Allô Julie!
C’tu normal si mon premier crush était un dessin animé? Ça fait quelques amies qui me confient ça. Une amie m’a dit qu’elle était attirée par Simba quand elle était jeune. Moi à 15 ans, j’étais inexplicablement horny pour le Aladdin de Disney.
A.
Bonjour A.!
Eh que je te comprends. En toute confidence, le prince de la Petite Sirène m’a activé l’abstrait désir d’union conjugale à un jeune âge. De façon extrêmement primitive, je couine d’ailleurs toujours de l’intérieur lorsque je rencontre quelqu’un qui s’appelle « Éric ». J’en témoigne personnellement et professionnellement, la fiction nous fait vivre DES CHOSES.
Alors, c’tu normal d’avoir le crush sur une animation?
Oui, c’est normal.
Et pourquoi donc avoir la gambette molle à la vue d’un personnage fictif?
Parce qu’en tant qu’enfant, c’est pas mal tout ce qui nous est présenté comme référent d’histoires amoureuses. Bon, oui, on peut entendre parler de la relation passionnée de mononcle Jean-Claude et matante Micheline, mais on va se le dire, on ne peut pas nécessairement s’y identifier quand on a sept ans. Sans offense pour J-C et Mich, mais leur histoire semble aussi nettement moins enchanteresse que celle qui est ponctuée par une ride de tapis volant te faisant défiler des merveilles devant tes yeux.
Mais dans les films, dans les dessins animés, dans tout ça… oh là oui! Ça fait rêver. Nous sommes aux premières loges, on les voit parler, chanter, danser, on les voit sauver le monde, on développe un sentiment d’attachement et en plus, on peut projeter ce qu’on veut sur le personnage de notre choix. On peut être en fusion avec eux parce que finalement, ils vivent pas mal dans notre tête dû à leur statut de non-humain : on le sait bien, on ne les croisera jamais à l’épicerie.
Dommage.
Ce serait pourtant saisissant de croiser Jafar dans le frigidaire à bières.
Donc c’est là que tranquillement pas vite, comme bambino/bambina, on commence à se projeter dans une vie « hors cellule familiale/milieu de vie ». « Moi quand je vais être grand. e, je vais vivre le même sentiment de bien-être que Belle [SPOILER ALERT] quand elle retrouve la Bête-pas-en-Bête à la fin du film! », qu’on se dit.
Le monde imaginaire nous permet d’avoir le contrôle à 100 % sur nos scénarios. Les élu. e. s de nos cœurs n’ont pas beaucoup de profondeur, tant au niveau graphique qu’identitaire. Admettons que la crise existentielle ne mine pas tant leur quotidien, ou du moins, ils ont cette facilité à te régler ça à grand coup de chanson féerique pour se rétablir le moral.
Un bonheur de rêve, je vous dis.
Parce qu’il y a ça, dans les dessins animés : la nuance n’est pas bien bien présente. Les contes sont souvent clivés entre le bien et le mal. Et enfant, naturellement, on tend vers la vertu, pour ce qui nous paraîtrait réconfortant. Avouons-le, c’est rare qu’on entend un. e petit. e dire qu’il.elle est en amour avec Scar ou avec Cruella. Les personnages choisis ne nous semblent ni menaçants ni décevants.
Dans ton cas, c’est peut-être pourquoi Aladdin t’as semblé turn on jusqu’à 15 ans. Il y a quelque chose de sécurisant, dans la fiction. Beaucoup plus que dans le réel. Alors on se nourrit l’imaginaire et ça, ça peut perdurer à la vie adulte, comme réflexe de protection. Pensons aux personnes qui maintiennent des relations virtuelles tout en évitant l’intimité réelle : je regarde tes images, j’interprète tes écrits comme je le veux bien, tu restes dans les scénarios que je me crée. Oui, ça peut perdurer, que je disais!
Mais trêve de critique sociale moderne, il faut comprendre qu’un « crush » enfantin demeure plutôt abstrait et reste adapté à notre capacité de raisonnement. Par exemple, en vieillissant, ton amie a probablement compris assez vite que dater Simba amènerait théoriquement son lot de défis tels que :
Prendre le métro avec Simba.
Manger au resto avec Simba.
Frencher Simba.
Souvent, ce type « d’attirance » se transformera à l’adolescence, période pour laquelle on développera souvent un béguin pour une personnalité connue, humaine, cette fois (RIP Patrick Bourgeois). Naîtra alors une certaine confusion entre l’admiration et l’amour, ce qui est une phase affective exploratoire assez commune. Le hic, c’est de comprendre que tous ces référents qui meublent nos fantasmes relationnels relèvent d’une certaine idéalisation.
Il y a beaucoup de rééducation à faire par rapport à ce qu’est véritablement une relation amoureuse, dans toutes ses déclinaisons et avec tous les défis qu’elle peut impliquer. Sans pointer Disney en lui criant de façon hystérique « C’est de ta faute, Walt! De TA FAUTE! », on peut dire qu’à plusieurs niveaux, on nous a créé des fausses espérances quand on nous a raconté l’amour, étant enfants.
Et ça me fait toujours drôle de nous voir, adultes, raconter à notre tour ces histoires, alors qu’on porte un bagage relationnel pouvant être… comment dire… complexe et chargé. Mais en revisitant nos classiques, on s’apaise, on se permet de se tartiner la vie d’un peu de magie en se ramenant à cette époque où on croyait aux théières qui parlent et aux souris qui cousent des vêtements. Oui, on est devenu. e. s grand. e. s mais il peut nous arriver encore aujourd’hui, dans notre fin fond du fond, de cultiver un petit espoir qu’on vivra nous aussi, qui sait, l’histoire éternelle, qu’on ne croit jamais.