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Dans l’eau chaude : quand des désastres au resto font un bon balado
Comme la plupart des gens encore en zone rouge, je m’ennuie d’aller au resto.
Ça fait maintenant plusieurs mois que l’île de Montréal est en mode « pour emporter » et comme le disait si bien mon collègue Jean-Philippe plus tôt cet hiver: « J’irais boire une Coors Light dans un Mike’s juste pour le principe ». Cette damnée pandémie nous fait apprécier le fait que les restos ont beaucoup plus à offrir que leur bouffe. Il y a le service, l’ambiance et un paquet d’autres petits plaisirs qui manquent à nos vies.
La comédienne Blanche Gionet-Lavigne n’était pas censée s’ennuyer de la restauration. En tout cas, moins que nous. Comme plusieurs dans son milieu, elle y a travaillé pendant plusieurs années avant d’être capable de vivre de son art. « La restauration me hante », m’explique-t-elle au téléphone. « Je voulais y retourner pour raconter les histoires que j’y ai vécues ».
«La restauration me hante», m’explique-t-elle au téléphone.
Au départ, le balado Dans l’eau chaude n’était pas dans ses plans. Ce mois-ci, Blanche devait présenter la pièce de théâtre L’envers, inspirée de ses expériences dans le milieu, au théâtre Premier Acte à Québec. Pandémie oblige, le projet a été remis à l’année prochaine. Elle s’est alors mise à travailler sur un projet parallèle visant à explorer d’autres aspects de la restauration et à donner un travail à son équipe d’interprètes.
Oui, mais c’est quoi ce balado?
Dans l’eau chaude, c’est cinq épisodes où les chefs Martin Juneau, Danny St-Pierre, Hakim Chajar, Colombe St-Pierre et Pénélope Lachapelle respectivement vous racontent l’histoire du pire service de leur carrière. Question de vous plonger dans l’ambiance, Blanche et ses comédiens en font la reconstitution dramatique au fur et à mesure que l’invité raconte son histoire.
« Il y a beaucoup de parallèles entre la restauration et le théâtre. Par exemple, la clientèle n’est pas exposée au fait qu’il s’agit d’un énorme travail d’équipe. Dans La Face cachée de la Lune, de Robert Lepage, il n’y a souvent qu’une personne sur scène, alors qu’une dizaine de techniciens derrière s’affairent au bon fonctionnement de la présentation. C’est la même chose en salle à manger. Les clients n’ont souvent une relation qu’avec le serveur, alors qu’il représente le travail de plusieurs personnes », me raconte Blanche.
On s’y sent à moitié au théâtre, à moitié plongé dans une histoire abracadabrante racontée par un vieil ami.
Le résultat en podcast est saisissant. On s’y sent à moitié au théâtre, à moitié plongé dans une histoire abracadabrante racontée par un.e vieil.le ami.e. « J’ai beaucoup travaillé avec mon ingénieur sonore afin de créer les textures appropriées, le bruit de fond et la tonalité propre aux salles à manger de restaurants » affirme fièrement Blanche. Le murmure de conversations d’étrangers ajoute une touche dépaysante. Ça peut avoir l’air niaiseux, mais ça faisait extrêmement longtemps que je n’en avais pas entendu.
Ça donne drôlement l’impression d’avoir fait une sortie. D’avoir été prendre une bière dans un resto-pub avec un vieux chum qui avait gros sur le coeur. Ça fait du bien.
La vie en restauration
« Les gens ne le savent pas, mais c’est un milieu qui n’est pas linéaire », me raconte Danny St-Pierre, qui m’a gracieusement accordé quelques minutes de son temps au beau milieu d’un branle-bas de combat de niveau olympique. « Tout peut bien aller et tout d’un coup, ça part en couille. Le chaos s’installe et il faut faire avec ».
Blanche Gionet-Lavigne n’est elle-même pas étrangère à ce chaos. « Je n’ai jamais connu de catastrophe de la magnitude de celles racontées dans le balado, mais à l’époque où je travaillais au défunt Vinizza dans la Petite Italie, c’était pas toujours rose. Je me souviens d’une fois, pendant la Coupe du monde, l’Italie était en train de perdre son match et un client s’est mis à engueuler le chef à propos de sa pizza, parce qu’elle n’était pas faite comme les “vraies pizzas italiennes”. C’était le genre de chose qui arrivait de temps en temps là-bas, mais cette fois-là le chef n’en pouvait plus et il est sorti pour s’engueuler avec. C’était…euh, mémorable ».
«Colombe St-Pierre me racontait qu’elle a travaillé 80 heures semaine pendant sa grossesse. Elle s’est brûlée la bedaine avec un four. Pour faire ce métier-là, il faut être dédiée pas à peu près».
Avec Dans l’eau chaude, Blanche souhaite humaniser ses invités et exposer la vraie nature du travail en restauration. « Les gens ont l’impression que les chefs sont des rocks stars qui ne font que des recettes à la télé, mais ils ont la tête dans les fourneaux soir après soir comme les autres. Colombe St-Pierre me racontait qu’elle a travaillé 80 heures semaine pendant sa grossesse. Elle s’est brûlée la bedaine avec un four. Pour faire ce métier-là, il faut être dédiée pas à peu près. Tout est toujours une question de vie ou de mort ».
Les restos vont reprendre leurs activités normales un jour, mais la pandémie va changer les choses. « Ça nous a ouvert les yeux sur plusieurs processus auxquels on se pliait inutilement », explique Danny St-Pierre. « Avec le takeout, les choses sont simples. Un petit coup de coude, un petit “bonne journée” et la personne repart chez elle avec son petit sac. C’est pas mal moins compliqué ».
Tant qu’il y aura des chef.fe.s passionné.e.s, il y aura des restos.
Pour ceux qui éprouvent de l’inquiétude à propos de quoi aura l’air le futur post-pandémique du milieu, sachez que Danny St-Pierre travaille à l’ouverture de deux restaurants. Un sur Notre-Dame et un sur le Plateau Mont-Royal (ce qui explique la frénésie au centre de laquelle il se trouve). Il me confie avoir également un projet en branle dans le coin de Verdun.
Tant qu’il y aura des chef.fe.s passionné.e.s, il y aura des restos. Vos favoris ou des nouveaux qui apparaitront après l’assouplissement des mesures sanitaires. « Fuck la pandémie. Nous autres, on avance », lance Danny St-Pierre avec tout le sérieux du monde.
En attendant, vous pouvez toujours manger du takeout en écoutant les épisodes de Dans l’eau chaude (ou, pour les chanceux.ses en zone orange, en revenant de votre visite dans un resto). Le premier est d’ailleurs disponible dès aujourd’hui et met en vedette Martin Juneau. Ce ne sera plus pareil après la COVID. Ce ne sera plus pareil après avoir écouté Dans l’eau chaude non plus. Vous aurez un nouveau respect pour celles et ceux qui domptent l’inconnu gastronomique, soir après soir.
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