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Donner le micro aux jeunes des Premières Nations

David Hodges dirige l'initiative N'we Jinan, un programme d'éducation artistique pas comme les autres.

Par
Valérie Duhaime
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David Hodges a 32 ans, une dégaine de rappeur et pas du tout envie de se mettre de l’avant. D’habitude, lorsque des médias lui demandent de parler de son initiative N’we Jinan, il les dirige vers les jeunes des Premières Nations, ceux qu’il accompagne à travers ce programme d’éducation artistique. Cette fois-ci, il est d’accord pour être le centre de l’attention et se faire lancer quelques fleurs. Mais juste cette fois-ci.

En 2013, alors qu’il anime des activités parascolaires musicales dans des écoles secondaires de Montréal, David Hodges fait la rencontre d’une femme crie. Elle lui lance que la communauté d’où elle vient, Chisasibi, dans le nord du Québec (près de la Baie-James), mériterait qu’on y organise le même genre d’activité. Sa curiosité est piquée : il s’y rend quelques semaines plus tard.

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« Ça a été mon introduction aux Premières Nations », explique David, un pur produit de l’ouest de l’île de Montréal qui n’a d’autochtone que les yeux foncés. « Je n’avais aucun background. J’ai fait des recherches sur les communautés cries parce que tout ce que je savais, c’est ce que j’avais appris à l’école. »

Aussitôt charmé par l’enthousiasme des jeunes inscrits au camp de jour du village, il y restera une semaine. Sans qu’il ne le sache encore trop, il s’agit des balbutiements de N’we Jinan (qui signifie « notre maison » en cri), un projet qu’il va éventuellement conjuguer avec son amour du hip-hop — un style parfait pour faire éclore tout le talent qu’il a devant lui.

Quatre ans plus tard, David Hodges est toujours sur la route, parcourant les territoires des Premières Nations, muni de son matériel d’enregistrement audio et accompagné d’une (modeste !) équipe de tournage. Ensemble, ils produisent et mettent en images les mots des jeunes autochtones, ceux qu’ils écrivent eux-mêmes après s’être entendus sur un thème cher à leur communauté, à leur génération.

Disons, pour faire simple, qu’on s’éloigne généralement de la préoccupation classique d’un ado de la Rive-Sud qui n’a pas de lift pour aller aux Promenades Saint-Bruno. En Colombie-Britannique, les jeunes autochtones parlent plutôt de l’infâme « autoroute des larmes », en bordure de laquelle les cadavres d’un nombre effarant de jeunes femmes autochtones ont été retrouvés. À Grassy Narrows, dans le nord de l’Ontario, c’est l’approvisionnement difficile en eau potable qui occupe les jeunes esprits.

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Pour s’assurer que ces créations — qui témoignent du vécu de leurs auteurs — soient vues et entendues, les vidéoclips créés sont partagés sur le web, tandis que les chansons sont réunies dans des compilations accessibles sur plusieurs plateformes.

Donnant-donnant

Quand on l’invite à faire sa magie dans une communauté, David y plante sa tente et avertit les adolescents du travail qui les attend : pendant environ cinq jours, tous devront s’atteler à la tâche.

« Les jeunes voient les réalisations des autres communautés et veulent obtenir les mêmes résultats, mais ils ne soupçonnent pas tout le travail qui sera nécessaire pour y arriver. Ils veulent qu’on sache qu’ils sont talentueux, mais ils doivent aussi s’impliquer pour passer à travers du processus », dit-il.

« En échange, moi, je leur garantis que la musique que nous ferons ne sera pas wack, que ça ne les fera pas mal paraître. Mais ils doivent me montrer ce qu’ils peuvent faire. »

«Nous pouvons amener les participants à un certain niveau, et il n’est pas rare de voir, par exemple, une vidéo devenir virale.»

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Si les participants s’expriment et apprennent à canaliser leur énergie, il s’agit aussi d’un outil pour toute la communauté, raconte David.

« C’est une façon pour la communauté d’être enthousiaste face au travail de ses jeunes, d’en faire un objet de fierté. Nous pouvons amener les participants à un certain niveau, et il n’est pas rare de voir, par exemple, une vidéo devenir virale. Mais on remarque aussi que l’expérience en pousse plusieurs à être plus actifs dans leur milieu, à prendre leurs études avec plus de sérieux. Certains de nos jeunes ont, par la suite, obtenu des stages ou des bourses d’études, et d’autres se sont fait approcher pour devenir conférenciers ! Ce sont des réussites collatérales, qu’on ne peut prévoir ni quantifier. »

Le verre à moitié plein

N’we Jinan a fait des petits. Il y a deux ans, David Hodges a mis sur pied un programme de concentration artistique, Mikw Chiyâm, à l’invitation de la Commission scolaire crie (voir l’encadré). Pendant un an, les jeunes inscrits s’immergent dans les arts visuels, la musique et la danse, accompagnés d’artistes triés sur le volet, prêts à s’engager.

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Jusqu’à présent, trois écoles offrent le programme, mais la demande est à ce point forte pour la petite équipe de quatre personnes que le fondateur compte doubler ce nombre d’ici 2018.

« Les jeunes veulent tous la même chose, qu’ils soient issus des Premières Nations ou pas.»

Au cours de notre discussion, pas une fois David Hodges ne parle de drogues ou d’abus contre les jeunes des Premières Nations. Il sait que ça existe et mentionne le fait que plusieurs des jeunes qui viennent créer avec lui doivent vivre avec un bagage lourd et compliqué, mais ce n’est pas ça qui l’intéresse. Il préfère découvrir le talent des étudiants avant de connaître leurs failles.

« Les jeunes veulent tous la même chose, qu’ils soient issus des Premières Nations ou pas. On observe beaucoup d’apathie chez les jeunes dans le Sud, parce qu’ils ont accès à tellement de ressources, tandis que dans le Nord, c’est le contraire : ils manquent de ressources. J’imagine donc que c’est ça, la différence : l’accès à des ressources. »

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Cultiver ses racines

La différence se note aussi dans le rapport à l’identité. Selon David, la réappropriation de l’identité autochtone est souvent une planche de salut pour les adolescents. « Une des seules choses qui sauvent ceux qui vivent de grandes difficultés, c’est l’immersion dans leur culture, la participation à des cérémonies. Ça les ramène à ce qu’ils sont, à l’origine », explique-t-il. Un phénomène sur lequel on mise aussi dans N’we Jinan, que ce soit au moyen de l’art ou de la langue, puisque le résultat de leur travail peut s’entendre tantôt en anglais, tantôt dans une panoplie de langues.

autochtones.

« L’art m’a aidé à traverser pas mal de trucs quand j’étais ado, et maintenant, je suis une personne heureuse qui veut juste propager le bonheur.»

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Comme n’importe quel adolescent, David a déjà dû se questionner lui-même sur son identité.

« L’art m’a aidé à traverser pas mal de trucs quand j’étais ado, et maintenant, je suis une personne heureuse qui veut juste propager le bonheur. Dans le fond, tout ce que je souhaite, c’est d’avoir un impact positif. »

Lorsqu’on lui demande à la blague s’il a peur de mourir à force de prendre de tout petits avions à la réputation peu flatteuse pour se rendre aux quatre coins du Nord canadien, il répond que s’il a eu quelques sueurs froides au début, ce n’est plus le cas maintenant.

« J’ai l’impression que si je mourais demain, j’aurais déjà accompli plus que ce que je pensais. Alors ça me va, je n’ai pas peur. »

OK, mais reste encore un peu. Il t’en reste des milliers, des jeunes des Premières Nations, à faire chanter.

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