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Covid-19 : rien de commun dans le transport en commun

Des usagers et des employés de la STM vivent beaucoup d'incertitude

Par
Hugo Meunier
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Le jour se lève à Montréal. Ce qui frappe d’emblée, c’est que les autobus de la STM sont pratiquement les seuls véhicules qui circulent sur le boulevard Rosemont. Ça tombe bien, l’idée est de passer les prochaines heures dans le transport en commun pour voir comment s’y vit la crise, tant pour les usagers que pour les employés, dont une cinquantaine ont été infectés par le COVID-19 à ce jour.

Impatient mais surtout inquiet, le syndicat des chauffeurs d’autobus et opérateurs de métro a publié la semaine dernière une publicité invitant les usagers à porter un masque et suivre les consignes de distanciation en vigueur. En entrevue à La Presse, le président du syndicat avait déploré le fait que l’employeur refuse de limiter à 15 le nombre de passagers. De son côté, la STM plaide que c’était déjà le cas dans 95% des 17 000 trajets en bus quotidiens, soulignant également que la moyenne se situe autour de 8-9 passagers.

Impossible d’embarquer à l’avant ou de payer en espèces, l’entrée se fait à l’arrière et les titres de transport ne sont pas validés à bord, bien qu’ils demeurent obligatoires.

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Pour prendre le pouls de la situation, je grimpe d’abord dans l’autobus 197 à l’angle de ma rue et du boulevard Rosemont. L’autobus est pratiquement désert un peu avant 7h. Des rubans jaunes séparent la portion avant du véhicule, empêchant l’accès au chauffeur. C’est voulu. Impossible d’embarquer à l’avant ou de payer en espèces, l’entrée se fait à l’arrière et les titres de transport ne sont pas validés à bord, bien qu’ils demeurent obligatoires.

Au métro Rosemont, une affiche sur le poste du changeur nous oriente vers les distributrices de billets. Après avoir acheté une passe de jour, j’applique une couche de Purell que j’ai trainé avec moi. Le syndicat réclame depuis le début du désinfectant pour les mains accessibles à tous dans les installations.

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Premier constat: le métro en direction de Côte-Vertu est plutôt fréquenté dans les circonstances. C’est étrange de voir autant d’humains réunis à un seul endroit, une vision rare ces jours-ci. Environ le tiers des passagers est masqué.

Des consignes sanitaires sont martelées dans les haut-parleurs et sur les télés dans le wagon. « Toussez et éternuez dans le creux de votre coude », exhorte la voix rassurante dans le métro. Malgré tout, on se surprend à s’ennuyer de la voix de Michèle Deslauriers qui nous annonce une interruption de service sur la ligne verte.

Un gars circule de wagon en wagon pour quêter de l’argent, sans succès. La monnaie n’est pas la tendance de l’heure.

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Même si la station Berri-UQAM est achalandée, on est loin de la cohue d’antan sur la ligne orange à heure de pointe. Un des rares bénéfices du coronavirus dans nos vies. J’en profite pour accrocher à 6 pieds quelques usagers pour enquêter sur leurs allées et venues.

« Je ne touche à rien rien rien! », insiste Andrée, qui prend le métro chaque jour depuis la station Crémazie pour aller travailler au CHUM comme agente de programmation.

Comme elle, plusieurs usagers du transport travaillent d’ailleurs dans les hôpitaux et autres services essentiels.

«Honnêtement le transport en commun m’inquiète plus que mon travail. À l’hôpital, on suit des protocoles, mais pas ici, où je vois souvent des gangs de jeunes.»

C’est aussi le cas d’Alexandrine, qui s’occupe du transport des patients à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. « Honnêtement le transport en commun m’inquiète plus que mon travail. À l’hôpital, on suit des protocoles, mais pas ici, où je vois souvent des gangs de jeunes », explique celle qui s’inquiète évidemment pour sa propre santé, au point d’être « stressée d’être stressée ». « Je remarque que l’achalandage a augmenté depuis la semaine dernière », constate du même souffle la jeune femme, avant de disparaitre dans son wagon.

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Un peu plus loin, Pierrot emprunte aussi le transport en commun quotidiennement, en portant chaque fois son masque et ses gants. « Je travaille dans le sanitaire alors je suis habitué. Il faut rester calme pour ne pas stresser les autres », explique ce préposé à l’entretien à la Mission Bon Accueil.

Au même moment, un employé de l’entretien du métro passe la moppe sur une rangée de bancs près de la rame. Un geste qu’il répète plus souvent qu’à l’habitude. Lui aussi constate une hausse de l’achalandage dans le souterrain ces derniers jours. « Ah j’aime pas ben ça, mais j’ai pas le choix! », lance-t-il au sujet du contexte ambiant, ajoutant que certaines personnes ne respectent pas les consignes de sécurité. « Ça dépend des jours! », résume l’employé, pendant que trois policiers masqués débarquent sur le quai pour faire une ronde.

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Chaque fois qu’un train s’immobilise, une étrange danse s’opère. Comme un tango d’inquiétude entre ceux qui descendent du train et ceux qui essayent de les éviter pour monter à bord.

En route vers Beaudry, un gars chante « Yesterday » des Beatles à tue-tête dans l’indifférence générale pendant qu’un homme débarque à la station, non sans d’abord lancer un « you’re beautiful » non-sollicité à une fille perdue dans ses pensées.

À la station Langelier, plusieurs inspecteurs de la STM patrouillent l’édicule presque désert. Un itinérant sort du métro, ramasse un butch par terre et l’allume.

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De l’autre côté de la rue, l’autobus 33 en direction sud a la réputation d’être souvent achalandé et en effet, la distanciation de deux mètres est difficile à maintenir au moment de partir.

Un passager masqué pouffe de rire lorsqu’un couple âgé descend devant le Walmart de Langelier quelques arrêts plus loin. « Moi je passe pour un malade avec mon masque et pas ce couple de 80 ans ?!! », s’étonne le jeune homme, avant de se lancer dans une théorie du complot difficile à suivre. « Ça (le virus) a été fabriqué en laboratoire, tout le monde est au courant! Et Trudeau a laissé la frontière ouverte tout ce temps-là! Les gens sont nourris par la panique et c’est impossible de réfléchir quand on a peur! », peste le passager, avant de descendre à son tour faire son épicerie.

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À l’heure actuelle, rien n’oblige le port du masque dans le transport en commun ou ailleurs dans l’espace public. La STM a dit préférer s’en remettre aux autorités en santé publique pour trancher. En point de presse mardi après-midi, le directeur national de la santé publique Horacio Arruda semblait sur le point de recommander cette nouvelle mesure dans les transports en commun et autres endroits où la distanciation de deux mètres n’est pas possible.

D’ici là, se couvrir le visage demeure à la discrétion des passagers et des employé(e)s

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Philippe, un chauffeur d’autobus en transit devant la station Langelier, ne ressent pas le besoin de le porter et estime que les choses se déroulent bien en général pour lui jusqu’ici. « Il n’y a pas beaucoup de charge, mais beaucoup d’attente. C’est presque plus fatigant », raconte le chauffeur d’expérience, qui dit faire confiance à sa clientèle pour ne pas entrer dans sa bulle pendant qu’il travaille. « On pourrait sans doute mettre un plexiglass, mais ça se passe bien jusqu’ici », explique Philippe, qui refuse de jouer à la police de la distanciation sociale dans son véhicule.

Un son de cloche plus optimiste que celui de ce changeur rencontré au métro Berri-UQAM. « Les gens ne respectent pas les consignes », se lamente-t-il, confiné dans son aquarium vitré avec sa bouteille de produit nettoyant à main.

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Il faut dire que la station est très fréquentée par les populations plus vulnérables auprès de qui les messages de la santé publique peuvent avoir de la difficulté à se frayer un chemin . La suite illustrerait la situation particulière dans laquelle est plongée la station, puisqu’en quelques minutes, une personne itinérante en crise crachait plusieurs fois par terre en vociférant et plusieurs policiers et agents du métro intervenaient auprès d’un jeune homme intoxiqué qui pissait le sang dans l’escalier après une chute.

Dans le couloir avant de sortir, Caroline quête depuis quelques minutes à peine. « Je veux juste 5$ pour m’acheter une tisane. Je fais un régime d’infusions de dix jours pour perdre du poids, mais aussi développer des anticorps contre le virus », explique-t-elle, en exhibant son nouveau foulard.

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Dehors, le ciel est gris et des gouttelettes de pluie commencent à tomber.

Dans son autobus garé devant l’UQAM, cette chauffeuse en pause qui souhaite converser l’anonymat avoue trouver que les temps sont durs. « Hier, j’ai reçu ma première bouteille de désinfectant à main et on ne fournit pas les gants. J’ai franchement pensé lâcher ma job. », déplore la chauffeuse à l’emploi de la STM depuis 15 ans, qui porte le masque dans certains circuits qu’elle estime plus à risque. « Il y a des gens avec des problèmes de santé mentale qui n’ont pas peur du virus et n’hésitent pas à passer sous le ruban pour entrer dans notre bulle. On devrait mieux protéger les gens en première ligne et on devrait être considérés parmi ces gens », plaide la chauffeuse qui réclame ardemment une vitre de plexiglass entre elle et ses passagers.

Un autre chauffeur croisé près du métro Jean-Talon partage aussi les inquiétudes de sa consoeur. « J’ai commencé à midi et j’étais le 3e chauffeur. Je dois moi-même nettoyer mon espace de travail avant de commencer, il n’y a qu’un tape à franchir pour permettre au client d’entrer dans ma bulle. Je ne me sens pas à l’abri du tout, j’ai peur de l’attraper. », dénonce Martin.

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Au moment d’écrire ces lignes, 23 chauffeurs et 46 employés de la STM au total ont été diagnostiqués positivement à la COVID-19 depuis le début de la crise, selon les chiffres officiels. La STM confirme que 11 d’entre eux sont désormais rétablis et de retour au travail.

En entrevue, Renato Carlone, le président du syndicat de la STM, dit craindre par-dessus tout le retour de l’achalandage avec l’éventuel déconfinement. « Des centaines de personnes croisent nos chauffeurs chaque jour. C’est pas vrai qu’on va recommencer l’embarquement par la porte avant sans barrière physique ou plexiglass », ajoute celui qui représente les 4700 chauffeurs d’autobus, opérateurs de métro, changeurs, chauffeurs du transport adapté et préposés au centre de service de la société.

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Il s’inquiète aussi de la salubrité des autobus et des métros et refuse de croire son employeur qui affirme nettoyer la flotte chaque journée et demie. « Et même à ça, les bus passent quatre chauffeurs par jour! Legault et Arruda ne parlent jamais de nous, on est délaissés! », déplore M. Carlone, qui dit être inondé d’appels d’employés inquiets. « Ce sont pas juste des appels, ce sont des cris du coeur! », précise-t-il.

De son côté, la STM assure que le nettoyage se fait rigoureusement, encore plus depuis la conclusion d’une entente cette semaine mettant les employés de bureau à contribution. « Les chauffeurs ont aussi tout le matériel pour nettoyer leur poste de travail », assure la porte-parole Amélie Régis.

«Le port du masque serait un bon départ. Pas besoin d’être médecin pour savoir que ça va réduire les risques de transmission.»

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Refusant de jeter le blâme sur quiconque, le chef syndical espère que des leçons seront tirées de cette crise pour le futur. « Le port du masque serait un bon départ. Pas besoin d’être médecin pour savoir que ça va réduire les risques de transmission», croit M. Carlone, qui devrait être exaucé rapidement. La STM mentionne que les inspecteurs et les chauffeurs en transport adapté portent déjà le masque et dit demeurer à l’affût des recommandations des autorités. « On est en discussion avec la santé publique et la Chambre de commerce pour voir ce qu’on peut mettre en place comme mesure supplémentaire », souligne Amélie Régis, au sujet notamment d’une paroi de plexiglass pour protéger les chauffeurs.

Décidément, il n’y a rien de commun dans le transport en commun et tout porte à croire que la situation n’est pas à la veille de revenir sur les rails.