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Crouler sous les dons

La générosité des Québécois.es émeut la communauté ukrainienne.

Par
Hugo Meunier
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« On a un dicton ukrainien qui dit : razom nas bahato, ce qui signifie “ensemble, nous sommes nombreux”. Il prend tout son sens ici », lance Wolodymir Klisko, en pointant les monticules de dons qui s’élèvent dans l’immense sous-sol d’une église de la rue Bellechasse, dans le quartier Rosemont.

Après avoir visité trois points de chute de dons destinés aux Ukrainien.ne.s en guerre et aux réfugié.e.s attendu.e.s ici, un constat s’impose : la solidarité se porte bien, à l’heure où les bonnes nouvelles se font rares.

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Une tournée aussi étourdissante qu’émouvante, tellement la population répond en grand nombre pour prêter main-forte aux Ukrainien.ne.s. Les gens défilent sans arrêt avec des boîtes de vêtements, denrées non périssables, jouets, médicaments en vente libre, produits hygiéniques et autres, en plus de se présenter sur place pour offrir leurs bras.

Un branle-bas humanitaire d’une rare envergure, qui surprend d’ailleurs les membres de la communauté ukrainienne qui doivent dépatouiller tout ça. Un beau problème, cela dit. « Les dons ont explosé ces derniers jours. J’ai aussi vu des petites familles débarquer ici en pleurs, en disant avoir de la place chez elles pour héberger des réfugiés le temps qu’il faut. Les gens sont incroyables », s’exclame Wolodymir, un employé d’Air Canada qui orchestre bénévolement les opérations à l’église l’Assomption-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie.

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C’est pour lui la moindre des choses. « C’est mon église, j’ai été baptisé ici il y a 38 ans. C’est important, le monde a besoin de support et il faut faire quelque chose », affirme-t-il avec aplomb.

Devant l’ampleur de la tâche, il a du mal à prendre quelques minutes pour m’accorder une entrevue et boire des gorgées de son café. « Encore cinq minutes, je vais avoir besoin de lui! », m’avertit d’ailleurs Marika, autre bénévole, qui a reçu ici la veille la mairesse Valérie Plante avec un gâteau traditionnel ukrainien.

Elle exhibe d’ailleurs fièrement la une du quotidien The Gazette, qui a immortalisé la scène.

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Les nombreux et nombreuses bénévoles grouillant sur place ne suffisent pas à la tâche et pourraient travailler durant 24 heures sans arrêt.

Les dons doivent être triés et dirigés vers les bons endroits. Les médicaments d’un côté, la nourriture de l’autre et les vêtements – usagés ou non – sont classés par âge ou sexe. « Au-delà de cet élan de générosité, nous n’étions pas équipés pour faire face à une telle logistique », admet Wolodymir, qui a pu profiter de l’expertise en gestion de crise de deux policiers communautaires du SPVM. « Là, on demande aux gens d’arrêter d’apporter des vêtements, puisqu’on en a assez pour remplir l’équivalent d’un 53 pieds. On a même pas fini de tout vérifier. »

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Les dons prennent plusieurs fois par semaine la route de Toronto, d’où ils partent ensuite en Pologne en avion par l’entremise d’une compagnie d’expédition ukrainienne. « On prône les dons d’argent en ligne, c’est plus sécuritaire et ça nécessite moins de logistique », suggère Wolodymir, ajoutant que les besoins en médicaments sont à l’heure actuelle les plus pressants.

Dans le petit escalier derrière, les gens entrent et sortent sans arrêt avec des sacs et des boîtes. Les bénévoles sont incapables d’accueillir tout le monde tellement le flot de donateurs et donatrices est incessant. À mon passage, il y a même un bouchon de circulation sur la rue en bordure de l’église. « En m’en venant sur la Métropolitaine, j’avais presque les larmes aux yeux », confie Benoît Bourgeois, l’employé d’une boutique électronique venu livrer vingt grosses boîtes de vêtements pour femmes flambants neufs.

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Au même moment, une dame âgée se présente avec deux sacs remplis de tampons et d’autres produits hygiéniques. « Je mets ça où? », demande-t-elle.

« On se sent si impuissants, mais on essaye de faire de notre mieux avec nos moyens », enchaîne Wolodymir, qui a de la famille en Ukraine, comme pratiquement tous les membres de la diaspora. « Ma famille ne veut pas quitter l’Ukraine pour participer à l’effort de guerre. Ma tante travaille à l’hôpital et mon oncle est sorti de sa retraite pour contribuer », raconte-t-il avant de retourner se mettre à l’ouvrage.

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« Va falloir travailler : hier, c’était vide! », s’exclame au même moment Isabelle Baumann-Lenot, une bénévole qui débarque sur place amorcer un nouveau quart. Elle n’en revient pas de la quantité de dons qui s’est accumulée depuis la veille.

Elle supervise les opérations dans le sous-sol de l’église, aux côtés de Wolodymir. « Je ne suis pas Ukrainienne, je suis Française, mais je suis surtout en colère. C’est cette colère que je suis venue canaliser ici », raconte Isabelle, en train de trier des vêtements pour femmes. « On a assez de linge maintenant, on a besoin de brosses à dents, dentifrices, savons etc. Le nécessaire pour recommencer leur vie ici. »

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Un peu plus tôt, Wolodymir suggérait même d’offrir des cartes-cadeaux, une manière d’aider les réfugié.e.s à se familiariser avec nos commerces.

Le bénévole ne sait toujours pas quand les réfugié.e.s urkianien.ne.s débarqueront à Montréal, mais mentionne qu’un employé du ministère de l’Immigration est passé la veille pour préparer leur arrivée.

Quelques minutes dans le sous-sol de l’église suffisent sinon pour contempler la solidarité à l’œuvre. Sonia, par exemple, est partie de Rosemère pour faire un don. « Je travaille dans le communautaire et ça me touche beaucoup », explique la jeune femme, venue offrir des vêtements d’enfants et du lait concentré. « Un de mes amis est Ukrainien et je suis venu l’aider », souligne de son côté Marilou, venue faire du bénévolat et donner un siège de bébé pour la voiture.

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De l’autre côté du boulevard Saint-Michel, rue de l’Ukraine, la scène se répète à la cathédrale orthodoxe convertie en autre point de chute. J’y croise une collègue de La Presse, venue rencontrer le prêtre Volodymyr Kouchnir, l’air débordé.

Devant l’autel, la bénévole Lucie s’affaire à classer les dons. « J’habite tout près et j’ai décidé d’aider après avoir vu un reportage », raconte cette Rosemontoise, impressionnée par la quantité, mais aussi la qualité des dons. « Des fois, ça m’arrache le cœur, comme quand je reçois du linge de bébé », admet Lucie en me désignant une table remplie de vêtements pour nouveau-nés.

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En sortant dehors, un VUS est stationné en double le temps de permettre à son propriétaire d’aller porter en vitesse plusieurs boîtes de dons.

À quelques kilomètres de là, à l’Église catholique ukrainienne Saint-Michel-Archange sur Iberville, les couleurs bleu et jaune sont bien visibles de l’extérieur. « Nous n’acceptons plus les vêtements », peut-on lire sur une pancarte accrochée à la clôture. Sur une porte latérale, une feuille est accrochée sur laquelle on retrouve la liste des besoins, notamment des médicaments, des diachylons et des batteries.

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À l’intérieur, les bénévoles fourmillent. J’accroche la responsable Khrystyna Lastovetska, une jeune femme de Terrebonne dépêchée en renfort. Elle salue aussi la générosité des Québécois.es. « Nous sommes très reconnaissants. Ce que nous ressentons dans notre cœur nous aide à traverser ces moments difficiles », souligne Khrystyna devant les boîtes de dons triés au fond de l’église, prêtes à être envoyées.

Faire sa part l’aide à se sentir moins impuissante et à ne pas penser à plusieurs membres de sa famille toujours en Ukraine. « Ils ont tous des passeports canadiens, mais ils veulent rester par patriotisme. Les maisons de mon frère et mon père dans l’ouest du pays servent présentement à héberger des réfugiés », souligne Khrystyna, qui invite les gens à donner via une liste sur Amazon. « Ce n’est pas un conflit comme le présentent parfois certains médias, c’est une guerre, une invasion et la douleur est inhumaine », résume la bénévole, citant en exemple le bombardement d’un hôpital.

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Au moment d’écrire ces lignes, les chars d’assaut russes sont aux portes de Kyiv et l’Union européenne s’attend à recevoir des millions de réfugié.e.s.

À 7000 kilomètres de là, la mobilisation citoyenne envers le peuple ukrainien ne changera peut-être pas l’issue de la guerre, mais elle constitue certainement un rare baume sur toute cette noirceur.