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Dans les bottes d’un draveur

Un métier de casse-cou, bien avant les cascadeurs!

Par
Billy Eff
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URBANIA et le musée Boréalis sont fiers de s’associer pour vous faire découvrir les métiers oubliés du Québec.

S’il y a une chose sur laquelle tout le monde peut à peu près s’entendre en ce qui a trait à l’histoire du Québec, c’est que les femmes et les hommes qui l’ont construit ne manquaient pas de bravoure! On l’a bien vu dans Les Pays d’en haut : à chaque épisode Donalda sortait les poings (ou presque). Si ça, ce n’est pas du courage, on ne sait pas quoi vous dire de plus. L’histoire, la culture et les traditions de notre coin de pays sont intimement liées aux métiers que pratiquaient ceux qui sont venus avant nous.

Du travail des trappeurs à celui des fourreurs et des blanchisseuses, toutes sortes de métiers qui ont été essentiels au développement du Québec n’existent plus aujourd’hui. Un de ceux-là a été particulièrement important pour la ville de Trois-Rivières et le développement économique de la Mauricie, voire du Québec en entier : celui de draveur.

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La pratique ayant été rendue illégale en 1995, plusieurs d’entre nous ne savent presque rien de ce que les draveurs faisaient vraiment, et ce qu’on en sait est un peu fabulé. Alors c’était comment pour vrai, une journée dans les bottes (mouillées) d’un draveur?

Le surf à la québécoise

Le mot « drave » est un magnifique québécisme, tiré d’une mauvaise prononciation du mot anglais drive, « conduire », un peu comme « bécosse » vient de backhouse. La job de ces gaillards était de conduire de grandes quantités de billes de bois sur les cours d’eau de la province afin de répondre d’une part à la demande de l’Angleterre et d’autre part aux besoins en bois d’un Québec en pleine expansion.

Le mot « drave » est un magnifique québécisme, tiré d’une mauvaise prononciation du mot anglais drive.

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Comme vous avez peut-être pu le constater, on a beaucoup d’arbres au Québec. Les berges de la rivière Saint-Maurice sont donc devenues l’endroit rêvé où placer des scieries, qui à l’époque fonctionnaient à l’eau. Transporter de grandes quantités de morceaux de bois à travers une forêt non défrichée, c’est un peu compliqué… et un peu lourd! Solution : engager de jeunes hommes téméraires et solidement bâtis, et les envoyer mener à bon port les billes de bois, appelées « pitounes », via le cours des rivières, comme des bergers marins du bois. Dur de s’imaginer qu’ils faisaient ça dans les eaux froides, et ce, bien avant l’arrivée des wetsuits!

Les plus vieux se souviendront bien de la Pitoune, ancien manège mythique de La Ronde, qui faisait directement référence à la drave!

Surmonter le danger en équipe

Imaginez-vous en train de conduire le long d’un cours d’eau et apercevoir une horde de kids un peu casse-cou qui aident une petite forêt à dévaler la rivière le plus rapidement possible!

La drave est un métier qu’on commençait souvent jeune, vers l’âge de 16 ans.

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La drave est un métier qu’on commençait souvent jeune, vers l’âge de 16 ans. L’abattage débutait des mois avant l’intervention des draveurs. À l’automne, les bûcherons établissaient des camps en forêt. Après avoir passé l’hiver à couper du bois, ils acheminaient les billots jusqu’aux rives à l’aide de chevaux et les y entassaient. C’est au printemps que les draveurs, certains d’entre eux ayant également passé l’hiver à bûcher, entraient en scène.

Divisés en deux équipes sur des embarcations différentes, ils s’assuraient que les billots puissent flotter librement sur la rivière. L’équipe du devant, appelée la jam team, était responsable de prévenir tout embâcle de billots aux endroits plus étroits du cours d’eau. Une fois sur de grandes étendues d’eau, les pitounes étaient parfois rassemblées en larges radeaux, ensuite démontés sur les rivières plus petites. Sautant de bille en bille lorsque des embouteillages se produisaient, la jam team délogeait les morceaux problématiques à l’aide de perches ou de dynamite. Un genre d’ancêtre du CrossFit!

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Suivant derrière, une équipe de jeunes moins expérimentés avait pour mission de recueillir les billots qui n’auraient pas été emportés par le courant ni ramassés par la première équipe. Le métier de draveur était l’un des plus mortels du Québec, bien qu’essentiel à son développement.

Connaissant la génération d’aujourd’hui, on aurait fait de la drave un challenge TikTok!

Fini, les pitounes!

Après la Seconde Guerre mondiale, le Québec se met peu à peu à s’industrialiser et à s’automatiser. Les trains transnationaux et les camions remplacent les chevaux et les navires. Toutefois, pour des raisons avant tout économiques, les draveurs continuent d’exister pendant plus d’un demi-siècle.

Et ce n’est pas l’aspect dangereux du métier qui a sonné la fin de la drave au Québec, mais bien les coûts environnementaux de sa pratique. Si les colons anglais avaient surnommé la Saint-Maurice Black River à cause de ses eaux noires, la plupart des gens qui l’ont connue dans le temps de la drave vous auraient dit qu’elle était jaune!

Ce n’est pas l’aspect dangereux du métier qui a sonné la fin de la drave au Québec, mais bien les coûts environnementaux de sa pratique.

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En effet, recouvrir toute une rivière de bois a eu des effets néfastes sur la qualité de l’eau, le bois y rejetant des substances toxiques et acides lui donnant des teintes ocre. Un peu comme quand on fait infuser sa poche de thé beaucoup trop longtemps : oui, on va le boire, mais on va faire une grimace après. Or les Mauriciens ont fini par en avoir assez des grimaces. Les riverains, de plus en plus inquiets, ont réussi à faire entendre leur voix, et des draveurs ont descendu la rivière Saint-Maurice une dernière fois en 1995. La pratique a été rendue illégale l’année suivante.

La drave a été un élément essentiel du développement de l’industrie forestière du Québec, et les quelques draveurs encore vivants se rappellent avec beaucoup de tendresse et de nostalgie ce métier qui, comme la locomotive à vapeur et l’isolation à l’amiante, a fait son temps. Mais des lieux, des objets et des histoires ont été préservés, particulièrement en Mauricie. Entre autres, le musée Boréalis, à Trois-Rivières, présente une exposition permanente, Racines et identité, installée dans l’ancienne usine de filtration de la Canadian International Paper Company (CIP), où est racontée l’intime relation entre le développement du Québec et l’industrie du bois et des pâtes et papiers.

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Ah d’ailleurs : si vous voulez tenter de vivre une expérience se rapprochant à celle des draveurs, sachez qu’en anglais, on les appelait des raftsmen. Ça vous fait penser à quelque chose? Ben oui, le rafting, sport encore très populaire de nos jours, et praticable sur la Saint-Maurice!

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Prêt.e à découvrir les origines de certains des métiers les plus importants du Québec? Planifiez votre visite au musée Boréalis juste ici!

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