costume de Superman et que je lui révèle, dans sa face, que je suis gouine comme un camion, que je n’irai pas en enfer, que j’ai les mêmes droits que lui et que j’ai même envie d’avoir des enfants.

Ben non. Je ne fais pas ça. Je me tais. Au pire, je ris dans ma barbe (ma barbe de lesbienne), en me disant qu’il ne sait pas à qui il s’adresse, le pauvre.

Si on était en 1970, je me tairais sûrement par crainte d’être déposée à une autre adresse que celle demandée, battue et laissée pour morte sur un perron d’église. En 2012, ce n’est pas la peur, qui me fait taire. C’est la lassitude. La lassitude qui me fait me demander comment se fait-il qu’il y ait encore des gens qui pensent ça, que les homosexuels iront en enfer. La lassitude qui me fait me demander par où commencer, donc, pour faire changer d’idée une personne qui en est là dans sa réflexion sur l’homosexualité. La lassitude qui me dit que ce n’est pas dans une course de 10 minutes que je vais changer les valeurs forgées depuis 1950 d’un pauvre chauffeur de taxi. La lassitude qui m’évite, finalement, de dépenser de l’énergie pour rien et de gâcher ma journée au profit d’une personne qui ne pense pas comme moi.

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Alors je laisse le chauffeur de taxi s’enfoncer seul dans son discours haineux. Au pire, je lui poserai quelques questions stupides, comme «êtes-vous certain qu’ils iront en enfer?», ou «qu’est-ce qui vous rend si certain de ça?». Au pire, je lui dirai, en sortant de sa voiture, que je m’en vais rejoindre ma blonde. Ainsi il passera peut-être le restant de la journée à se trouver un peu con ou à se sentir comme moi quand j’ai dit «c’est qui la madame avec une grosse tache de vin dans la face» à un gars dont c’était la mère.

Tous les autres jours de ma vie, je défends les droits des homosexuels, essayant d’éveiller les gens à ce qui nous rassemble plutôt qu’à ce qui nous désunit, démystifiant l’homosexualité dans les écoles, répondant aux questions des jeunes, comme «qui fait l’homme et qui fait la femme?», et saisissant chaque occasion d’écrire sur le sujet.

Mais cette fois-là, dans le taxi, je n’ai rien dit. Je n’ai rien dit non plus à mon beau-père quand il m’a dit ce qu’il pensait de la Commission Charbonneau (que c’est une grande dépense inutile). Même si c’est lui, et pas moi, que ça divertit plusieurs heures par jour, nous n’étions pas d’accord. À quoi bon s’obstiner?

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Il y a toute une différence entre moi qui se désengage devant l’ignorance d’un chauffeur de taxi et la mollesse avec laquelle l’animateur Jacques Fabi a géré la Maria qui a dérapé sur les ondes du 98,5 dans la nuit de jeudi à vendredi. Il y a au moins quelques milliers d’auditeurs de différence, je dirais.

Mais il y a peut-être quelque chose de similaire. Quelque chose comme de la lassitude. Je ne dis pas ça pour excuser monsieur Fabi, mais pour tenter de le comprendre. Se peut-il que, loin d’être l’antisémite qu’on l’accuse d’être, Jacques Fabi ait trouvé les propos de Maria si déplacés qu’il n’ait même pas jugé bon de les remettre à leur place, de les contredire, de les discréditer, de les raisonner, de les défaire? Si monsieur Fabi n’avait pas dit que les Juifs avaient «parfois un comportement emmerdant», on pourrait peut-être penser ça.


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