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“Faites des équipes et discutez ensemble de quel est votre char de rêve…”
Mon amie a 25 ans et habite à Montréal. Elle est musicienne et fait parfois des shows à l’extérieur de la ville; après des années de covoiturage, elle a décidé de passer son permis de conduire pour pouvoir louer une voiture de temps en temps et faire la route par elle-même. Comme les cours de conduite sont obligatoires au Québec depuis 2010, elle s’est inscrite dans une école, et s’est rendue à son premier cours théorique.
Quand on a demandé en premier lieu à tous les élèves de se regrouper en sous-groupes pour discuter de quelle voiture ils aimeraient posséder, elle avait un peu de la misère à y croire. Surtout que la discussion a duré une bonne heure, soit la moitié de la première séance de cours… “J’ai dit que je ne rêvais jamais à des chars, que je ne voulais pas en acheter, juste en louer de temps en temps”, qu’elle me dit. “Ok, mais les jeunes de 16 ans tout excités à l’idée de s’acheter une Civic, eux, ils aimaient sûrement ça en parler?”, que je demande. “Ben non, tout le monde trouvait ça bizarre comme discussion… tu veux pas parler de ça avec des inconnus, tu suis les cours pour apprendre le Code de la route et passer ton examen pour pouvoir conduire, c’est tout”, qu’elle dit.
Ayant obtenu mon permis avant que les cours soient obligatoires, j’ai cru un instant qu’il s’agissait d’une fantaisie d’une école locale, mais non : c’est une étape standard exigée par le programme de la SAAQ. “Après, on désigne un porte-parole dans chaque équipe, et il explique devant le groupe pourquoi on avait choisi telle voiture. Apparemment, c’est pour être sûr qu’on va choisir un véhicule approprié à nos besoins”, ajoute l’amie. “Mais il me semble que le but d’un cours de conduite, c’est de nous apprendre à conduire, pas de nous aider dans notre magasinage…”
Effectivement, quand tu dois payer 800 $ pour tes cours de conduite et que le délai est d’au moins un an* avant que tu puisses enfin conduire seul, ce genre d’atelier peut être perçu comme étant, disons, un peu frivole…
On a donc demandé à la SAAQ quel était le but derrière cette activité, et on nous a répondu que c’était pour que les apprenants réfléchissent en groupe à ce qu’un véhicule représente pour eux. Est-ce simplement un moyen transport les menant du point A au point B (comme pour mon amie), ou bien une manière de projeter une certaine image de soi, comme la richesse ou la performance? Évidemment, la réponse donn ée ne mènera pas au choix du même véhicule pour chacun (on se doute que quelqu’un voulant incarner la puissance brute ne choisira peut-être pas une Smart).
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« Le véhicule choisi peut même être un incitatif à adopter des comportements à risque — vitesse, non-respect du Code de la sécurité routière. Le formateur doit se servir de cette activité pour amener les candidats à déterminer leurs caractéristiques personnelles, leurs valeurs, leurs croyances, leurs motivations au regard de la conduite automobile. Cette activité, par la prise de conscience suscitée, vise à les amener à réfléchir sur leur devenir de conducteur », dit-on à la SAAQ.
Questions pour des champions
Ces ateliers ne sont peut-être pas sans nous rappeler ces heures passées à l’école secondaire à bricoler en équipes de sept un jeu de société interactif intégrant des notions de catéchèse et d’éducation physique (ou autre fantaisie du moment).
Mais on comprend que l’idée est probablement de permettre au formateur de faire réfléchir les élèves qui oseraient dire tout haut (drôle d’idée) qu’ils veulent un char pour faire de la vitesse et impressionner leurs amis.
Par contre, quand on arrive aux questions et mises en situations, difficile de pas avoir l’impression qu’on se fait niaiser…
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Évidemment, on veut que les conducteurs respectent les autres personnes sur la route, qu’ils ne se laissent pas intimider par leurs délinquants « amis plus âgés » et qu’ils soient conscients de l’impact de leur environnement familial sur leur conduite. Par contre, il semble que ce n’est pas en posant des questions auxquelles il est virtuellement impossible de mal répondre qu’on va modifier quoi que ce soit dans un comportement! (Et au risque d’aller contre le manuel, je suis en faveur que l’ami bully de la question 2 soit déposé au plus vite à un arrêt d’autobus, il l’a bien mérité.)
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Encore une fois ici, QUI peut mal répondre à cette question? (Rappelons la facture de 800 $ qui vient avec ces cours, obligatoires, peu importe l’âge des nouveaux conducteurs, pour comprendre la frustration vécue par certains élèves.)
Du côté de la SAAQ, on nous dit qu’il s’agit de la première fois qu’un commentaire sur les questions trop faciles leur est fait, et qu’il sera considéré lors de la prochaine révision des exercices. On dit aussi que « c’est peut-être simplement un signe que la matière a été bien assimilée ».
La prochaine question, qu’on trouve sur le site réservé aux apprentis conducteurs, visait probablement à faire encore une fois réaliser aux futurs conducteurs que plusieurs facteurs peuvent influencer la conduite automobile.
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Mais qui a pensé que c’était une mise en situation de bon goût, ça : « Il tombe une forte pluie qui accentue vos symptômes dépressifs. »? Et qui peut croire que des antidépresseurs aideraient à contrecarrer les effets des symptômes dépressifs AINSI QUE CEUX DES TRAVAUX SUR LA ROUTE?
On peut se dire que des questions faciles, au moins, ça donne des points facilement. Mais apparemment, les examens en ligne peuvent aussi être frustrants. Un ami a échoué un test une fois, car il avait évalué qu’une situation montrée en dessin à l’écran était réglementaire (c’était une famille en voiture : le père conduisait, la femme assise du côté passager écoutait de la musique avec des écouteurs et les deux enfants étaient à l’arrière, dont un avec une couverture sur les genoux). Sauf que quand on regardait vraiment bien le dessin, on se rendait compte que la couverture brune était en fait… un chien lousse dans la voiture. Échec au test, pas moyen de s’arranger, 28 jours avant de pouvoir le reprendre.
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Les cours de conduite ont longtemps été obligatoires au Québec, mais ils avaient été déclarés facultatifs en 1997, avant d’être réinstaurés en 2010. Améliorer la sécurité sur les routes : personne n’est contre ça. Par contre, imposer des délais d’un an pour l’obtention d’un permis de conduire* (pas pratique pour quelqu’un dont le nouveau travail requiert un permis), poser des questions auxquelles il est virtuellement impossible de mal répondre et faire parler les élèves de modèles de voitures dans un cours cher payé… Disons que plusieurs estiment que ce n’est pas tellement ce qu’ils attendaient d’un programme gouvernemental sérieux.
Après, on constate aussi que devant la frustration de certains clients, certaines écoles de conduite leur permettent de contourner le système… (Ce qui, entendons-nous, est très mal et dangereux, mais peut-être pas 100 % surprenant.)
Personnellement, je pense que la meilleure façon de responsabiliser quelqu’un (même un jeune), c’est avant tout de ne pas le prendre pour un coco et de ne pas lui mettre de bâtons dans les roues pour rien. La SAAQ fait des campagnes de sensibilisation tellement bonnes que des fois j’en regarde pour le fun sur leur site web (c’est peut-être juste moi). Je suis sûre qu’il y a plein de bonnes façons d’apprendre à Charles-Olivier et à Rebecca-Suzie de ne pas texter avec leur chien sur les genoux en conduisant; j’ai pas mal l’impression, par contre, que certains aspects des nouveaux cours de conduite sont plutôt frustrants pour rien…
Et vous, avez-vous dû suivre des cours de conduite pour avoir votre permis? C’était comment?
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*Concernant le nouveau programme et le délai d’un an, la SAAQ nous dit ceci : « Il n’est plus question de juste “apprendre à conduire”. La période d’apprentissage a été allongée pour que les candidats puissent disposer du temps nécessaire pour apprendre à se comporter de manière autonome, sécuritaire et responsable sur la route. De plus, cette période allongée permet aux apprenants/apprentis conducteurs de conduire sous les différentes conditions climatiques de nos saisons. (…) D’autre part, l’approche par compétences utilisée pour la formation des apprenants/apprentis conducteurs mise sur l’alternance entre la théorie et la pratique. (…) Par ailleurs, l’âge est aussi un facteur de risque. Les jeunes ont tendance à sous-estimer les risques présents dans une situation donnée comparativement à un conducteur expérimenté, tout en surestimant leurs habiletés. Le fait de retarder leur exposition au risque est donc bénéfique tant pour eux, que pour les usagers de la route qu’ils auront à côtoyer. »
Pour lire un autre texte de Camille Dauphinais-Pelletier :«Être piétiné sur un quai de métro, oui, ça se peut»