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Créer pour gérer l’anxiété (ou lancer des projets artistiques en plein isolement)

Diminuer le stress à l’ère du coronavirus.

Par
Rose-Aimée Automne T. Morin
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L’isolement n’est recommandé que depuis quelques jours que déjà, les projets fusent! Sur Facebook, des parents publient des photos du journal de quarantaine qu’ils ont conçu pour leurs enfants; sur Instagram, l’humoriste Mathieu Dufour diffuse chaque soir un talk-show improvisé dans lequel on retrouve des personnalités publiques dans le confort de leur foyer; et pendant ce temps, l’autrice Mélodie Nelson a annoncé qu’elle publierait chaque semaine une fiction inspirée de faits réels soumis par le public, sur son blogue…

Bref, la création trouve le moyen de faire son chemin malgré la fermeture des lieux de diffusion. Et c’est tant mieux, parce qu’elle est nécessaire à notre santé mentale. Preuves ici-bas!

Se divertir malgré la crise

« Mercredi soir, j’ai atteint 60 000 abonnées Instagram. Il était 11 heures du soir, j’étais sur ma toilette et j’ai eu envie de dire merci! J’ai parti un live et rapidement 1 000 personnes le regardaient… Je me suis dit : imagine si je call le rendez-vous en avance! »

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On comprendra donc que le talk-show virtuel de l’humoriste Mathieu Dufour – présenté chaque soir depuis environ une semaine – n’est pas né du coronavirus, or il est rapidement devenu un projet axé sur l’isolement suscité par la maladie.

« Tout le monde est enfermé, alors aussi bien se rassembler, m’explique le jeune humoriste. Je pense que c’est justement cet isolement qui a créé l’engouement du public. D’abord, on rejoint des gens directement chez eux. J’ai par exemple jasé avec François Bellefeuille en direct de son salon ou encore avec Véronique Cloutier en direct de son lit… C’est une vraie proximité, ça! Ensuite, c’est un rendez-vous pour avoir du fun pendant une période d’angoisse. Rien n’est planifié, c’est 100% spontané. Et je pense que ça fait du bien à tout le monde. »

Effectivement! Comme l’a écrit l’autrice Anne-Laure Gannac dans la revue Psychologies : « En ces temps de crise, […] il nous faut nous divertir. C’est-à-dire, comme l’explique le philosophe Pascal, à la fois détourner notre attention de ce qui risque de nous déprimer, mais aussi nous diversifier, faire de nous un autre être que celui que nous sommes, nous sortir de ce corps qui ne change guère, de cette famille, de ce couple, de ce poste, bref : se fuir soi-même. »

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Et mettons qu’en pleine quarantaine, ça se peut qu’on ait une affaire ou deux là-dedans à fuir…

Défier l’angoisse en créant

« Vous me racontez quelque chose qui vous a rendu heureux? Je fictionnaliserais certains de ces moments et tenterais de publier une nouvelle à ce sujet au moins une fois par semaine, ici ou sur mon blogue. »

C’est l’offre lancée par l’autrice Mélodie Nelson, sur Facebook. Quand je lui ai demandé ce qui avait motivé cet élan créatif, elle m’a laissé découvrir son angoisse.

«Ce qui me rend calme depuis toujours c’est d’écrire, de prendre soin des autres dans mes capacités (je sais sucer et écrire et faire des biscuits), d’utiliser les histoires des autres pour faire du sens et divertir, et mon idée de partage de moments de bonheur répond à ça. »

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« J’avais de la difficulté à dormir hier, j’avais fait une liste mentalement de lettres à écrire si je mourrais (je suis hyper privilégiée, je suis à l’intérieur, je n’ai pas à sortir, j’ai de la pizza et du Fresca, mais je pense toujours à si j’allais mourir, et qui pourrait avoir mes secrets, et à qui je manquerais, moi qui dis toujours à mes enfants que je ne mourrai jamais, je reste). Je n’arrivais plus à dormir, j’aurais eu besoin d’un corps à toucher sans les limites du sommeil et du virus, et j’ai pensé à ce qui me permettrait d’aller mieux.

Je suis comme figée depuis quelques jours, je ne montre plus de photos de mes seins sur insta, je regarde des photos de Jojo Savard, je joue aux Barbies avec ma fille et je ne partage aucune info parce que je trouve que tout le monde a déjà trop d’infos/de photos de brunch/de remèdes magiques concoctés par le grand-père du meilleur ami de leur voisin d’enfance.

Et ce qui me rend calme depuis toujours c’est d’écrire, de prendre soin des autres dans mes capacités (je sais sucer et écrire et faire des biscuits), d’utiliser les histoires des autres pour faire du sens et divertir, et mon idée de partage de moments de bonheur répond à ça. »

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Qu’on soit autrice ou non, la création a effectivement un effet calmant. Une étude menée en 2016, publiée dans le Journal of the American Art Therapy, avance qu’aussi peu que 45 minutes d’activité créative peuvent significativement réduire le stress, peu importe notre niveau de talent. Or, du talent, Mélodie Nelson en a à revendre. Et elle le met ici à profit.

« [Ça répond à] mon besoin de me rendre utile et de me protéger aussi. D’être dans un ailleurs pas ailleurs, comme mon propre moment joyeux, celui de m’être retrouvée, le temps de quelques heures dans un lieu qui me donnait l’impression d’être un décor de carton-pâte, avec de la vodka, de la boisson aux fraises et des discussions qui s’ouvraient sur d’autres discussions. »

Elle touche là un point important : la création permet de détourner notre attention des sources de stress et de cesser la rumination des pensées angoissantes. Et en être témoin peut également avoir un effet bienfaiteur. Comme le résume Mélodie Nelson : « Je pense que je ne suis pas la seule qui a besoin de lire du beau, de savoir que le beau sera performé encore. Mes nouvelles auront comme souhait d’être le pendant des photos de chats. »

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Offrir un espace aux artistes

Maintenant, il peut être très anxiogène pour les artistes de voir leurs lieux de diffusion s’éteindre, leurs spectacles s’annuler, leur voix se restreindre. Heureusement, Julie Delporte, Hélène Bughin, Olivia Tapiero et Ève Landry ont leur bien-être à cœur.

Elles ont créé le compte Instagram @corona_culture, dont des auteur.rices prendront le contrôle à tour de rôle pour partager du contenu sous la forme de leur choix.

« On se mentira pas, il y a un climat de panique qui s’installe, m’ont-elles expliqué. On trouve important de retrouver un sentiment d’unité en dehors de ça, de se créer des espaces collectifs. Ce n’est pas qu’on ressent soudainement un besoin urgent de créer, mais en réponse à la fermeture de tous nos espaces, on s’adapte. On déplace la « scène » vers le web. On se donne un lieu de réflexion collectif, un genre de forum de partage, mais c’est aussi un espace ludique. C’est dans des temps comme ceux-ci qu’on a le plus besoin de fun.

«Subvention ou pas, lieux de diffusion ou pas, on continue à créer. Plus que jamais. Et ça, c’est freaking beau à voir.»

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Dans un whitenoise médiatique angoissant, on cherche à occuper l’espace médiatique avec ce qu’on fait de mieux : la création. On a besoin de se rappeler que la vie n’est pas figée. Que le temps qui s’étire est aussi une occasion de s’investir dans des projets collectifs, de création ou autres. Il faut investir l’immobilité pour en forger quelque chose qui nous ressemble à tous.tes. C’est aussi une manière pour notre milieu de se prouver, une fois de plus, qu’on a la force du nombre. Subvention ou pas, lieux de diffusion ou pas, on continue à créer. Plus que jamais. Et ça, c’est freaking beau à voir. »

La création comme vecteur d’espoir.

Ça, la réalisatrice Sophie Lambert y croit aussi. Elle a lancé le groupe Facebook « Et toi? Ça va? », dans lequel des artistes de tout acabit sont invités à partager sur leur quotidien. « On est un paquet de créateurs coincés chez nous, m’explique-t-elle. Le but, c’est d’être en lien autrement qu’en relayant des articles de La Presse et de se donner un exutoire pour réduire l’angoisse de l’isolement, si jamais c’est trop pour nous! Puis, comme le disait ma mère : les artistes sont habitués de vivre dans le doute et sans grande sécurité. Si ce qu’on vit en ce moment est une forme de fin du monde, qu’on capote collectivement parce qu’on n’a plus de points de repère, alors ce sont peut-être les gens qui vivent depuis toujours dans une certaine précarité qui sont les mieux armés pour nous aiguiller… »

Se laisser apaiser par l’art ET se laisser porter par les artistes.

Ça nous apaise une petite fin du monde, non?

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