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Course contre la montre pour céder son bail
« C’est la dernière fin de semaine pour céder votre bail […]. La CAQ va interdire la cession de bail à partir du début de la semaine prochaine », a déclaré le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois sur TikTok, le 15 février dernier.
Si vous êtes locataire, vous avez sûrement entendu parler du projet de loi 31. Présentée par la ministre responsable de l’Habitation France-Élaine Duranceau, la loi inclut plusieurs nouveautés touchant à l’habitation, mais on en parle surtout parce qu’elle rendra les cessions de bail beaucoup plus difficiles, une fois adoptée. En résumé, les propriétaires auront le droit de refuser une cession de bail pour un motif autre que sérieux, ce qui ouvre la porte à… pas mal tous les motifs.
Pour certains locataires qui pensaient céder leur bail, la semaine du 12 février a été un véritable sprint avant que la loi ne soit adoptée, ce mercredi 21 février.
Nous avons rencontré deux locataires qui se sont lancés dans cette course contre la montre.
Une montagne russe d’émotions
Angèle habite depuis environ un an et demi dans son 3 ½ qui lui coûte 680$ par mois, une perle rare à Montréal. Son arrivée dans son appartement s’est effectuée grâce à une cession de bail de l’ancien locataire, mais non sans avoir dû se battre pour la faire accepter par le propriétaire. Maintenant qu’elle songe à quitter cet appartement, elle tient à céder son bail pour que le prix du loyer demeure abordable.
Son amoureuse, Sabrina, et elle font du lèche-vitrine d’appartements depuis décembre dernier. Si elles n’ont pas encore déniché une nouvelle perle rare, le projet de loi 31 a précipité leur démarche.
« Avec la loi, on s’est dit qu’on n’avait plus trop de temps », indique Angèle, découragée par la situation.
La dernière semaine a été pour le couple une montagne russe d’émotions : elles ont essayé d’échanger l’appartement d’Angèle pour vivre dans un logement plus grand.
Après de nombreuses visites, leurs recherches n’ont pas porté fruit. « On a visité [des appartements] qui nous plaisaient, mais les locataires n’étaient pas forcément intéressés ou décidaient de garder leur appart », explique Sabrina.
« En général, je ne suis pas anxieuse. Mais cette semaine, j’avais l’impression que j’étais en train de me créer trois ulcères à l’estomac, tellement j’étais stressée », confie-t-elle.
Sabrina en sait peut-être un peu plus que la moyenne des locataires sur les loyers grâce à son expérience comme stagiaire à l’Association des locataires de Villeray. Lors de son passage, l’association insistait sur la cession de bail pour que les prix des loyers demeurent abordables. « Les locataires n’ont aucun pouvoir. Tout ce qu’on peut faire, c’est informer les futurs locataires », explique-t-elle, démoralisée.
Pour s’assurer de pouvoir céder son bail avant l’adoption de la loi 31, Angèle a pris la décision de le céder à un ami pour le 1er juillet. Bien que sa copine et elle n’ont pas encore trouvé d’appartement, elles préfèrent s’assurer que le propriétaire n’augmente pas le loyer de façon drastique, comme c’est souvent le cas lors d’un changement de locataire. Elles ont envoyé la demande la journée de notre rencontre, soit la journée même où la loi a été adoptée.
Des augmentations salées qui font fuir
Marc-Antoine habite en colocation dans son appartement depuis 3 ans. Son nom est sur le bail, mais pas celui de sa colocataire, Chloé. Cette année, à la suite d’une augmentation de loyer qu’il juge déraisonnable, Marc-Antoine en a eu assez et a décidé de déménager.
« Ça a un peu précipité les choses », m’explique-t-il.
« En trois ans, j’ai eu trois augmentations. La première était de 15$, la deuxième était de 35$ et là, c’est 70$. Ça a doublé », confie Marc-Antoine, fâché de la situation. Le nouveau prix du loyer représenterait une hausse de 5,7%.
Après avoir entendu parler du projet de loi 31, il s’est dit que c’était maintenant ou jamais s’il voulait quitter. Depuis, il s’est trouvé une place dans une autre colocation et il a déniché quelqu’un pour reprendre son bail et habiter avec Chloé. Ne sachant pas comment la situation allait évoluer, il s’est dit que la meilleure solution serait de partir le plus tôt possible. « Je ne pouvais pas vraiment prendre mon temps. On a voulu envoyer ça rapidement. »
Le locataire apprend, deux jours après l’envoi de sa demande de cession de bail, que celle-ci est refusée.
« On va enlever l’obligation pour les propriétaires de refuser pour un motif sérieux, mais déjà en ce moment, le “motif sérieux” a le dos large », réplique Marc-Antoine, fâché par la situation.
Finalement, sa propriétaire lui a proposé une entente à l’amiable pour que le bail se termine le 31 mars, plutôt que le 30 juin. Une proposition qui mettra toutefois des bâtons dans les roues de Chloé qui doit maintenant se trouver un nouveau logement pour le 1er avril, au lieu de rester dans son logement actuel puisque la propriétaire refuse la cession de bail. « Tout le fardeau est déjà sur les locataires, c’est juste pire », explique Marc-Antoine.
Celui-ci raconte qu’à la suite du refus, il a appelé sa propriétaire pour lui expliquer, désespéré, que : « Je ne sais pas si vous réalisez à quel point ce que vous faites, c’est vraiment inhumain. Vous logez des gens. C’est grâce à vous qu’on a un toit sur nos têtes. »
Il ajoute qu’il pense que le projet de loi 31 renforce l’aspect purement transactionnel du rapport qu’entretiennent les propriétaires avec leurs locataires. Marc-Antoine ajoute aussi que la crise du logement affecte le moral des propriétaires. « J’ai l’impression que les dernières années ont rendu les propriétaires encore plus méfiants », nuance-t-il.
Avec le dépôt du projet en juin 2023, celle-ci a été adoptée moins d’un an après, soit le 21 février 2024. Les effets à long terme de celle-ci seront à surveiller, mais les locataires ne voient pas l’avenir d’un bon œil. « C’est comme un pas en avant, suivi de deux pas en arrière », conclut Marc-Antoine.