Logo

Dans les coulisses des premiers vaccins

Vivre un moment historique (sans le glamour).

Par
François Breton-Champigny
Publicité

Un moment historique.

Voilà ce qui était en train de se jouer en fin de semaine pendant que je naviguais tranquillement à travers un weekend «popotte, magasinage de Noël et marathon de Harry Potter». Entre deux bouchées de pad thaï, les premiers vaccins contre la COVID-19 faisaient leur chemin vers deux centres de santé de la province, le CHSLD Saint-Antoine de Québec et le Centre hospitalier gériatrique Maimonides à Montréal, où une forte éclosion du virus fait rage.

À mon réveil lundi matin, j’étais prêt à partir à la rencontre de ces petites fioles qui, d’ici quelques mois, promettent de freiner le virus.

Récit d’une matinée faite d’espoir et de vaccins frais.

«WHAT’S GOING ON?!»

En arrivant au Centre hospitalier gériatrique Maimonides, un gardien de sécurité très courtois m’explique que l’on ne peut pas entrer et que les employés ne sont pas « encouragés » à nous parler avant le point de presse de 13h. Il est 8h15 et les vaccins sont censés arriver entre 9h et 10h dans le meilleur des cas.

La matinée s’annonce longue et frisquette.

Le Centre hospitalier gériatrique Maimonides
Le Centre hospitalier gériatrique Maimonides
Publicité

Contrairement à ce que je croyais, il n’y a pas de gros déploiement de voitures de police pour contrôler une foule de badauds curieux de vivre ce moment historique ou d’anti-vaccins venus manifester contre le contrôle des pédo-satanistes à l’aide de la 5G.

En fait, il n’y a pratiquement personne. Mis à part une autopatrouillle garée pas très loin de l’entrée avec deux agents qui sirotent un café sans trop s’attarder à ce qui se passe et tout le gratin journalistique de la province qui a installé son bolide « brandé » à l’effigie de son entreprise, c’est plutôt calme.

Publicité

« On devrait pouvoir suivre leur trajet comme avec n’importe quel autre paquet livré par UPS », lance l’un des journalistes à la blague à l’endroit du petit groupe de ses collègues agglutiné autour de l’entrée du stationnement où le camion de la compagnie de livraison est supposé arrivé avec les vaccins à tout moment.

Pendant qu’on attend que quelque chose se passe en gelant sur place, une journaliste de Radio-Canada fait un live.

Au même moment, un homme affublé d’un Canada Goose en BMW m’interpelle. « Qu’est-ce que vous filmez? », me lance-t-il croyant s’adresser à un membre de l’équipe du diffuseur public. Je lui explique d’abord que je travaille pour URBANIA, un média beaucoup plus fresh et cool, enchaînant avec la raison de tout ce bataclan. « Woa! Eh bien, ils ont de l’argent hein! » déclare-t-il, ajoutant un commentaire antisémite (qu’on se gardera de répéter ici) avant de prendre une gorgée de café Starbucks et de décoller avec son muffler tonitruant, me laissant macérer dans les vapeurs d’exhaust et de malaise.

Publicité

Ce n’est d’ailleurs pas le seul curieux qui s’est arrêté pour demander ce qui se passait pendant les quelques heures où j’ai été sur place. Une dame m’a demandé «WHAT’S GOING ON?!» sans vraiment attendre ma réponse avant de continuer son jogging et deux autres dudes se sont littéralement arrêtés en voiture devant les caméras de Global News et TVA pour demander ce qu’on «faisait là».

«Esti que ça gosse quand ça arrive ça», a sifflé l’un des caméramans lorsque le bolide a repris sa route.

Un moment historique qui passe vite

Alors que je demande au caméraman de CTV s’il a des updates sur l’heure d’arrivée des vaccins, le groupe de journalistes s’attroupe près de l’entrée du stationnement et installe des micros et des caméras. La PDG adjointe du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal Francine Dupuis vient faire un court point de presse sur la situation.

« Ouin… c’est peut-être pas le meilleur endroit pour faire ça avec toutes les autos qui passent », lance l’énergique dame alors qu’un camion de lait passe bruyamment derrière elle.

Publicité

La PDG adjointe explique les démarches qui vont précéder l’administration du vaccin à 90-95% des patients de Maimonides. Son équipe doit d’abord s’assurer que les deux boîtes de 975 doses chacune sont conformes avec ce qui a été commandé. Ensuite, les doses seront dégelées pendant plusieurs minutes et les premiers résidents du centre hospitalier pourront commencer à être vaccinés.

La conférence d’une quinzaine de minutes tire à sa fin. Madame Dupuis affirme que « les vaccins devraient arriver sous peu» avant de regagner son bureau.

La PDG adjointe Francine Dupuis
La PDG adjointe Francine Dupuis
Publicité

À la lueur de cette nouvelle, la «foule» commence à s’agiter de plus en plus.

« Oublie ça, y’a rien à faire, ils veulent rien savoir », lance un photographe un peu à bout en parlant des gardiens de sécurité qui ne lui laissent aucune place pour croquer le moment où des employés installent des pancartes pour indiquer l’entrée de la clinique de vaccination.

La pancarte de la discorde
La pancarte de la discorde

Je profite de l’attente interminable pour faire le tour du périmètre du centre. Je tombe sur une des très rares employés qui s’aventurent au-delà du parking pour fumer une cigarette et boire un café.

Publicité

« Pourquoi êtes-vous ici? », demande-t-elle en pointant les camions de médias. Je lui explique que sa première journée à Maimonides en tant qu’aide aux services sera peut-être un peu rock and roll. « Je ne savais même pas qu’il y avait ça aujourd’hui! » lance-t-elle visiblement surprise entre deux puffs et deux gorgées de café. « J’espère que ça va régler un peu les choses », laisse-t-elle tomber avant de s’engager vers l’entrée pour commencer son shift de 10h en me souhaitant une bonne journée.

De retour à l’entrée principale. Les journalistes sont fébriles: le camion UPS contenant les 1950 doses de vaccin est tout près de Maimonides selon plusieurs sources.

Les journalistes qui attendent le camion UPS
Les journalistes qui attendent le camion UPS
Publicité

Au bout d’une quinzaine de minutes, le véhicule fait finalement son apparition au bout de la rue escorté d’une voiture blanche abritant deux agents du SPVM murmure-t-on.

À la manière d’un char allégorique, le conducteur et le co-conducteur, masqués et affublés d’une visière, prennent tout leur temps pour tourner dans le stationnement afin que les caméras et les appareils photo puissent bien capter ce moment charnière de la pandémie. La présence d’un journaliste d’URBANIA a d’ailleurs assurément été le highlight de leur arrivée.

Le camion UPS le plus attendu de l’Histoire
Le camion UPS le plus attendu de l’Histoire
Publicité

Je m’aventure avec le troupeau de photographes et de journalistes dans le parking jusqu’à la zone de débarquement de la marchandise.

«UPS is going to love you for that!», lance l’un des photographes alors que le conducteur du camion prend son temps pour ouvrir la porte arrière et extirper la cargaison la plus prisée de 2020. Les «clics» bien sonores des kodaks se font aller comme jamais.

L’une des boîtes contenant les premiers vaccins contre la COVID-19 au Québec.
L’une des boîtes contenant les premiers vaccins contre la COVID-19 au Québec.

Les deux agents du SPVM ont l’air de la trouver pas mal moins drôle. L’un des deux se fait demander à répétition de se tasser pour ne pas «bloquer la vue». Il décide finalement de bouger en jetant un regard un peu méprisant vers le tas de représentants du 4e pouvoir.

Publicité

Amanda, une employée du centre hospitalier gériatrique qui se charge de prendre la cargaison, attire l’attention des photographes. On peut lire sur son t-shirt « Some superheroes wear scrubs », ce qui signifie en traduction libre «Certains super héros portent des blouses» en référence à l’uniforme que portent les membres des soins de santé.

En quelques minutes, tout est fini. Les portes de la section de livraison se ferment. Les deux employés d’UPS retournent faire la livraison de marchandises pas mal moins en vogue et les journalistes retournent vers leurs véhicules pour se réchauffer en attendant le point de presse du ministre de la Santé et des services sociaux Christian Dubé vers 13h devant le centre Maimonides.

En repartant vers ma voiture, j’entends un cri provenant des airs. Je regarde vers les derniers étages du centre et je vois une infirmière qui saute et crie de joie sur l’un des balcons.

Faire la même chose ne serait pas très professionnel de ma part, surtout que certains médias me regardent déjà un peu de travers depuis que je suis arrivé.

Publicité

Mais je ne peux pas cacher que cette journée, qui amène enfin une lueur d’espoir dans cette damnée pandémie, me donne envie de l’imiter.

Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Soyez le premier à commenter!