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Bonjour,
Je voudrais vous proposer comme sujet d’article «c’tu normal si on parle rarement des abus sexuels faits aux hommes?» Il pourrait aider plusieurs hommes, je crois, à sortir de l’isolement. Merci beaucoup!
Alexandre
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Je suis en constant état d’émerveillement devant la pertinence de vos questions et ce mois-ci, je ne peux que réitérer mon appréciation. C’est vrai, Alexandre, qu’on peut avoir une connaissance limitée de la réalité des agressions sexuelles commises envers les hommes.
Question de me déclencher l’inspiration, j’ai donc fait un petit sondage maison en posant la question suivante: «À quoi pensez-vous si je vous dis «homme victime d’agression sexuelle»?».
Certaines réponses revenaient plus que d’autres:
– Un enfant victime d’un pédophile
– Un homme gay qui se fait agresser par un autre homme gay
– Un gars en prison qui se fait agresser par un autre détenu
Au Canada, 12 % des victimes d’agression sexuelle sont des hommes.
Il est possible qu’on ait l’impression d’avoir fait le tour de la question en ayant en tête ces référents et bien qu’ils ne soient pas complètement hurluberlus, on comprendra qu’ils ne témoignent pas nécessairement de la complexité du portrait.
Au Canada, 12 % des victimes d’agression sexuelle sont des hommes. Dans la majorité des situations, les agresseurs étaient en position d’autorité et/ou étaient bien connus des victimes alors que dans 19 % des cas les agresseurs étaient de purs étrangers.
Il faut préciser que ces cas ont été recensés par le Ministère de la Justice et qu’ils ont été inévitablement dévoilés aux autorités. Reste que tous genres confondus, environ 88 % des agressions sexuelles ne sont pas dénoncées, ce qui est ÉNORME.
Qu’est-ce qui fait qu’on tait une agression?
On parle entre autres de la peur de représailles de l’agresseur, du manque d’information au sujet des ressources d’aide, de l’incertitude sur l’avantage d’en parler et de la crainte des réactions négatives de l’entourage comme par exemple, de ne pas être cru ou d’être jugé.
Parlons-en de cette peur d’être jugé. Parce que concernant la réalité masculine évoquée dans la question, il y a toutes sortes de fausses-croyances qui font en sorte qu’un homme pourrait avoir peur du jugement ou même avoir de la difficulté à identifier que oui, il a vécu une agression sexuelle. Des exemples?
Les hommes seraient sexuellement insatiables et en voudraient toujours plus.
«Un jeune ado qui couche avec une prof? Lucky him, c’est toute qu’une initiation! C’est un fantasme! Pas une agression!»
Voilà un cas où on attribue des intentions d’adulte à un adolescent, prenant pour acquis qu’il devait être consentant parce que YO! C’est un privilège!
Mais non.
Les critères d’âge du consentement et d’abus de pouvoir ne sacrent pas le camp quand la victime est un homme. La notion de consentement est toujours fondamentale. C’est la même chose pour tout le monde: entre partenaires adultes, peu importe l’orientation, peu importe le contexte, que ce soit au sein d’une relation de couple ou d’une relation client-travailleur du sexe, si une personne refuse de participer à une activité sexuelle et qu’elle est forcée de le faire, c’est une agression.
Ce n’est pas parce que les cas déclarés sont rares, que ça n’existe pas.
Un homme ne peut pas être agressé sexuellement par une femme! Voyons donc!
Les cas déclarés se font rares, mais ça ne fait pas en sorte que la réalité est inexistante: il arrive effectivement que des hommes soient victimes d’agressions sexuelles perpétrées par une femme. On parle d’environ 5 % des infractions sexuelles, mais il faut préciser que dans les études où les femmes étaient judiciarisées, environ la moitié d’entre elles avaient commis leur délit avec un coaccusé.
Les agressions n’impliquent pas toujours la force physique.
«Chez l’enfant, peut-être, mais chez l’adulte, vraiment?! Les hommes se doivent d’être forts et en contrôle alors que c’est ça de s’faire abuser par des femmes qui seraient physiquement moins vigoureuses?!»
Encore une fois, on fait référence à ces damnées attentes sociales orientées vers les genres. Mais les femmes ne sont pas nécessairement moins vigoureuses que les hommes et de toute façon, les agressions n’impliquent pas toujours la force physique. Il peut y avoir tout un contexte de manipulation et de prise de pouvoir qui passe par autre chose que les gros muscles, tenons-nous-le pour dit!
Quand un homme a une érection et éjacule, ça démontre qu’il a aimé le contact sexuel. Si c’est arrivé pendant une agression, ben il a aimé ça… alors est-ce que c’était vraiment une agression?
Ça arrive de jouir, d’avoir une érection, d’éjaculer pendant une agression sexuelle et non, ce n’est pas une révélation d’un désir inconscient de vivre cet abus. J’en ai parlé dans le texte L’orgasme tabou et je réitère: on ne devient pas soudainement consentant parce qu’on a éprouvé certaines sensations, parce qu’on a orgasmé. C’est une réaction physiologique, au même titre que lorsqu’on chatouille une partie du corps, on peut frissonner et pousser l’onomatopée de la rigolade alors qu’à la base, on n’avait peut-être pas envie d’être touché.
Cette réaction physique associée au plaisir peut alimenter la honte et la peur du jugement en générant de la confusion. Parlant de confusion, certaines victimes hétéros peuvent se demander si le fait que leur agresseur soit un homme ne les «rendrait» pas homosexuels, alors qu’il n’y a aucune corrélation directe.
À force de baigner dans des propos stéréotypés, il est possible qu’un homme ait une certaine réticence à dévoiler ces agressions.
Donc on comprend que ça peut faire beaucoup de choses à gérer points de vue psychologique, cognitif, identitaire, affectif, sexuel et relationnel. Ce flou fait en sorte qu’un survivant d’une agression peut ne pas savoir par quel bout prendre la situation et donc, ne pas en parler. Mais on ne le dira jamais assez: en contexte d’abus, la culpabilité devrait être ressentie par la personne qui a pris le contrôle sur l’autre. Pas par celle qui l’a temporairement perdu.
Même quand on s’identifie comme homme et qu’on a peut-être entendu en boucle qu’un gars ça ne parle pas que l’yabe et qu’entre eux, les hommes ne se confient pas, on peut trouver de l’aide et en parler. Je comprends qu’à force de baigner dans ces propos stéréotypés, il est possible qu’on ait intégré le message et qu’on ait une certaine réticence à se dévoiler. Mais ces barrières-là, ça peut aider qu’elles sacrent le camp graduellement, lentement, mais surement, à notre rythme.
Et ici d’dans, on n’est pas seul à vouloir aider. Si vous sentez que ça pourrait vous apaiser, que vous ayez vécu un abus sexuel ou que vous connaissez quelqu’un qui en a été victime, vous pouvez communiquer avec ces ressources qui sont là, pour vous. N’hésitez pas. On peut s’accueillir sans jugement. On peut se soutenir. On peut se croire.
Ressources pour hommes:
Centre de ressources et d’information pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance- CRIPHASE (Montréal) : (514) 529-5567
SHASE (Sherbrooke) : (819) 564-5043, poste 250
Ressources pour tous genres confondus:
Ligne-ressource et d’écoute provinciale pour les victimes d’agression sexuelle et leurs proches (7/7 24/24 sans frais, bilingue et confidentiel): 1-888-933-9007
Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal (7/7 24/24) : 514-934-4504
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Vous avez envie de partager un questionnement existentiel affectico-émotivo-relationnel-sexuel? Le courrier du coeur du Filles d’Aujourd’hui vous manque? URBANIA est à la rescousse! N’hésitez pas à envoyer vos questions en toute confidentialité à Julie Lemay, notre collaboratrice spécialisée en sexologie, qui répondra chaque mois à vos demandes (même les plus hurluberlues) à travers la rubrique «C’tu normal si…»: [email protected]