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«On a parti We Are Wolves parce qu’on était écoeurés d’essayer de percer en arts visuels», clame haut et fort Alexander Ortiz, chanteur de la formation. Yeah, right.
Après avoir offert un premier concert au pavillon des Beaux-arts de l’Université Concordia, sorti deux albums de punk électro chouchous de la critique et donné un nombre incalculable de shows mêlant distorsion et arts plastiques, le plus artsy des bands québécois ne peut pas échapper à son destin: il est plogué sur le design par intraveineuse. Urbania s’est aventuré dans le repère secret des Wolves pour une petite bouffe en pièces détachées achetée au IKEA, suivie d’une virée au Céramic Café.
Dans l’ascenseur qui mène à l’étage «X» d’un édifice industriel du Mile-End, Alexander Ortiz et Vincent Lévesque (Antonin Marquis, le batteur, est absent) imitent des gars chauds, en titubant comme s’ils avaient manqué d’oxygène à la naissance. «On avait l’air de ça, à la fin des vernissages, quand on étudiait à Concordia», lance Alex en éclatant de rire. «On déconne, là, mais on a adoré notre séjour aux Beaux-Arts, dit Vincent pour sauver la mise. Si j’avais la chance de le faire, j’y retournerais demain matin. Toute notre façon de créer et notre vision de l’esthétisme viennent de là. Aujourd’hui, les arts visuels, c’est notre mode de vie.»
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N’empêche. Au fil des ans, la grande insécurité liée à la vie d’artiste a eu raison de leur carrière derrière le chevalet et les a poussés à explorer un autre médium : celui des grosses guitares sales et crasseuses, des beats électro qui dégoulinent des speakers et des chansons qui parlent de magiciens, de fables mystiques et de gars qui proposent à leur blonde un bec mouillé au lieu d’une claque dans la gueule. Celui d’un band qui est resté sans nom pendant ses deux premières années d’existence, jusqu’à ce qu’Alex débarque au local avec un t-shirt fait à la main, portant l’inscription «We Are Wolves» surmontée d’une tête de mort. Celui d’une formation qui garde aujourd’hui un contrôle sur tout ce qui porte son nom, qui fabrique ses accessoires de scène et conçoit ses superbes pochettes, comme celle de l’album Total Magique, lancé en 2007. Des amoureux du pinceau, aux ongles tachés de gouache, déguisés en rockstars.
La tanière
Même si les gars ont fait du design leur quotidien, leur studio, lui, n’a rien d’un atelier d’artiste. Grand local de béton éclairé aux néons, l’espace de création des Loups est plutôt quelconque et dépouillé de charme. Pourtant, les grandes fenêtres – qui donnent sur l’ouest de la ville – ont tout pour inspirer ces amoureux d’un Montréal tout croche et visuellement aliénant. «Je sais pas si Montréal est une ville design, mais c’est certainement une ville d’artistes, explique Vincent, en admirant le paysage. L’ambiance qui y règne est assez unique.» Alex saisit sa vieille guitare Gibson – une véritable oeuvre d’art, selon lui – et en rajoute. «Ici, il y a un gros clash entre les constructions pas possibles et celles qui ont un vrai souci esthétique. C’est peut-être ça qui rend Montréal et les Montréalais si uniques et assez postmodernes, dit-il. Prends notre local. C’est pas très beau, mais j’aime mieux ça que d’avoir un studio vraiment design et trop placé. La vie d’un local de répet’, c’est pas la déco qui la fait. C’est toi!»
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En jouant les commentateurs réno, Alex et Vincent se lancent dans un véritable tour guidé de ce beau bordel, composé de fils de guitares et de claviers analogues poussiéreux. Au passage, ils enjambent une vieille enseigne lumineuse homemade qui annonce «We are Wolves», ainsi que d’immenses têtes de mort en carton, qu’ils portent en guise de costumes lors de leurs prestations endiablées. «C’est rare qu’on apporte ces accessoires-là quand on joue aux États-Unis ou en Europe. C’est trop gros à transporter, explique Alex en mettant un peu d’ordre autour de son espace de travail pour bien recevoir la visite. Les Montréalais savent qu’on est très liés aux arts visuels et qu’on fabrique nos accessoires de scène, mais ailleurs, ils le savent fuck all. Quand on fait des shows à l’extérieur, “l’esthétisme”, on doit donc la créer comme on peut, avec notre présence, nos tenues, nos mouvements sur scène, nos expressions faciales…»
Soudainement, Alex se transforme en Manon Leblanc de Manon tu m’inspires et interrompt sa visite, hypnotisé par l’amas de tambours posé dans un coin. Le guitariste et chanteur de la formation empile les caisses pour en faire une grande tour qui s’élève bien au-dessus de sa tête et crée, du coup, une oeuvre d’art instantanée. «Ça fait des années que je rêve de faire une installation de drums, dit-il. Je suis tombé sur une pile qui traînait chez un ami. Ça l’énervait, parce que ça faisait pas propre. Moi, j’ai tout de suite flippé : c’est la plus belle sculpture que j’ai vue depuis longtemps!» Les yeux pétillants, l’artiste prend rapidement la pose aux côtés de sa structure et sourit fièrement, en admirant sa toute dernière création. Le cours d’arts plastiques des We Are Wolves vient de débuter.
Souper à assembler, outils non inclus
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Il est 18 h 30 et les gars, arrivés à vélo, sont affamés. Un beau hasard, puisque l’équipe d’Urbania a justement apporté des provisions: un assortiment de bouffe IKEA composé de boulettes Kottbullar préparées au micro-ondes, de biscuits à la cannelle Anna’s et de jujubes en forme de rats. Pauvres en vaisselle, Alex et Vincent remédient à la situation en déposant leurs boulettes arrosées de confiture de Lingonnes sur les snares drums de la sculpture d’Alex. «Ça, c’est un vrai souper suédois servi à la sauce rock!» lance Vincent la bouche pleine.
Quand on voit les Loups s’empiffrer, assis sur des amplis de guitare au milieu de ce grand local de ciment, on oublie vite qu’ils ont donné des prestations dans des endroits beaucoup plus esthétiques et stimulants, comme la galerie d’art Belgo ou la Fonderie Darling. Le contexte idéal pour les voir se déchaîner. «C’est très différent de jouer dans des endroits non conventionnels, analyse Vincent, aux prises avec une boulette pas cuite. Le public n’écoute pas de la même façon. Quelqu’un qui se trouve dans une galerie d’art pour un show de rock est hyper stimulé visuellement et ça peut devenir beaucoup à gérer en même temps. En tant que band aussi, c’est pas pareil. Tu peux te retrouver devant une crowd qui n’en a rien à foutre et qui n’est pas là pour la musique du tout.»
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Habitués des musées et des espaces d’exposition, les Wolves s’inspirent encore beaucoup du travail des artistes visuels. Le dernier coup de coeur d’Alex est le Danois Olafur Eliasson, qui a notamment recréé le soleil (sans farce) dans l’entrée du Tate Modern de Londres. Vincent, lui, emprunte beaucoup à l’univers des vidéoclips. «On dit souvent que le clip est presque mort, remarque-t-il. Moi, je continue de tripper sur ceux qui sont différents et qui n’ont pas peur d’adopter l’attitude d’une vidéo d’art.» Une vision qui s’applique certainement aux vidéoclips de We Are Wolves, comme le jouissif Fight and Kiss, montrant une bataille de ballounes d’eau en hyper ralenti, ou Coconut Night, mettant en scène un long et mystérieux rite païen et de splendides femmes nues. «J’aime quand il ne se passe presque rien dans un clip, dit-il. De nos jours, les gens sont toujours à la recherche de stimulis visuels, et le calme extrême les rend mal à l’aise. Pourtant, c’est là que ça devient intéressant et que ça interpelle leurs sens. Dans nos prochains vidéos, j’aimerais qu’il ne se passe absolument rien.»
Passés au petit salon aménagé à côté de leur local, Alex et Vincent terminent leur repas suédois en calant une bouteille de cidre de pommes suédois et en avalant une demi-douzaine de biscuits au chocolat suédois au nom suédois imprononçable. Ils sont fous, ces Suédois. Assis sur un vieux divan, les gars se la jouent cool et relax, bien qu’ils repartent pour une série de spectacles en Europe dans quelques jours. Le calme olympien. Voilà ce qui définit le tempérament du groupe qui a attiré l’attention de magazines américains respectés comme Spin et du réputé site web Pitchfork.
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Une fois leur joyeux festin achevé, les deux gars quittent le studio, tout simplement, à vélo, arpentant les rues montréalaises en ce frisquet soir de printemps, jusqu’à notre prochain point de rendez-vous.
Céramic Café, rue St-Denis.
Après avoir fixé leurs embarcations à un arbre, au milieu des passants du Plateau Mont-Royal, les Loups entrent au Café Céramic où l’équipe d’Urbania leur a lancé un défi: réaliser deux oeuvres originales spécialement pour le magazine en 45 minutes. Un challenge que les gars acceptent de relever haut la main, en se mettant au travail dès leur arrivée.
Au deuxième étage, Alex et Vincent prennent une bonne demi-heure à choisir le bibelot qu’ils vont peinturer et décorer, excités comme des garçons de cinq ans. C’est qu’entre la grenouille, la girafe et le beurrier («J’en ai besoin pour mon appart!», justifie Vincent), leur coeur balance. De retour de la salle de bains avec la cuvette de toilette dans les mains, Alex songe pendant un instant à jouer les Marcel Duchamp et à refaire le coup de l’urinoir transformé en oeuvre d’art. Il arrête finalement son choix sur un peigne. Vincent, lui, opte pour un petit t-shirt en céramique qu’il emporte jusqu’à la table de travail, où l’attendent pinceaux et pots de peinture.
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L’inspiration ne tarde pas à venir. Vincent, affairé à orner son t-shirt de maracas et de l’inscription «Maracas» (c’est logique), nous lance toutefois un avertissement: sa création ne sera pas parfaite. «Moi, c’est ce qui me plaît dans le design. Les petites erreurs pis les fucks, dit-il. C’est comme nos accessoires de scène qu’on fabrique de façon très impulsive. Ils sont toujours faits avec des matériaux simples qu’on trouve au magasin du coin. Nos premiers crânes, par exemple, étaient faits avec des cartons de boîtes de pizza! Si on commandait nos matériaux sur Ebay, on perdrait vraiment le côté homemade de l’affaire et ça fitterait pas avec l’esthétique de We Are Wolves, qui est à cheval entre le super slick et le tout croche.»
Ne sachant trop quelle allure donner à son peigne, Alex opte pour un rappel du livret qui accompagnait le disque Total Magique : une croix sur laquelle est inscrit «Salut Man». Le symbole rappelle également le reste de la pochette de l’album, où on trouvait des triangles gold et des crânes en bois, qui ont inspiré de nombreux autres artistes montréalais. «Pourtant, on n’a rien inventé, explique l’artiste en faisant aller son pinceau. Y a eu un moment à Montréal où tout le monde s’est mis à mettre des têtes de mort partout. Nous, on cherchait un symbole pour représenter le band. Ça a commencé avec une espèce de loup-garou, mais c’était trop évident. On a choisi la tête de mort de côté, parce que c’était partout, et quelques années plus tard, c’est revenu.» D’ailleurs, pourquoi cette fascination pour les têtes de mort? «Depuis toujours, c’est un symbole très puissant. Nous, on essaie de l’amener de façon plus légère, presque humoristique, avance Vincent Lévesque. C’est comme les triangles qui ont toujours été très présents dans les arts. Ça symbolise quelque chose de très ésotérique et ça venait nous chercher.»
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Leurs oeuvres terminées et envoyées à cuire au four à céramique, Alexander Ortiz et Vincent Lévesque ressortent du Café Céramic avec le sentiment du devoir accompli. Avant d’enfourcher son vélo et de repartir vers sa tanière, Vincent y va de son mot de la fin. Péteux de broue, le design? «C’est vrai que ça peut être frais chié comme univers. Ça dépend de ta perception. Les gens qui lisent Urbania s’intéressent probablement au design. Est-ce qu’ils sont nécessairement des péteux de broue? Je ne pense pas! Pas les lecteurs d’Urbania!» Éclatant de son caractéristique rire de bon gars sympathique, le claviériste envoie la main en disparaissant au loin. Les Loups sont repartis en chasse.