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Ce texte est extrait du #16 spécial Filles | Été 2007
Urbania a invité des plumes d’ici à participer à un trip à six original. Et voilà le résultat: une nouvelle à relais, à la sauce chick lit, pour plaire aux filles urbaines, névrosées et superficielles… Un cadavre exquis, façon Sex and the City.
1. Rafaële Germain
Journée in-cro-ya-ble. Je m’étais levée tôt, vers 11h30, mais comme ma boss nazie insiste pour que je rentre à 10h (gah), j’ai dû me dépêcher pour choisir ce que j’allais mettre: un drame en tout temps, mais un véritable cauchemar le jour d’une date.
J’avais rendez-vous plus tard avec Max, que je n’ai pas revu depuis notre one-night à cause d’un quiproquo ridicule: nous pensions tous les deux que c’était à l’autre de rappeler?! Julie le répète souvent: «C’est à cause de détails comme ça qu’on est encore célibataire à 30 ans», et je me dis que c’est 1) pas fou et 2) plutôt sage, même s’il est écrit dans tous les livres de croissance personnelle que le célibat n’est pas une tare.
Rencontre au sommet avec Julie: Max était-il plus du genre rockeuse, hippie-chic ou sexy? Après deux Bloody Caesars, notre choix s’est arrêté sur des jeans taille basse, mes bottes Harley, une camisole et des lunettes d’aviateur. Le fameux combo « Caroline Néron ». Il ne me restait plus qu’à acheter un chihuahua en route, et on n’y verrait que du feu.
Vers 14h, j’arrivais à la boîte de production. Après avoir rampé entre les bureaux pour éviter Olga la louve des SS, j’ai pris un moment pour penser au privilège que j’avais d’avoir une vie intérieure aussi trépidante. J’ai lu mes mails: « Lily, j’ai pas de tes nouvelles! As-tu enfin un homme dans ta vie? » Ma mère. Je la soupçonne parfois d’écrire à Louise Deschâtelets pour s’épancher sur mon cas.
J’avais en plus un début de bouton sur le menton. Pourquoi fallait-il que mes pores se rebellent toujours au pire moment? J’ai appelé Julie. J’avais décidemment besoin d’un cosmo.
2. Madame blonde
Ce qu’il y a de bien dans le fait d’avoir une amie qui fait son doctorat et dont la mère est riche, c’est que ma donjuanesque copine est toujours prête à laisser la rédaction de son doc pour secourir une amie en détresse. À 182 de Q.I. Julie assume parfaitement son statut de « fille à maman » et sa devise « le doc peut attendre, le cosmo jamais » contribue largement au retour du sex-appeal en philo.
J’ai donc entrepris de slalomer jusqu’à la sortie avec l’espoir fou de ne pas être repérée par Nazi Girl. Dieu merci, la production du talk-show le plus couru en ville est une telle ruche d’égos que si on sait s’y prendre, il est extrêmement facile de passer inaperçu. D’autant plus qu’un doute refusait obstinément de lâcher prise à propos du beau Max. À quoi s’attendre d’un gars qui m’avait outrageusement draguée dans les toilettes d’une hyper taverne? Une hyper relation? Une hyper désillusion?! C’est préoccupée par cette question d’importance que j’ai foncé, tête baissée, sur le tank allemand qui me sert de boss. D’un coup d’œil impitoyable, elle a considéré l’ensemble de mon œuvre: le combo Caroline Néron, les cheveux sauvages soigneusement décoiffés, censés appeler la bête en rut chez l’homme.
« Tiens, Lily.Il ne te manque qu’un chihuahua ».
Ugh. À cet instant précis, je me suis demandé ce que les chimistes chez Chicklet’s attendaient pour inventer une gomme à centre liquide au goût de cosmo. Au moment d’être renvoyée devant toute l’équipe de production, j’en aurais eu désespérément besoin. Je me préparais, résignée, à chercher une autre job de rêve quand une chose étonnante s’est produite. Olga a hoché la tête, satisfaite. J’avais toutes les qualifications requises. Ma mission? Très simple. Le réalisateur serbo trash Goran Pavlovic, dont le film « Putois » racontait les amours révolutionnaires d’un rebelle afghan, débarquait à Montréal, expressément invité par l’Animateur Tout Puissant de « Buzz ».
Non seulement le film traînait une réputation sulfureuse à cause d’une scène explicite avec une brebis, mais Goran, apparemment furieux de n’obtenir que la Palme du meilleur scénario, s’était rendu célèbre en jetant sa palme sur le président du jury, un Grec qui avait eu le gros orteil fracassé par la palme en question. La photo de Goran avait fait le tour du monde, l’enfant terrible était l’homme de l’heure et sa réputation de séducteur en série avait fait le reste… Son avion atterrissait dans une heure.
Et qui était l’heureuse élue pour accueillir ce psychopathe serbe, ce génie amateur de brebis, ce fou furieux des palmarès, alors qu’elle avait enfin rendez-vous avec le Max de ses rêves?!?
J’avais décidément, et désespérément, besoin d’un cosmo.
3. India Desjardins
Je suis retournée à mon bureau après avoir informé Julie de la situation. Elle m’a répondue, optimiste: « Peut-être que c’est l’homme de ta vie. »
Une autre raison du célibat des filles de 30ans : croire qu’être la personne désignée pour aller chercher un séducteur notoire à l’aéroport fait de vous la Meg Ryan/Julia Roberts de votre propre existence pourtant non hollywoodienne.
J’ai dû googler Goran. Je n’ai jamais vu ses films et il me faudra trouver des sujets de conversation avec lui. J’ai donc tapé le nom du réalisateur dans Google d’une main et composé le numéro de téléphone de ma mère de l’autre (oui, bon, il ne faut pas chercher de lien, il n’y en a aucun. Même Freud, après une psychanalyse poussée, n’en trouverait pas, alors…).
« Allô, mom, j’ai eu ton e-mail. Je veux te dire que oui, j’ai un homme dans ma vie, il s’appelle Boris et c’est mon futur chihuahua. »
J’ai vu apparaître la photo de Goran Pavlovic. Pas laid. Mais un air fendant trop nul.
« Achète-toi pas de chien! Je t’ai demandé de garder ma perruche quatre jours et tu l’as tuée.
— Est-ce que je pouvais deviner que les oiseaux ne buvaient pas d’alcool? Je trouvais que sa vie avait l’air morne, je voulais lui remonter le moral. Je l’ai traitée en égale. »
Jeune réalisateur ambitieux… Voyage à travers le monde… Rêve de travailler avec Spielberg… Typique. Intello qui crache sur tout un jour, mais prêt à devenir mainstream à la moindre occasion.
« En tout cas, c’est du passé. Écoute, Nicole a un fils de ton âge et j’ai pensé arranger un petit rendez-vous…
— Oooooh nooooon! Mamaaaaaaaaan! »
Après avoir raccroché, je me suis dirigée vers les toilettes et j’ai croisé Pseudo-Nazi, alias ma boss.
« Tic tac, tic tac! On ne voudrait pas arriver après l’avion de monsieur Pavlovic, non? »
J’ai attrapé un café en vitesse et j’ai sauté dans un taxi. En route vers l’aéroport, j’ai réfléchi. Si Goran a refusé un prix prestigieux qui ne faisait pas son affaire, pourquoi j’accepte une relation avec Max qui ne fait pas la mienne?
4. Marie-Julie Gagon
Je suis arrivée pile poil à l’heure, mais le vol avait un peu de retard. J’en ai profité pour texter Julie sur mon Sidekick incrusté de cristaux Swarovski (so last year, je sais) pour lui faire part de mes doutes à propos de Max. J’ai à peine eu le temps d’apercevoir les points d’interrogation de sa réponse qu’un mec à l’accent pointu m’a lancé:
« Hey, Paris, tu peux bouger ton joli derrière?
J’étais 1) intriguée (quel mec sait que Paris Hilton possède le même téléphone?), 2) outrée (pour qui se prend-il celui-là?) et 3) flattée (il a quand même dit que j’avais un joli derrière). Je me suis retournée après avoir décidé que le point 2 l’emportait. J’ai relevé le menton, et me suis préparée à charger mes yeux, maintenant fusils.
— J’attends…
Frrrroung. Pause. La foudre. Comme dans «coup de foudre». Prenez le regard mystérieux de Johnny Depp, la bouche sensuelle de Channing Tatum, la carrure et la nonchalance de Matthew McConaughey, et vous pourrez imaginez la puissance visuelle de ce qui a envahi, à cet instant précis, non seulement mon champ de vision, mais ma bulle au complet. J’ai recouvré mes esprits et mon regard calibre 12,7 mm. Play.
— J’attends quelqu’un, ai-je dit en me raclant la gorge.
— Moi aussi, et ce serait bien si je pouvais reprendre mon sac.
J’ai aperçu le talon de ma botte droite sur la ganse de son fourre-tout d&g. Ce Mister Perfect est gai, c’est sûr.
Des cris m’ont tiré de l’embarras de la situation. Goran Pavlovic était arrivé, escorté par deux gardiens de sécurité.
— Merde, sifflai-je en même temps que Mister Perfect.
Nous avons fronci tous deux les sourcils, mais pas le temps d’élaborer.
— Putain, Goran! Pas moyen de te laisser quelques heures qu’il faut que tu te remettes à bambocher!
— C’est la stchow…la stew… stewardissssste. Elle n’arrêtait pas de remplir mon verre.
Il a éclaté d’un gros rire gras. Son haleine me rappelait l’odeur de la perruche morte de ma mère, cachée pendant quatre jours dans ma penderie.
— Monsieur Pavlovic, je suis Lily St-Denis, de Buzz.
Il m’a regardée et s’est mis à me lécher la main que je lui tendais, tentant de retrouver l’équilibre en s’agrippant à mon sein gauche.
— Je suis Fabrice, manager du génie qui se cache derrière cet animal. Venez, on va lui mettre la tête sous l’eau.
Il a esquissé un sourire. Ouf. J’ai eu chaud Gai?
Et c’est là, entre les arrivés et les toilettes, que le grand Goran Pavlovic a vomi sur mes bottes Harley.
Pas de doute: mon bouton était maintenant bien visible sur mon menton.
5. Stéphanie Neveu
Après un passage aux toilettes où j’ai tenté de réparer les dégâts sur mes belles bottes et un réajustement de mon super combo « Caroline Néron », j’ai rejoint Goran et Fabrice.
— J’vais aller nous chercher un taxi…
— Pas besoin, a répondu Fabrice. La limousine nous attend.
La limousine? Il ne travaillait pas encore avec Spielberg, mais clairement, Goran Pavlovic se prenait pour une star.
Une fois les valises placées dans le coffre et Goran installé de force dans la limo, j’ai pris place aux côtés de Fabrice.
— Je suis désolée pour la valise tout à l’heure…
— Pas de problème. Et je m’excuse pour Goran. Il n’a pas l’habitude d’être comme ça, en tout cas, jamais aussi tôt…
Il m’a souri à nouveau. Wow!
Et c’est alors que nous avons les yeux dans les yeux que mon cellulaire a sonné. C’était Max!
— Lily, à propos de ce soir, je crois qu’il faudrait remettre ça… Indéfiniment… Je ne crois pas que tu sois la femme de ma vie et je ne vois pas l’intérêt de conti…
— Faut que j’te laisse, j’ai une autre ligne… (Yes, c’est Julie!) Julie? Tu ne devineras jamais: Max vient de me flusher parce qu’après un one-night, il ne sait pas si je suis la femme de sa vie. Et là, je suis dans une limousine avec Goran Pavlovic qui… Oups! J’te laisse, j’ai un autre appel…
— Lily St-Denis! Qu’est-ce que tu fous? (Merde! Ma boss nazie!!)
Et c’est à ce moment précis que le chauffeur a brusquement freiné, lançant Goran sur moi, qui se remit inévitablement à vomir sur mes belles bottes Harley.
6. Stéphane Dompierre
Alors que Goran « Brebis » Pavlovic se redressait — en s’agrippant à mon sein gauche —, un rire a jailli du fond de mon ventre, aussi soudain et inattendu qu’une giclée de bile. Puissant, sincère, térébrant, un rire comme ceux de l’enfance, bien avant que je commence à m’entraîner devant les miroirs pour laisser aller ce besoin vital sans défigurer mon si joli visage. J’étais laide, agitée de spasmes, je riais à m’en péter le bouton. J’ai regardé Fabrice.
— Fabrice, qu’est-ce que tu dirais si nous cessions d’aimer ce que nous avons pour tenter plutôt d’aimer ce que nous sommes, si on s’affranchissait du diktat des modes et des marques, si on en finissait avec les dépenses en alcool dans les bars où il faut être vus, si on abandonnait enfin cette vie superficielle pour vivre sans honte selon les valeurs judéo-chrétiennes héritées de nos parents baby-boomers adeptes de sudokus, de Marie Laberge et de randonnées pédestres?
— Euh… quoi?
— J’ai envie que tu me baises. Par tous les trous!
Je l’ai pris par la main et nous avons profité d’un arrêt au feu rouge pour nous enfuir. Nous avons couru vers le soleil couchant, pieds nus, pendant qu’une chanson de Damien Rice jouait dans nos têtes. J’allais enfin être heureuse; j’allais être deux.
Fabrice et moi 1) nous nous marièrent, 2) nous eûmes des enfants et 3) nous vécûmes heureux (un certain temps).
FIN
(Ensuite, le scénario habituel. Rien qui vaille la peine d’en parler : désir qui se porte ailleurs, adultère, mensonge, chlamydia, anorgasmie, certitude que le meilleur est derrière soi, Julie n’appelle plus (elle dit que je ne lui apporte plus rien), Fabrice avoue son homosexualité, alcoolisme, violence conjugale, Fabrice meurt d’overdose, solitude, tristesse, Chicklet’s en faillite à cause de sa gomme au goût de cosmo, rides et affaissement des tissus, stockage de graisse, attente de la retraite, Goran Pavlovic devient juge à Star Académie, retraite, trop fatiguée et pas d’argent pour voyager, jardinage, sudokus, maison de retraite, attente de la mort, Paris Hilton gagne le prix Goncourt, enfants qui ne visitent plus, pauvreté, incontinence, kystes, arthrite, cataractes, pétage de hanche sur la glace, maladies diverses qu’il ne vaut même plus la peine de soigner, avant-dernier souffle, retour soudain de la foi, dernier souffle, mort dans l’oubli, funérailles, enfer éternel.)
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