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De chanteur de groupe culte à auteur et éditeur de livres ésotériques
Gabriel McCaughry fait partie de ma vie depuis environ 15 ans. Il ignorait mon existence jusqu’à ce que je le contacte pour cet article il y a quelques semaines, mais rassurez-vous, je ne le stalk pas sur internet.
C’est le genre de lien unilatéral qu’une œuvre musicale puissante et mémorable peut créer.
Gabriel est l’ancien chanteur du groupe québécois culte Ion Dissonance, dont les deux premiers albums Breathing is Irrelevant et Solace ont marqué une génération d’amateurs de musique extrême.
Pour ceux qui ne connaissent pas le groupe, ça sonne un peu comme la musique que vos parents ont toujours eu peur que vous écoutiez. C’est comme du free jazz psychotique, mais joué par un band de death metal :
https://www.youtube.com/watch?v=Nehoy4vBcUs
On s’est rencontré à La Succursale, un petit bistro relax de la rue Masson (qui ne cadre pas du tout avec l’image sombre et tourmentée qu’il dégage encore aujourd’hui) parce que j’étais curieux de savoir comment passer de chanteur métal à éditeur. C’était un peu angoissant, d’attendre quelqu’un dont j’admire le travail dans un endroit inconnu, mais cinq minutes après son arrivée, Gabriel et moi étions assis ensemble à trinquer et à discuter de ses années folles et de ses nouveaux projets d’édition.
Des fois, c’est facile de même.
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La gloire et l’autodestruction
Gabriel McCaughry a beaucoup changé depuis les beaux jours d’Ion Dissonance. C’est un homme à la barbe fournie, aux épaules plus larges et à la posture fière qui m’a rencontré. Une image loin du gamin enragé qui envoyait des ondes de choc telle une bombe nucléaire de colère et de ressentiment à l’époque. Les beaux jours du groupe n’étaient d’ailleurs pas si beaux que ça pour lui.
«J’étais un kid intense. Je voulais vivre de ma musique, mais pas que monétairement. Je voulais que ma vie devienne un microcosme de fucking destruction. Avec mon premier groupe Unquintessence, je me coupais lorsque j’étais sur scène, » raconte-t-il, tout naturellement, en prenant une gorgée de bière. « Si on voit le corps comme un temple, j’étais un hérétique contre la chair et contre tout ce que je représentais. J’pensais pas vivre pass é 30 ans. »
C’est en partie cette dynamique autodestructrice, mais aussi un bon nombre de circonstances personnelles qui l’ont mené à quitter Ion Dissonance en 2006. Les cris puissants et tourmentés qui ont fait sa marque de commerce avec le groupe sont, entre autres, le fruit d’un désir conscient de se faire violence. « Certains ont beaucoup critiqué ma technique, la façon dont je poussais et projetais ma voix, mais ça m’a jamais intéressé de bien le faire si ce n’était pas au service de l’émotion. Fallait transmettre un feeling d’abord et avant tout. »
C’en était à un point tel qu’il crachait du sang noir en spectacle, entre deux chansons. Des années plus tard, il a souffert d’hernies ombilicales, ce qui l’a forcé au repos durant plusieurs mois à chaque fois : « On peut pas affirmer que tout ça, c’est lié, mais c’est sûr que si on cherche une raison, c’est la première chose qui vient en tête, » dit-il.
« j’étais un hérétique contre la chair et contre tout ce que je représentais. J’pensais pas vivre passé 30 ans. »
Mais ce ne sont pas les seules raisons qui ont poussé Gabriel McCaughry à quitter Ion Dissonance. Le groupe était en train de changer. Les fans ont souvent pris le raccourci de se dire : Ion Dissonance a changé de son parce que Gab est parti, mais ce n’est pas le cas.
Malgré avoir gagné le cœur d’un petit groupe d’irréductibles, les membres du groupe étaient tannés de la réaction confuse des audiences de festivals de musique, un de leurs principaux marchés. Il y avait un désir de simplifier les choses. « C’est un amalgame de facteurs qui a mené à ma sortie du groupe, mais oui, je feelais moins les tounes. C’était moins moi. »
Un appel du cœur
La transition de Gabriel McCaughry vers l’écriture et la littérature occulte s’est faite naturellement. Il a toujours eu ce désir d’écrire et cette connexion à l’inexplicable. Bien que cela se reflétait dans l’écriture de chansons, il y avait un désir naturel d’évoluer.
« J’avais ces pensées-là qui ne fittaient pas nécessairement dans le format d’une chanson. Sur des choses qui ont toujours été avec moi, mais que je n’avais peut-être pas nécessairement de plateforme pour exprimer, » raconte Gabriel.
C’est alors qu’il a écrit son premier article occulte sur Lilith, un personnage du Talmud (un texte fondamental du Judaïsme) interprété comme étant la première femme d’Adam, créé de la même glaise originelle que lui, égale à lui. L’article de Gabriel a vite trouvé preneur chez Clavicula Nox, un périodique Finlandais de la maison d’édition Ixaxaar, qui l’a invité à soumettre d’autres textes.
Sa maison de publication Anathema Publishing est née quelques années plus tard et a vite gagné en réputation et c’est très facile de comprendre pourquoi :
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Dans une industrie ou les joueurs indépendants essaient de produire aux moindres coûts possibles, Gabriel McCaughry, designer graphique de formation et passionné d’arts visuels, créé des œuvres d’art dont la contenu n’a d’égal que la présentation spectaculaire. Les livres d’Anathema Publishing ne sont d’ailleurs pas donnés et disponibles en éditions limitées.
Gabriel se décrit lui-même comme étant un gnostique luciférien, alors je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander :
— Quand tu dis Luciférien, est-ce que ça veut dire que t’es Sataniste?
— Non, pas du tout, me répond-t-il en riant. Lucifer, lorsqu’on traduit son nom en français, ça veut dire l’étoile du matin. Celle qui apporte la lumière au monde. C’est le même rôle qu’a eu Lucifer, l’ange déchu de la Bible.
— Donc, le diable, c’est plus un symbole?
— Si on veut, ce qui intéresse les gnostiques, c’est la balance entre la connaissance et la sagesse. C’est ça, la gnose. On s’intéresse aux choses occultes, ainsi qu’à la quête éternelle de la Vérité intérieure.
Gabriel se met ensuite à me parler d’alchimie, un sujet où normalement, mon cerveau se serait sauvé par la sortie de secours, mais lorsqu’il m’explique sa vision de la chose, ça a beaucoup de sens à mes yeux. Les livres d’Anathema Publishing sont, pour Gabriel, l’aboutissement d’un processus qui transforme des pensées et une énergie créatrice en objets qui reflètent la connaissance, la sagesse et l’énergie avec lesquels ils sont fabriqués. Ces objets vont, par le fait même, transmettre ces choses précieuses et intangibles à une autre personne.
On est loin de la transmutation des métaux de Nicholas Flamel, mais je peux très bien concevoir et encourager cette vision de l’alchimie.
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L’héritage luciférien
Avant de partir, j’avoue à Gabriel que j’ai l’impression de le connaître depuis des années par son travail et je lui demande ce que ça lui fait quand des gens comme moi sortent des boulamites pour lui parler de son impact sur nos vies.
« C’est sûr que c’est l’fun, une belle leçon d’humilité, mais des fois y’a du monde bizarre, » me dit-il en poursuivant sur une anecdote d’un gars en Russie qui essayait d’avoir exactement les mêmes tatouages que lui.
« Je fais pas ça principalement pour la reconnaissance. Moi, ce qui m’intéresse, c’est le transfert du savoir et des expériences. Je me rappelle marcher dans les rues enneigées en écoutant l’album Perdition City d’Ulver et de trouver ça tellement beau et de me dire que tout le monde devrait connaître ça. Et je l’ai mis dans une de mes chansons. »
« Je fais pas ça principalement pour la reconnaissance. Moi, ce qui m’intéresse, c’est le transfert du savoir et des expériences. »
Ça, ça vient m’atteindre droit au cœur. Le p’tit gars qui marchait dans la neige en écoutant de la musique sombre et tourmentée et qui voulait partager ses mondes intérieurs avec les autres, c’était moi aussi. Gabriel McCaughry et moi avons parfois pris les mêmes chemins. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de lui demander:
– The Girl Next Door Is Always Screaming *, c’était une expérience aussi?
– Absolument. C’était ma voisine quand je demeurais dans Hochelaga-Maisonneuve. Elle et son chum hurlaient tellement toujours que lorsqu’ils arrêtaient, on pensait qu’il l’avait tuée.
– Elle s’appelait-tu vraiment Amy?
– Non, ça je l’ai inventé!
Mais sans déconner, Gabriel McCaughry est très reconnaissant de l’impact de sa musique (et, plus récemment de ses livres) sur la vie des gens. Il croit cependant que c’est le résultat de cette dédication acharnée à son travail et non d’une recherche de connexion. C’est le travail qui parle pour lui et force est d’admettre, c’est de ça qu’on parle depuis plusieurs heures. C’est le pont entre son monde et le mien.
L’avatar d’auto-destruction qu’était le chanteur d’Ion Dissonance n’est plus. Il fait partie d’un passé que Gabriel McCaughry a assimilé afin de comprendre qui il était et où il s’en allait. Et cette lumière, elle est venue de l’étoile du matin.
* Une de mes chansons préférées d’Ion Dissonance.