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Cup Keeper

Par
Manon Varin
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Phil Pritchard n’est pas le hockeyeur le plus doué. En fait, il n’a jamais chaussé les patins dans la Ligue nationale de hockey. Il n’a donc jamais remporté la Coupe Stanley, et pourtant, c’est sans doute lui qui a passé le plus de temps aux côtés du fameux trophée au cours des 20 dernières années. Portrait d’un homme et son trophée.

Phil Pritchard est le curateur du Temple de la renommée du hockey à Toronto. C’est aussi le vétéran d’un quatuor qui accompagne la Coupe Stanley dans tous ses déplacements. Où la Coupe va, Phil va. Que ce soit pour la promotion ou la tenue d’un événement, si la Coupe y fait une apparition, il n’est jamais très loin. C’est aussi lui qui, chaque année, la porte au centre de la glace pour la tendre au capitaine de l’équipe gagnante.

Il se rappelle sa première balade avec le précieux trophée. «Nous étions seulement huit au Temple de la renommée à l’époque et la Coupe devait aller à Newmarket, une banlieue de Toronto, pour un tournoi de hockey mineur. Mes patrons ont demandé qui voulait y aller et, comme personne n’a levé la main et que j’étais nouveau, j’ai dit oui. C’était en septembre 1988.»

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Au fil des ans, les destinations visitées par la Coupe sont devenues de plus en plus exotiques. Sans ne rien vouloir enlever à la banlieue de la Ville-Reine, la Coupe a depuis voyagé aux quatre coins du monde. Cette année seulement, elle a traversé le Canada, est allée aux États-Unis, en République tchèque, en Slovaquie, en Sibérie, en Finlande et en Suède. Phil Pritchard a été témoin privilégié de nombre de ces voyages, ayant visité plus d’une douzaine de pays dans le cadre de son travail. Des pays qu’il n’aurait probablement pas visités autrement.

Parmi tous les voyages qu’il doit faire, les visites individuelles chez chacun des membres de l’équipe gagnante de la Coupe Stanley sont sans contredit les plus exigeantes, mais également les plus agréables. À chaque année, depuis 1995, tous les membres de l’équipe gagnante ont le privilège de passer 24 heures en compagnie du fameux trophée pendant l’été. La plupart l’apportent à la maison où ils ont réuni parents et amis pour festoyer. «Voir l’expression des joueurs et celle de leur famille et amis lorsqu’ils montrent ce qu’ils ramènent à la maison, c’est extraordinaire. Je suis vraiment privilégié d’être une petite partie de tout ça.»

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Le temps d’une journée, Phil Pritchard fait donc partie de la famille. «Les 20 premières minutes sont souvent inconfortables, car on ne veut pas être dans le chemin, mais la Coupe vient avec un gardien, c’est la tradition, dit-il. Si les joueurs ne me voient pas près d’elle, ils ne croient pas que c’est la vraie.» Les doutes des joueurs peuvent être fondés puisqu’il y a en réalité deux Coupes Stanley. L’officielle, qui a été soulevée par Maurice Richard et Patrick Roy, et une réplique qui la remplace temporairement au Temple de la renommée lorsque l’originale est sur la route. Pendant les célébrations, Phil Pritchard se fait un devoir de toujours garder un œil sur la Coupe. Enfin presque. Lorsque l’appel de la nature se fait entendre, il se permet de la quitter des yeux pour se rendre à la salle de bain. «C’est vraiment le seul moment où personne n’a un œil dessus. En fait, c’est faux. Le joueur gagnant avec qui on célèbre a attendu toute sa vie pour être près de la Coupe alors je ne suis pas inquiet; je sais que rien de fâcheux n’arrivera.»

Tout est permis… ou presque
Pour célébrer et souligner le passage de la Coupe Stanley dans leur patelin, certains joueurs font preuve d’une grande originalité. Au fil des ans, la Coupe a entre autre été célébrée dans un sauna en Finlande, elle a été portée au sommet des Rocheuses en Colombie-Britannique et a été utilisée comme bol de céréales (des Froot Loops!). Le beau-frère d’un joueur suédois a même profité de l’occasion, cet été, pour faire baptiser sa fille dans la Coupe. Puisque l’alcool coule souvent à flots lors des célébrations, Phil Pritchard a aussi eu l’occasion de boire à même le trophée. «La première fois que la Coupe est allée en Russie, en 1997, on m’y a fait boire de la vodka puisqu’on disait que je faisais moi aussi partie de la tradition.» Bref, tout est permis. Ou presque. Tout ce qui pourrait endommager le trophée, le respect ou l’intégrité de la Coupe ou du hockey est proscrit.

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Lorsqu’on lui demande quel a été son meilleur moment avec la Coupe, son gardien n’a pas à fouiller très loin. «C’était l’été dernier, à Terre-Neuve, chez Daniel Cleary, des Red Wings de Détroit. C’était la première fois qu’un joueur de l’endroit la remportait. Daniel Cleary, joueur des Red Wings, venait d’une petite ville de 2 000 habitants et 30 000 personnes se sont présentées pour voir la Coupe. Il était la fierté de Terre-Neuve. C’était une journée pluvieuse, fraîche, mais extraordinaire. Je me sentais privilégié d’y participer. » Trente milles personnes qui se sont déplacées en quelques heures pour immortaliser un moment avec le fameux trophée, c’est dix fois moins que l’affluence générale annuelle du Temple de la renommée à Toronto.

Respecter la tradition
Partisan des Canadiens de Montréal depuis toujours, Phil Pritchard célèbre cette année sa 20e année au Temple de la renommée. À savoir s’il continuera de jouer au globe-trotter avec le précieux trophée pour encore longtemps, le Torontois est réaliste. « J’adore faire ça, mais je ne me vois pas être encore sur la route 150 jours par année dans 10 ans, ou même 5 ans. C’est dur pour le foie, vous savez», ajoute-t-il avec un sourire. «La vie d’hôtel peut être difficile. Il y a aussi le décalage horaire. Pas toujours évident d’être sur le party.» Non Phil, pas évident.

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Être quotidiennement aussi près du plus grand symbole de l’accomplissement au hockey procure aussi des avantages à la famille et aux amis. Père de deux filles et un garçon, Phil Pritchard se fait chaque année un plaisir d’apporter la Coupe à l’école de ses enfants. «C’est extraordinaire pour les jeunes, mais je serais encore plus populaire si j’emmenais des popsicles.»

Bien qu’il ait déjà aussi apporté la Coupe avec lui à la maison, il n’a jamais osé la lever à bout de bras comme le font les joueurs en signe de victoire. «Il y a une grande superstition au hockey qui dit que vous devez méritez le droit de la lever. Je respecte cette tradition, comme la majorité des joueurs. L’an dernier, on était dans la ville natale d’Alex Kovalev, en Russie. Il m’a dit que son été se déroulait très bien, jusqu’à ce que je me pointe avec la Coupe. Il n’y a même pas touché. Mais il m’a dit qu’il comptait bien la gagner et la ramener à la maison un jour.»

Justement Phil, crois-tu que la Coupe pourrait revenir à Montréal cette année ? «Le hockey a une tradition bizarre à ce sujet. Montréal a gagné la première Coupe Stanley de l’histoire (ndlr: avec l’Association athlétique amateur de Montréal), et aussi lorsqu’elle a eu 100 ans en 1993. Si les dieux du hockey sont à la hauteur, la Coupe pourrait revenir à Montréal. Ce serait merveilleux pour le hockey, qu’on soit partisan des Canadiens ou non. »

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