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Course au logement : une fausse annonce, un prix exorbitant, une vraie crise

« Tu devrais l'afficher encore plus cher. »

Par
Hugo Meunier
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« Chaleureux 5 et demi dans le quartier Rosemont, avec deux chambres et un grand salon double. Quartier tranquille, à 15 min de bus de deux lignes de métro et tout près de la promenade Masson. Prix: 1550$ par mois. »

Voici l’annonce que j’ai d’abord publiée lundi sur MarketPlace, un site de petites annonces en ligne populaire appartenant à Facebook.

Dans le contexte actuel où la province est frappée par une flambée importante du prix des loyers, l’idée était de prendre le pouls des gens devant un loyer si élevé pour un appart banal situé dans l’est de la Ville, à un jet de pierre des boulevards Pie-IX et Rosemont.

En vérité, je partage un duplex avec mes parents et je n’ai aucun logement à louer. L’idée n’était pas de troller sadiquement les locataires désemparés (les quelques intéressés ont été avisés dès le départ de la démarche), mais plutôt d’essayer de brosser le portrait de la crise de l’intérieur, à l’heure où la pénurie bat son plein et où le taux d’inoccupation pour un logement « abordable » frôle le zéro dans la grande région de Montréal.

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Cette pénurie fait d’ailleurs les manchettes depuis quelque temps, on n’a qu’à penser à cette file interminable pour mettre la main sur un quatre et demi de Verdun au coût de 1000$.

Premier constat: je n’ai pas affiché un prix assez mirobolant à 1550$. Ce n’est pas moi qui le dis, mais une dame intéressée, qui m’a suggéré de monter mon prix après avoir été mise au parfum de mon expérience dès notre premier échange. J’avais pourtant mis des photos plutôt boboches avec mon annonce. En même temps, j’imagine que le bidet a considérablement fait monter les enchères.

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Blague à part, je me trouvais déjà très wild d’afficher 1550$ pour un 5 et 1/2, mais je n’avais donc moi-même aucunement conscience de la réalité du marché.

Quant au prix, je me suis inspiré des fourchettes estimées dans une enquête publiée l’an dernier par le Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec (RCLALQ), dans laquelle l’organisme a épluché plus de 60 000 annonces sur le site Kijiji. Mon 1550$ fait donc écho au 1563$ par mois demandé en moyenne pour un cinq et demi à Montréal.

Cette enquête vient d’ailleurs d’être réactualisée de brillante façon par Le Devoir, dont l’état des lieux donne la nausée. Selon leurs données, le coût moyen d’un 5 et demie dans mon quartier est désormais de… 1975,68$. C’est sans compter l’écart vertigineux entre cette triste réalité du marché et les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logements (SCHL), selon lesquelles le loyer moyen était de 893$ à Montréal en 2020.

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Bref, dans un contexte aussi fou, pas étonnant d’avoir reçu une première offre dès la publication de mon annonce. « Salut Hugo, ce logement est-il encore libre? Pour garder mes enfants à l’école du quartier, j’ai besoin de ce genre de logement et je suis très intéressé », m’écrit Stéphane*.

«Il faudrait que je mette 50% de mon salaire net pour avoir un logement à peine assez grand pour nous quatre. À l’aide!»

Aussitôt informé de cette expérience journalistique, il se livre un peu plus sur ses difficultés. « Si tu savais la difficulté à trouver, le jugement de certaines personnes qui me raccrochent au nez parce que je suis un père monoparental avec trois enfants. Sans compter les prix exorbitants et le fait de me faire dire que le prix du logement doit payer l’hypothèque au complet… je suis complètement dépassé par les évènements », avoue dans un cri du coeur Stéphane, mentionnant pourtant faire un très bon salaire. « Il faudrait que je mette 50% de mon salaire net pour avoir un logement à peine assez grand pour nous quatre. À l’aide! », lance-t-il.

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Des propos qui trouvent écho chez Gabrielle, aussi intéressée par mon faux logement pour elle, son chum et leur chat. « Désolé de t’avoir « trollé ». Si tu veux m’offrir un témoignage de ta quête de logement, je suis preneur », lui ai-je vite répondu, sans succès. « Je perds déjà beaucoup de temps à (essayer) de trouver un logement décent », justifie-t-elle.

C’est Maria qui m’informe le lendemain que je devrais monter mon prix pour que l’expérience soit plus concluante, après avoir répondu à mon annonce en demandant si les électros ou le chauffage étaient inclus et si les chiens étaient acceptés. « 1550$ pour un 5 ½ ce n’est pas exorbitant. C’est très bien en fait, essayez 1950$ ou quelque chose comme ça! », me suggère Maria.

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Soit, c’est exactement ce que je me suis empressé de faire, en me sentant aussi croche que Vincent Lacroix en 2005. À 1950$ par mois pour un 5 1/2 , j’ai au moins mentionné l’existence d’un sous-sol dans la description, en me gardant de spécifier que c’était le plus cool au monde et d’intégrer une photo à l’album.

Je souhaitais intérieurement que personne ne me fasse signe à un tel prix, que personne ne soit réduit à payer aussi cher pour se loger convenablement, jusqu’à ce que Marianne m’écrive le soir même. « Bonjour, est-ce que c’est toujours disponible? »

«On a même offert 200$ de plus pour un 5 1/2 à 1700$ et la propriétaire a choisi un autre couple.»

Après l’avoir mis au courant de ma patente, elle me résume brièvement ses malheurs. « En ce moment, c’est vraiment dur trouver un logement qui accepte les animaux et les prix sont vraiment trop haut. Quand t’écris au proprio, t’as même pas le temps de demander une visite, c’est déjà loué », peste Marianne, prête à payer presque 2000$ pour un couple. « On a même offert 200$ de plus pour un 5 ½ à 1700$ et la propriétaire a choisi un autre couple. »

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Après ces quatre échanges et avant d’effacer mon annonce, un autre homme a manifesté son intérêt. Au total, quelques centaines de personnes l’avaient vu passer (une quarantaine ont cliqué dessus, la majorité âgée entre 15 et 34 ans selon les statistiques de MarketPlace).

Une crise prévisible

La crise n’est pas sortie de nulle part et ce n’est pas d’hier que les organismes dédiés – comme le FRAPRU – pressent les autorités à agir. Le FRAPRU avait sonné l’alarme de la hausse vertigineuse des loyers l’été dernier et la pandémie n’a fait qu’accroître la vulnérabilité des locataires, explique la porte-parole Véronique Laflamme. « Un an plus tard, la situation est encore pire et le taux d’inoccupation a augmenté. Ce qui est disponible, c’est des logements trop chers et dans des quartiers précis. Mais pour les logements abordables, ce sont les mêmes taux d’indisponibilité que d’habitude », explique Véronique Laflamme.

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Pour les ménages gagnant 36 000$ et moins, Mme Laflamme estime que le taux d’inoccupation oscille présentement autour de 1%. « Les gens se garrochent dès qu’un logement est abordable, mais ce phénomène ne tient pas compte de toutes les bourses», explique-t-elle, en référence au fait d’exiger désormais 1000$ et plus pour des quatre et demie.

«on a l’impression que des proprios en profitent présentement pour demander des hausses abusives, puisqu’il y a moins de déménagements durant la pandémie.»

Véronique Laflamme ajoute que Montréal n’a plus le monopole de la pénurie et que la crise s’étend désormais partout en province. « Au Québec, plus de 400 000 ménages locataires consacrent plus de 30% de leurs revenus dans leur loyer, et 195 000 injectent plus de 50% », affirme la porte-parole, citant des statistiques remontant à avant la pandémie. « Ça faisait plusieurs années qu’on fermait les yeux sur ce problème. Le prix des loyers explose à cause de la pénurie et de la spéculation », souligne Véronique Laflamme, convaincue que ces chiffres ont continué à grimper. « On a l’impression que des proprios en profitent présentement pour demander des hausses abusives, puisqu’il y a moins de déménagements durant la pandémie. »

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Pour le FRAPRU, la pénurie attire de nouveaux visages vers les banques alimentaires, mais aussi dans la rue. Véronique Laflamme cite en exemple le campement Notre-Dame, où l’on dénombrait plusieurs locataires pris à la gorge n’ayant aucun historique en itinérance. « Dans un monde idéal, le prix du loyer serait celui qui tient compte de la capacité de payer », résume Véronique Laflamme, accusant le gouvernement de manquer de volonté politique et de se « sacrer » du dossier.

Montréal, le prochain Toronto

De son côté, le Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec (RCLALQ) est en première ligne pour témoigner de la continuité de cette flambée des prix, pire encore que l’année dernière, lors de la publication de leur enquête. « Augmentation de loyers importants, menace d’éviction, etc. Nos membres n’ont jamais vu ça et les prix sont complètement effrénés dans l’immobilier. On va refaire le même exercice cette année », promet le porte-parole Maxime Roy-Allard, au sujet de leur enquête sur la hausse vertigineuse des loyers.

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Difficile toutefois d’estimer un coût fixe pour un logement, puisque plusieurs critères entrent en jeu, rappelle Maxime. « C’est tellement subjectif, ça dépend de l’état, l’emplacement, etc. Il y a toutefois un écart de 30-40% entre les données du marché et celles de la Société canadienne d’hypothèques et de logements (SCHL) », calcule Maxime Roy-Allard, ajoutant que les gens ne devraient pas engloutir plus de 25% de leurs revenus pour se loger.

Cet écart s’explique toutefois par le fait que la SCHL tient compte des logements déjà loués autant que ceux sur le marché pour calculer sa moyenne.

Mais le problème de fond subsiste, affirme Maxime Roy-Allard.

« On ne construit pas de logements abordables, ceux qui existent sont en mauvais état. Montréal est en train de devenir le prochain Toronto, on est dans un cul-de-sac », déplore-t-il, ajoutant que les familles qui allongent 1000$ pour se loger vont y parvenir, mais à quel prix? « Elles vont se ramasser dans des logements insalubres infestés de coquerelles et de moisissures », se désole le porte-parole.

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À l’instar du FRAPRU, la RCLALQ ne sent pas non plus de volonté politique pour faire bouger les choses. « Malgré l’urgence d’agir, on voit que la CAQ ne s’intéresse pas à ça. Elle devrait pourtant, puisque même si les petits propriétaires sont à la gorge et la bulle immobilière va finir par éclater », prévient Maxime Roy-Allard.

Morale de l’histoire, c’est l’impasse présentement et – contre toute attente – la course au logement s’annonce encore plus périlleuse que celle pour mettre la main sur un vaccin.

Reste à savoir quelle crise prendra fin en premier. Les paris sont ouverts.

*Les noms ont été modifiés