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Dans la ferveur du carnaval de Recife

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Loin des clichés, cette fête populaire est l’une des plus authentiques du Brésil.

“Quand le carnaval touche à sa fin, les gens se mettent souvent à pleurer,” soupire Filipe, designer de 30 ans originaire de Recife. Après cinq jours de festivités, les musiciens du bloc de Frevo s’apprêtent à envahir l’immense scène du Marco Zero, en plein coeur de la capitale de l’Etat de Pernambouc (Pernambuco). Dans quelques heures, l’Arrastão du Frevo viendra clôturer la fête avec son armée de trompetistes et ses danseuses aux robes multicolores sous les regards amusés de la foule venue en masse remplir les rues du centre d’une des villes les plus importantes du Nord-Est du Brésil. La ferveur qui s’empare de la ville n’a pas d’égal dans le pays. Cette année, plus d’un millon et demi de festivaliers ont participé à cette grande fête traditionnelle qui se veut proche de l’esprit originel des diverses communautés qui ont façonné l’ancienne capitale brésilienne de la canne à sucre.

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A la différence du carnaval de Rio de Janeiro ou de Salvador de Bahia, l’ambiance a su rester populaire, bien loin des défilés sponsorisés et des loges payantes qui ont fait leur apparitions dans les autres grandes villes brésiliennes. José, retraité, en est à son quarantième carnaval. “Aucune ville du Brésil ne possède un carnaval aussi bon que celui de Recife, car ici, la fête est démocratique. Elle est le fruit des cultures africaines, indigènes et européennes. Tous les habitants de la région sont représentés et la fête se déroule en pleine rue.” Son ami Cesar, assis à ses côtés, acquiesce. Pourtant, l’homme est originaire de Salvador dont le carnaval est réputé pour la musique axê et “ses trios electricos”, des chars équipés de grosses sonos crachant des décibels jusqu’au petit matin. “Ce qui fait la différence à Recife, c’est la ferveur populaire et la musique,” ajoute Cesar, assis sur un trottoir au milieu de la foule une bière à la main.

Tambours et défilés

C’est au rythme du frevo que bat le coeur des habitants du Pernambouc. Déclaré patrimoine de l’humanité par l’UNESCO en 2012, il est né à la fin 19e siècle dans cette région du Brésil colonisée successivement par les Hollandais et les Portugais. Il est le fruit de la contestation sociale et des luttes politiques de l’époque, en particlier celles des esclaves africains amenés de force pour travailler dans les champs de canne à sucre qui bordent le littoral autrefois peuplé par les indiens Tabajaras et Caetas. L’orchestre de frevo comprend généralement une section de cuivres et une section rythmique qui dictent un tempo survolté aux danseurs vêtus de robes multicolores. Les “blocs”, sorte de fanfares, défilent les un après les autres dans la chaleur tropicale de la Venise brésilienne, dont la lagune et les innombrables ponts rappellent de très loin sa cousine italienne.

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Les ruelles étroites aux magnifiques églises coloniales et aux façades noircies par le temps voient aussi défiler les groupes de maracatu. Les tambours résonnent aux quatre coins de Recife, perçant la nuit étoilée d’un vacarme intense qui enchante aussi bien ses habitants que les visiteurs venus de tous le pays. Les danseuses aux robes somptueuses du groupe de maracatu Leão Coroado animent la fête dans le vieux Recife. Ce groupe fondé par des esclaves en 1863 est l’un des plus anciens du pays.L’origine de ce rythme remonte à la période coloniale et trouve ses origines en Afrique, terre natale des esclaves noirs dont les traditions ont très fortement influencé la culture locale. Les groupes, aussi appellés Nações (nations), célèbrent le couronnement de rois et de reines africaines au son de puissantes percussions. Puis suivent tous les membres de la cour royale : les princes et princesses, ducs et duchesses, barons et baronnes.

Olinda la magnifique

Fondée en 1535 par les Portugais, la ville d’Olinda située à six kilomètres de Recife est l’un des hauts lieux du carnaval. Cette charmante bourgade au passée glorieux voit défiler pendant plusieurs jours des dizaines de milliers de visiteurs alcoolisés. Batman, Captain America ou bien même le héros de dessin animé mexicain El Chavo se donnent rendez-vous chaque année à Olinda pour participer à la fête. “Ici, le carnaval est bon enfant, malgré la ferveur de la foule et les litres de bières avalés par les carnavaliers, il y a très peu de violence,” explique Desylene, 45 ans, une brésilienne expatriée à Munich qui revient chaque année pour ne pas manquer cette fête aux accents populaires.

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“Je n’ai jamais vu quelque chose de pareil,” confie un touriste australien. Entre les averses, les fanfares défilent sur les pavés d’Olinda la magnifique. Certaines portent des marionnettes géantes de papier mâché aux couleurs vives, une tradition qui perdure depuis 1932. Après plusieurs jours de festivités, les carnavaliers profitent des stands de cuisine locale pour reprendre des forces. On y dévorent des brochettes, de la feijoada (un plat local à base d’haricots noirs) ou du manioc accompagné de viande sechée. Pour de nombreux habitants du Pernambouc, l’attente jusqu’à la prochaine édition sera longue. Au lendemain de la clôture du carnaval, le quotidien local ne pouvait que se lamenter : “Retour à la réalité : plus que 359 jours à attendre jusqu’au prochain carnaval.”

Le rendez-vous est pris.

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