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Dans le convoi des licornes: 24 heures dans l’autobus de Québec Solidaire
Pour les derniers miles de la campagne électorale, le photographe Marc-Étienne Mongrain est monté à bord de l’autobus Solidaire le temps d’une escale à Québec pour explorer l’envers d’une campagne réglée au quart de tour. Il nous fait part ici de ses observations, à la fois écrites et visuelles.
J’avais passé une bonne partie de la nuit d’avant dans un cinéma porno. Je blâme Lydia Képinski qui a décidé de m’engager pour faire des photos de son show au Cinéma l’Amour. Donc, jeudi matin à 10 h, le bus médias de Québec Solidaire m’attend. C’est presque aussi frais que les bancs de la vénérable institution cochonne de la rue St-Laurent que je me suis présenté à l’îlot Voyageur. Je vais passer 24 heures avec les licornes en chef, l’état major des lunettes roses. À 5 jours de ce qui s’annonce comme une percée historique pour l’ancien parti de Françoise David et d’Amir Kadhir, le plan c’est de se rendre à Québec rencontrer le maire Labeaume et d’aller donner un coup de main à Catherine Dorion et Sol Zanetti. Un café, une clope et hop! J’embarque.
Moi, je suis photographe « rock ». J’avais 14 ans en 95. Si t’es un kid de la réforme, je vais t’aider : ça veut dire que j’ai 37 ans. Je ne suis plus vraiment jeune et pas tellement vieux. J’ai longtemps refusé de voter. Dans les circonscriptions où j’habitais, la non-proportionnalité de notre système électoral faisait en sorte que mon vote ne comptait jamais. Je trouvais que c’était comme accepter de jouer une partie de hockey à 6 contre 2. Cette fois-ci, je vais voter et c’est pourquoi j’ai usé de mon privilège de gars semi-populaire sur Instagram pour venir voir de quoi ça a l’air la fin d’une campagne électorale. C’est aussi une démarche personnelle pour me dé-désabuser.
Sur l’autoroute de l’information
La première personne que je rencontre, c’est Gino. Il conduit l’autobus depuis le 14 août. C’est avec lui que je fume ma cigarette d’avant départ. Faut-il appuyer un parti pour le véhiculer? Non. C’est un retraité de la STM qui aime faire de la route.
Ensuite, y’a les journalistes qui arrivent. Tout le monde s’assoit dans son coin. Le Devoir en avant, Rad-Can dans le milieu et TVA dans le fond.
La première personne qui m’adresse la parole c’est Cybel. Elle s’occupe du volet média de la campagne. On jase un peu de son travail et de son parcours. Dans le jargon, elle est « spin ». Son rôle c’est de s’assurer que les médias comprennent bien le message du parti. Elle utilise le mot « mouvement ». Si t’as des précisions sur une réaction d’un candidat, c’est elle qui essaye de rendre le tout le plus smooth possible. Elle est sur la ligne de front entre les journalistes et « le mouvement. » Comment on décide d’un champ lexical avant la campagne. Comment on recentre un message. Comment, après avoir dit que ton parti est « marxiste », il est important de garder le contrôle du message et de ne pas agir en réaction face aux critiques. Bref, on dirait bien que j’ai un pied dans le fameux Politburo de QS moi là.
Avoirs et êtres
Le premier arrêt de la journée est dans une banque alimentaire de la banlieue de Québec. On arrive un peu avant l’autobus officiel pour que les médias puissent prendre des images des trois candidats présents qui en sortent. C’est une gymnastique apprise par cœur, un automatisme, d’un côté comme de l’autre. Massé en est clairement pas à sa première distribution de denrées. Elle accoste les gens avec un naturel qui n’est ni robotique, ni répété. Si on a reproché à Manon sa façon de parler, on comprend que sa parlure est celle des gens simples et qui ne l’ont peut-être pas eu facile. « Allo mon frère, tu veux-tu des pommes? »
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Gab (personne dans QS ne semble l’appeler Gabriel) est aussi à l’aise. Il semble conscient de sa dégaine de jeune premier, mais il sait s’adapter à son interlocuteur sans qu’en émane un sentiment de manipulation. Dans la file, des gens de tous les âges attendent. Ils semblent se connaître. Ils viennent souvent ici. Des Noirs, des Arabes, des punks, des « pures laines »… Un dénominateur commun : ils ont besoin d’aide pour se nourrir. J’ai de la misère à croire qu’ils se donneraient le «go!» ou qu’ils sont satisfaits de l’empathie du médecin aux yeux bleus. Je trouvais l’exercice de divulguer les avoirs des chefs un peu futile. Je n’en suis plus si certain. Y’a des gens pour qui des millions, ça veut dire que t’es pas comme eux, pour qui ce n’est pas un gage de compétence.
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Du mouvement dans la capitale
Ensuite, direction Hôtel de ville de Québec. Une rencontre d’une vingtaine de minutes est prévue avec le maire Labeaume. Pour l’occasion Catherine Dorion se joint à la délégation. Les médias n’y sont pas conviés. Le maire de Québec s’est refusé à toute « photo op » avec les autres partis et ne fera pas d’exception pour les Solidaires. Ils parlent du troisième lien. QS ne veut pas.
Régis lui est plus prudent, mais a aussi plus à perdre. Il attend les résultats des études. C’est sa position officielle. À la sortie de la rencontre, on apprend tous en même temps que cinq anciens ministres du PQ accusent Massé de « s’approprier René Lévesque ». La réaction de l’équipe de QS se résume pas mal à ça : ¯\_(ツ)_/¯
Pause souper. On me laisse monter dans l’autobus des candidats. Outre Manon et le chauffeur, tout le monde est plus jeune que moi! J’ai trouvé qui tire les ficelles du parti. C’est des kids d’environ 28 ans.
Pendant que j’ai droit à une discussion de 30 minutes face-à-face avec Massé où on parle un peu de ce que je fais dans la vie, de son parcours, des attaques récentes de Duceppe et Lisée, GND et l’équipe jasent de leur rencontre avec Régis.
« Tu fais quoi Manon après une journée sur la route comme ça? » Elle rentre chez elle. C’est le seul endroit où elle n’est pas sollicitée. Quand je lui parle de son aisance avec les gens elle me répond sans hésitation : « Parler au monde c’est ma job. »
Jéremie arrive. Je me présente. On échange quelques remarques sur l’appropriation « Lévesquienne ». Il fait quoi lui Manon? Lui, il rédige. Mais encore? Il est responsable de la rédaction des discours et des communications publiques de GND et de Massé. Il s’adapte au style, au vocabulaire et à l’énergie des deux co-porte-paroles. Bref, c’est un génie de la communication politique. Jérémie a d’autres choses à faire que de chiller en arrière du bus. Jérémie a un message à communiquer à toute une province.
Unité solidaire
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Il est 18 h 45. Direction le bureau de circonscription de Catherine Dorion. Le local est décoré de pancartes de la candidate volontairement « vandalisées ». Dorion en Bowie, Dorion en princesse, Dorion en clown. C’est irrévérencieux, c’est drôle, c’est léger, c’est différent. Ça fait du bien. Un petit pep-talk aux bénévoles et Manon et Gabriel prennent les téléphones et font ce qu’on appelle du pointage : parler aux électeurs pour voir s’ils vont voter du bon bord lundi prochain. Tranquillement on commence à lire la fatigue sur les visages des journalistes et des politiciens. Ma nuit au Cinéma l’Amour me rentre dans le corps moi aussi.
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Un dernier arrêt sur la troisième avenue au local de Sol Zanetti où une trentaine de bénévoles font aussi du pointage. Avant d’entrer, GND me lance « Regarde ça. La salle est pleine. J’ai jamais vu autant de bénévoles aussi jeunes. Il se passe quelque chose. »
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Dans un coin de la salle, une mère gère un appel tout en gardant un œil sur ses deux petites jumelles. Sur les murs, des cartes de la circonscription où on note les secteurs déjà visés par le porte-à-porte. Manon s’en va chez elle. Les autres vont à l’hôtel.
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En quittant le bureau de Zanetti, je tiens la porte à une dame d’environ 60 ans. J’ai le temps de l’entendre dire « Hey Zanetti, mon cousin c’est Mario Dumont pis tu m’as fait changer de bord! » Ça l’air que les jeunes peuvent parler aux plus vieux.
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Avant la dernière bataille
Vendredi matin. Je prends un taxi de la basse ville à l’hôtel Concorde. Mon chauffeur me demande d’où je viens et ce que je fais en ville. Comme il écoute le Doc Mailloux dire à une auditrice que c’est de sa faute si elle a pris tant de temps à dénoncer une agression sexuelle, je passe sous silence la vraie raison de mon séjour dans la capitale. QS a donné rendez-vous aux médias sur les Plaines. Un système de son, un podium et des candidats en rang d’oignon.
Sur la console de la soundwoman trône un petit renard en peluche. Catherine, Manon et Sol font leur truc et les journalistes font le leur. Le décor est impressionnant. C’est ici que s’est joué y’a longtemps un moment clé de notre histoire. On peut faire de la politique autrement, mais on a pas vraiment le choix de la mettre en scène comme tout le monde.
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Il règne une atmosphère de fin de marathon. L’équipe de la tournée fait une photo de groupe. Ça parle de retrouver son lit, son chum, sa blonde ou son animal de compagnie. Malgré l’épuisement, les gens ont le sourire aux lèvres et le sentiment du devoir accompli. Tout ce beau monde retourne à l’autobus en direction de Montréal. Pour ma part, j’ai trouvé ce que je venais chercher : un espoir et une nouvelle famille politique.