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En matière de vétérance et d’authenticité, le Lafleur de la Rue Notre-Dame Est est dur à battre. Juste à la sortie d’Hochelag, ce resto a pignon sur rue entre un silo à grain, d’immenses réservoirs de gaz reliés par des oléoducs, une track de chemin de fer, le port de Montréal, pis un paquet d’usines. Quand tu arrêtes manger là, tu sais que tu vas manger le repas du travailleur!
Une affaire que tu vas remarquer dans le line-up pour commander, c’est l’enthousiasme du staff. Ce n’est pas toujours évident de trouver des employés motivés pour travailler dans un fast-food, pour des raisons salariales évidentes. Mais, ici, les gars ont vraiment l’air d’en faire une carrière. Le gars à la caisse niaise avec tout le monde et un punch n’attend pas l’autre. Sérieusement, j’ai rarement vu ça.
C’est pas mêlant, ces gars-là me rappellent Aristote.
Lui, il disait que, peu importe ta job, il faut viser l’excellence. Si tu travailles dans un stand à patates, ben essaie de faire les meilleures patates possible, c’est juste de même que tu pourras être satisfait de ta journée./J’ai doublement triché en arrêtant au Lafleur a’ec junior cette fois-là. Premièrement, j’ai soupé au Lafleur un samedi soir. Deuxièmement, je me suis laissé tenter par leur poutine, alors que je m’étais promis qu’on arrêtait yinque pour des hot-dogs (vu que je m’étais déjà claqué une poutine du Gerry’s, la veille).
Mais si y’a une affaire que je sais dans la vie, c’est que c’est tough en crisse de résister à l’envie de commander une poutine, une fois que t’es rentré dans le Lafleur. Surtout quand t’es dépendant, comme moé. Ça fait que je me suis commandé le trio numéro 4 (les fameux hot-dogs suprêmes au fromage orange salé et bacon), avec un extra poutine. Fiston, lui, a décidé qu’il voulait deux steamés plain, pis qui les mangerait avec pas de pain! Il faut en profiter, c’est pas toutes les fins de semaine qu’on est tout seuls entre gars, vu que la mère est partie en Ontario a’ec ses chums de filles!
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Trêve de tergiversations et parlons un peu du repas.
D’abord, est-ce qu’on peut imaginer une meilleure façon de pimper un hot-dog qu’en lui ajoutant du fromage jaune pis du bacon? Poser la question, c’est y répondre. Cette combinaison amène vraiment le hot-dog à un autre niveau. Je ne juge personne, mais je ne peux pas imaginer que des gens vont passer toute leur vie sans manger de bacon. Si on devait me priver de bacon, je ne répondrais plus de mes actes. D’ailleurs, je remarque qu’il y a toujours de la guerre, partout où on ne mange pas de bacon. Un hasard? Je ne pense pas.
Maintenant, passons à la pièce de résistance: la poutine. Un phénomène m’a frappé au fur et à mesure que j’ingurgitais la bête: sa constance. Vu la composition du plat alliant le solide et le liquide, la très grande majorité des poutines deviennent de moins en moins bonne au fur et à mesure qu’on les mange. Pas celle-là! Cette poutine se démarque en donnant le meilleur d’elle-même, du début à la fin du repas. Deux raisons expliquent cette performance hors du commun: la consistance parfaite de la sauce et la croustillance exceptionnelle des frites employées.
Je le répète, il est extrêmement difficile d’atteindre un tel degré de croustillance, avec des frites maison (qui ne sont donc pas panées), ce qui s’explique par le fait qu’elles soient coupées très minces, quelque part entre la julienne et la frite ordinaire; le ratio friture/patate est donc élevé. Ensuite, elles ont probablement été préparées à l’aide de la méthode de la double cuisson. Il n’y a qu’un seul bémol à propos de ces frites: l’huile à cuisson qui semblait avoir pas mal de millage. C’est dommage, car chaque fraction de point perdu sur l’échelle de 10 fait très mal quand on joue dans cette catégorie de poutine.
Comme je l’ai dit ci-dessus, la consistance de la sauce était parfaite. Son goût était également intéressant, si bien que je n’ai eu besoin ni de sel, ni de poivre pour relever le plat national. Une légère touche d’acidité, compensée par un soupçon de sucré, fait en sorte que cette sauce brune parvient à se tailler une place parmi l’élite./Vu le roulement important de la clientèle, le fromage en grain est extrêmement frais. Le seul bémol est peut-être la quantité de fromage qui laisse un peu à désirer, si bien que les habitués de la place commandent souvent un extra fromage.
L’analyse individuelle de ses éléments constitutifs ne rend pas justice à cette poutine, puisque nous sommes réellement en présence d’un plat dont le tout dépasse la somme des parties.
Chaque élément s’imbrique parfaitement dans l’autre pour créer un met d’une rare finesse, quoiqu’en dise ses détracteurs. Car on le sait, parmi l’élite intellectuelle multiculturelle du Plateau-Mont-Royal qui ne jure que par La Banquise et qui craint de se rendre au sud de la rue Sherbrooke, la poutine du Lafleur a mauvaise presse. On la trouve prolétaire, voire vulgaire.
Or, en ma qualité de critique de poutine, je me dois aujourd’hui de rétablir certains faits et d’affirmer que la poutine du Lafleur de la rue Notre-Dame Est est peut-être l’une des plus sous-estimées au Québec, et donc, au monde. Cette poutine-là, c’est un peu la fille qui s’habillait comme Stéphanie Couillard au secondaire, avec les cheveux toujours attachés d’une triste couette, pis des grosses lunettes; celle qui te lançait des regards en coin que tu te dépêchais d’ignorer. Tsé la fille qui t’a fait te traiter de crisse de cave au bal des finissants, une fois que tu l’as vue toute chixée avec les cheveux détachés. Ouin, celle-là.
On est toujours prêts à conduire jusqu’à l’autre bout de la ville et plus loin encore à la recherche d’une poutine qui dépasse les 9/10. Mais on oublie toujours qu’il y a la poutine du Lafleur à cinq minutes de distance. Une poutine complète, authentique et faisant preuve d’une rare constance. Au fur et à mesure que je la mangeais, je lui ai accordée successivement la note de 8.85, 9.0, pis finalement 9.15/10, un score exceptionnel. Qui sait la note que cette poutine aurait pu atteindre avec une huile à patates frites plus fraîche et une plus grande quantité de fromage!
En même temps, ces petites imperfections contribuent peut-être un peu au caractère authentique de cette poutine qui côtoie les meilleures, sans jamais se prendre pour une autre.