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Dans les Laurentides avec Charlotte Le Bon : « Je veux juste faire un très bon film »
Quand on m’a proposé d’interviewer Charlotte Le Bon, ce n’est pas à son passage comme miss météo de Canal+ que j’ai pensé, mais à son rôle de Victoire Doutreleau, la muse d’Yves Saint Laurent, qu’elle interprète à merveille dans le chef d’oeuvre de Jalil Lespert. Si vous ne l’avez pas encore vu… qu’est-ce que vous attendez ?
Et comment oublier son personnage d’Isis dans L’écume des jours. Ou son rôle dans La Promesse. Impossible.
Oui, je suis une fan(atique) de Charlotte, j’assume.
Dans les Laurentides, à Gore, ce n’est pas avec l’actrice que j’ai pu faire connaissance en ce matin d’août, mais plutôt avec la réalisatrice, Charlotte Le Bon. Dans un chalet au bord d’un lac, elle nous a donné accès aux coulisses de sa vie pro et de son tout premier long-métrage, Falcon Lake, qui met en vedette Sara Montpetit, Monia Chokri, Karine Gonthier-Hyndman et Joseph Engel. Très très joli casting.
Adapté du roman Une sœur, de Bastien Vivès, le film raconte les vacances d’été de Bastien, 13 ans, qui a quitté Paris pour le calme d’un chalet au bord d’un lac québécois, où sa mère, Violette, a grandi. Là-bas, il va faire la rencontre de Chloé avec laquelle il va nouer une connexion singulière… C’est donc un film très sensoriel sur la découverte, un vrai film d’expériences, qu’on devrait s’attendre à voir sur nos écrans d’ici 2022.
« Mon personnage est très peu différent de moi en réalité, c’est ce qui m’a plu. Ce que Bastien a vécu, je l’ai vécu aussi, je m’identifie facilement à lui. C’est un film destiné à tout le monde, pas seulement aux adultes », nous a confié Joseph Engel, entre deux séances photo. « Je suis certain que ça ne va pas être un film d’ado cucul la praline : ça va être un film vrai et authentique », a lancé le jeune acteur français, qui ne veut pas faire carrière dans le cinéma. « J’aimerais être juge, mais si on a besoin de moi pour un film, je viendrai ». Sympa.
Pour Charlotte Le Bon, le vrai défi sur ce film en tant que réalisatrice, a été de se réapproprier le récit de Bastien Vivès. « Dans la BD, c’est la famille de la jeune fille qui vient chez le garçon, et tout se passe en Bretagne. Mais moi j’avais envie de m’identifier plus à l’histoire et donc que mon personnage principal féminin soit québécois; j’aimais aussi l’idée de la famille de Français qui vient au Québec et qui se retrouve face à une nature un peu hostile : les lacs noirs, les arbres gigantesques, etc. Tous les Français que je connais flippent de nos grands lacs noirs ! (rires) Alors que c’est dans la mer que c’est vraiment flippant, quand on voit tout ce qui peut te croquer les pieds… », lance celle qui est « tombée en amour » avec l’oeuvre de Vivès. « C’est Jalil Lespert qui m’a parlé de cette BD, juste au moment où je finissais mon premier court-métrage, « Judith Hotel ». Il m’a dit : « Lis-la, je pense que ça pourrait faire un excellent premier long-métrage ». Je l’ai lue et il avait raison », raconte la Québécoise qui a rapidement fait une première version du scénario, mais qui a mis 3 ans à mûrir son projet.
« Pour le rôle de Chloé, on a cherché la perle rare pendant presque un an et demi. J’ai dû voir 200 enregistrements de filles et Sara (Montpetit) avait vraiment quelque chose en plus : je la trouvais hypnotisante et magnétique, j’ai eu un coup de foudre. Pareil pour Joseph, je l’avais déjà repéré dans un film de Louis Garrel, Un homme fidèle : il était tout petit mais je savais que ça allait être lui, Bastien. C’est une question d’instinct et de coup de foudre les castings. »
« J’ai l’impression que je vis dans l’Atlantique, je suis déchirée entre les deux : le Québec et la France sont vraiment mes deux maisons. »
Si elle passe plus de temps au Québec qu’en France depuis le début de la pandémie, Charlotte Le Bon avoue être toujours un peu en manque des deux. « Chaque fois que je suis au Québec un peu trop longtemps, Paris me manque et l’inverse est vrai aussi ! J’ai l’impression que je vis dans l’Atlantique, je suis déchirée entre les deux : le Québec et la France sont vraiment mes deux maisons. Mais mes véritables racines, ma famille et mes amis, sont au Québec. Si on me forçait à choisir, je choisirais le Québec même si Paris est la ville qui m’a fait naître artistiquement, c’est aussi pour ça que je suis très attachée à elle. J’ai encore plein de projets là-bas. Bref, j’ai vraiment besoin des deux, c’est une question d’équilibre », raconte la réalisatrice qui voit désormais son métier d’actrice sous un autre jour.
« Maintenant je me rends compte à quel point on est en vacances quand on est acteur sur un plateau ! En fait, c’est tellement différent du métier de réalisateur.trice, c’est incomparable. L’angoisse pré-tournage quand on est acteur, elle est terrible parce qu’on est vraiment seul. Et l’angoisse pré-tournage quand on est réal est “moins pire” parce qu’on sait qu’on est entourés, et bien entourés quand on a de la chance comme moi. »
Ce qui la fait vibrer en ce moment ? « Je joue un rôle que j’adore dans la série C’est comme ça que je t’aime, c’était un peu un rôle fantasme pour moi donc je suis très contente ! Dans Cheyenne et Lola aussi, j’adore mon rôle car mon personnage est complètement fou, borderline donc c’est jouissif à jouer. Mais niveau réalisation, ce que je veux vraiment c’est juste faire un très bon film. Je m’en fous d’aller dans les festivals : je veux juste faire un très bon film. C’est tout ! Il ne faut pas penser au reste quand on est derrière la caméra, la pression est insupportable sinon. »
En sortant de mon entrevue avec Charlotte Le Bon, je croise le chemin de Monia Chokri. On me propose de l’interviewer dans le cimetière en face de la « base » du staff. Volontiers. Je me retrouve donc assise par terre, au milieu de trèfles à 3 feuilles, face à celle que je n’arrive pas à voir autrement qu’en Marie dans Les Amours Imaginaires de Dolan. Il faudrait que je m’en remette, je sais bien.
« Ça fait plus de 2 ans que j’ai le scénario de Falcon Lake entre les mains, mais il a beaucoup évolué depuis. J’ai accepté ce rôle par sympathie pour Charlotte que j’aime beaucoup. Mon personnage est important, mais ce n’est pas la trame, c’est le petit garçon qui est important. Comme il a 14 ans, en tant que parents, on est là et pas là en même temps. Dans l’histoire, on vient soutenir l’action principale », me raconte Monia qui prend son rôle de maman très à coeur.
« Je m’en crisse de savoir si ce rôle va faire évoluer ma carrière ou non : ce qui m’importe c’est de travailler avec des gens bien »
« Depuis que je réalise, j’ai un tout autre rapport au jeu : maintenant je m’en crisse de savoir si ce rôle va faire évoluer ma carrière ou non : ce qui m’importe c’est de travailler avec des gens bien comme Charlotte, de participer au cinéma, cet art dans lequel je veux m’inscrire, et faire ça en “famille”. C’est comme si je participais à quelque chose de plus grand que moi. Je considère que c’est important de participer à ce film parce que le cinéma est important pour moi, voilà. Ce projet incarne aussi ce que j’ai envie que le cinéma soit au Québec ou en France d’ailleurs », m’explique Monia qui avoue avoir ce côté hybride en commun avec Charlotte : toujours entre la France et le Québec. « C’est aussi pour ça qu’on s’est comprises dès le départ. »
À force d’être sans cesse entre les deux continents, l’actrice aussi réalisatrice (de La Femme de mon frère, entre autres) a fini par avoir un certain recul sur les avantages et inconvénients de travailler et vivre de ce côté-ci de l’océan ou de l’autre. « Dans le cinéma, je pense que la France peut apporter l’amour du 7e art au Québec. Les Français protègent leur cinéma et le cinéma mondial. Ils en consomment beaucoup aussi : ils ont un profond respect et un amour sincère pour le cinéma, comme s’ils le prenaient très au sérieux. Au Québec, c’est encore de l’artisanat parfois, les gens sont très attachés à la télévision mais le cinéma reste encore confidentiel. En tant que Québécois, on est obligés de l’exporter ailleurs pour qu’il existe, pour élargir le public. »
Quant aux Français, c’est de la débrouillardise des Québécois qu’ils devraient s’inspirer, selon ses dires. « Dans leur manière de créer, de produire avec des petits budgets, etc. La France devrait à apprendre à se lâcher un peu aussi, à être moins conservatrice tant sur le contenu que sur l’esthétisme. C’est peut-être pour ça que les films français se ressemblent tous beaucoup : ça manque d’audace, parfois. Les cinéastes ont l’air interchangeables », confie celle qui espère que des réalisateur.trice.s comme Charlotte Le Bon pourront changer la donne au fil du temps. « Charlotte a un côté esthète qui fait toute la différence. Pour son premier long-métrage, elle aurait été moins libre si elle avait dû tourner en France, je pense. Au Québec, les producteurs vont la pousser au lieu de la freiner », lance l’actrice qui ne peut s’empêcher de noter la forte hiérarchie qui règne en maître sur les plateaux français. « Ça change par rapport au Québec, c’est culturel. La France est une société très hiérarchisée. Moi ça ne me plait pas, mais je suis bizarrement obligée d’y participer quand je suis là-bas », note Monia qui a fini par s’y habituer.
Avant de quitter Gore, je me permets de demander à Charlotte ce qu’elle aimerait dire à son public québécois et français pour les inciter à venir voir son premier long-métrage. « Je pense qu’il faut arrêter de diviser les Québécois et les Français : ils sont très similaires et se ressemblent beaucoup. Mon film ne devrait pas être vu très différemment des deux côtés de l’océan », lance la réalisatrice qui espère surtout que toute la francophonie ira voir son « très bon film ». On sera là.
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