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Je serai franche: je n’ai pas passé une très belle semaine. Je n’ai pas de propension particulière pour la hargne, mais il m’arrive d’être prise d’un zèle critique me poussant à tout questionner. De la teneur en sodium de mes Corn Flakes aux préceptes qui ordonnent la laïcisation de la société québécoise, par exemple.
En général, ça dure quelques jours et ça passe. Je me replonge ensuite dans un hermétisme moral suffisant à faire fi des aberrations qui teintent la vie en général. Un minimum nécessaire pour maintenir un seuil d’apathie viable, disons. C’est triste à dire, mais c’est assez inévitable.
Mais lorsque j’ai l’esprit acerbe, tout passe au bat de ma conscience. Je fesse mentalement sur tous les clous que je rencontre jusqu’à ce que mon 2 par 4 mental en soit criblé jusqu’à la moelle. Je happe au vol les faits ahurissants qui marquent l’actualité, et je les démolis en mon for intérieur jusqu’à mort s’en suive. Je deviens une véritable harpie obsédée par la notion de « bien » et de « mal » au fond des choses; je m’énerve moi-même et me couche aigrie, le soir venu.
Bon. C’était une semaine comme ça.
Entre le budget Bachand, le printemps aussi inopiné qu’inquiétant et les harangues démagogiques éhontées de Martineau (épisode #1432), j’ai eu l’impression de ruminer sans cesse un fond de bile empreint d’indignation. Métaphore dégueulasse; presqu’autant que l’état d’esprit dans lequel je me trouve(ais).
Puis, à force de ressasser ma rengaine de mécontentement, et après avoir honni silencieusement le trois quarts des faits qui ont été portés à ma connaissance… je me suis trouvée ridicule. C’aurait pu être un ridicule du genre : « 20 ans à peine, et déjà aigrie! » (boah, vous pouvez me l’affubler aussi, celui-là, si vous voulez). Mais il s’agissait plutôt d’un constat amer quant à l’immobilisme et l’aspect non constructif de ma grogne. Autrement dit, j’ai les nerfs à vif, mais l’esprit ankylosé. Bien de la verve pour me fâcher, mais bien peu pour structurer une pensée proposant un correctif pour la situation déplorée.
Souvent, trop impulsifs devant l’affront, j’ai l’impression que nous substituons systématiquement la réflexion par le cynisme. L’essence de la problématique s’en trouve alors dissoute sans qu’on ait pris le temps de s’y attaquer en profondeur. Il s’agit à mon sens d’un écueil dangereux pour la raison.
Plutôt que d’assumer notre indignation et de la sublimer de manière constructive, nous avons tendance à emprunter la voix de la facilité et à l’exprimer en maugréant, sans pour autant pousser la réflexion. Comme si l’indignation ne pouvait être qu’une fatalité. Au contraire! Elle devrait s’ériger comme un pilier du dialogue. Un combustible.
Là encore, j’aurais envie de rouspéter. « Une belle gang de cornets qu’on fait là, avec notre chiâlage inerte et borné!» Mais à la place, j’essaie plutôt de me questionner. Pourquoi peinons-nous autant à contrecarrer à ce qui nous heurte avec des armes rhétoriques? Pourquoi les positions se campent-elles sans s’entrechoquer? Avons-nous à ce point peur de la confrontation des idées que nous préférons endurer la perpétuelle insatisfaction? S’est-on tellement habitué au cynisme ambiant que nous n’en discernons plus les conséquences sur la Pensée? Notre système de valeurs est-il devenu si malléable que nous en avons égaré tout sens critique? Est-ce normal que les mouvements précèdent les idées?
Deviendrons-nous victimes de nos propres désillusions, de notre propre lot d’amertume ordinaire? J’ai parfois l’impression de m’agiter avec ferveur pour souligner mon mécontentement, mais d’avoir tout de même la tête enfouie dans le sable. Ou derrière quelconque simulacre de bonne foi. Il n’y a pas très longtemps, je suis tombée là dessus :
« Mon indignation me lasse : elle ressemble beaucoup trop à de la bonne conscience, elle se prend trop pour de la vertu, et, au bout du compte, elle me donne trop souvent l’impression d’être au-dessus des choses » – Bernard Émond.
Je crois qu’il faille plus que jamais oser l’examen de conscience.
J’ai beaucoup de questions et peu de conclusions, aujourd’hui. Vous l’aurez remarqué, j’imagine. C’est ce qui m’arrive quand je réfléchis trop. Je suis moins drôle, mais pas moins sincère.
Reste que même si on ne s’est pas fendu la pipe, les questions demeurent. Je me les répète en boucle.
***
Cependant, j’aimerais tout de même souligner qu’hier, jeudi le 22 mars, 200 000 personnes sont descendues dans les rues de Montréal pour signifier qu’elles ne s’en foutaient pas, et que leur grogne transcendait l’apathie. L’action populaire est précisément le contre-exemple du cynisme parce qu’elle témoigne de l’espoir d’un changement. Hier, mes comparses m’ont rassurée quant à la promesse de notre génération. Le pavillon rouge est brandi. Soyons fiers d’être debout.