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Cotton Club : la communauté Noire de France se fait entendre
Il y a quelques temps, le Cotton Club, un « talk-show inattendu », a vu le jour. « C’est une émission de divertissement qui réunit des personnalités dont le parcours fait figure d’exemple dans la communauté Noire de France » comme on peut le lire sur le communiqué de presse qui nous a été envoyé. Après avoir visionné attentivement quelques épisodes, on a été séduits. Et surtout convaincus de la place que devrait prendre ce genre d’émission en 2021. Bref, c‘est un véritable bol d’oxygène à l’heure où certains chroniqueurs populistes croient être populaires.
« Le besoin de valoriser toute la diversité de notre communauté, la représenter au delà du folklore et des clichés habituels. En d’autres termes, nous rendre visible pour de bonnes raisons, et non pour notre apparence ou nos origines » : c’est ce qui a poussé Carole Bégatin alias Devanee, l’une des créatrices de l’émission, à donner vie à ce projet. Rencontre.
D’où vient ce nom Cotton Club ?
C’est en référence au célèbre club de jazz new-yorkais des années 30 où jouait l’élite des musiciens noirs. C’était un club raciste aussi, le public y était essentiellement blanc. On a choisi ce nom-là pour pouvoir se le réapproprier, et aussi pour le rapport à l’histoire de l’esclavage et de la culture du coton.
Apparemment, l’idée de ce talk-show trottait dans ta tête depuis un moment…
En fait, l’idée est venue de ma collaboratrice Kady Tabouré. On est toutes les deux nées en France et on a grandi avec la télévision française. On a remarqué, dans notre construction de jeunes adultes, que les émissions étaient truffées de clichés. Les personnes noires qu’on voyait à la télé étaient toujours dans l’univers du divertissement (musique, sport). On a vu un reportage sur M6 qui s’appelait Enquête Exclusive: les Africains de Paris. C’était bourré de clichés dans la manière d’amener le sujet. Bref, on a grandi avec ces images sur les Noirs : les sans-papiers, la précarité, les banlieues, la violence aussi. J’ai fait la réflexion à mon amie : « Les personnes noires qui font d’autres choses, on ne les voit jamais, en fait ! ». Trois semaines après, elle me disait qu’on devrait lancer notre émission et puis elle m’a parlé d’une émission type 93 Faubourg Saint-Honoré. Voilà comment le projet a débuté !
Pas trop dur de porter la casquette de présentatrice, réalisatrice et productrice en même temps ?
Oui, c’est dur surtout qu’on ne vient pas du métier ! Kady était dans l’évènementiel mais on a un ami réalisateur qui nous a aidées. Moi j’ai eu une très brève expérience au début de ma vingtaine où j’ai fini par atterrir devant la caméra. C’était ma première vraie expérience de présentatrice. Et puis, j’ai fait du chant aussi, je faisais partie d’une troupe de gospel, ça m’a aidé à appréhender la scène. Après quand j’ai peur, j’y vais quand même (rires) ! Et donc, plus de 10 ans après, je remets cette casquette de présentatrice. Mais j’apprends encore le métier au fur à mesure, Kady m’aide beaucoup. Ce projet a changé ma vie parce que pour parler au plus grand nombre, il faut pouvoir s’interroger sur soi-même.
Le mouvement Black Lives Matter et l’affaire Traoré ont-ils influencé votre volonté de sortir cette émission maintenant ?
Honnêtement, l’aventure dure depuis trois ans. Pour Black Lives Matter, on a juste été sonné en tant que personnes noires. On n’a pas cherché à surfer sur la vague, on était déjà dans notre expérience personnelle. C’est malheureux mais c’est plus légitime maintenant de faire un plateau où on ne montre que des personnes afros. C’était compliqué et c’était une prise de risque avant. En France, il y a d’autre règles comparé aux pays anglo-saxons où ils sont plus à l’aise avec ça. Il y a encore trois ans, ce n’était pas comme ça en France, c’était tendu. Même vis-à-vis des Noirs, quand on a lancé le projet autour de nous, on sentait que les gens étaient dubitatifs et disaient : « Pourquoi vous ne mettez pas quelques Blancs ou d’autres minorités ? » On s’est posé la question mais pas trop longtemps. Et puis on s’est dit : « Mais pourquoi on n’aurait pas droit de le faire ? C’est pas interdit par la loi, on ne nuit à personne là ! » Le Cotton Club c’est une invitation envoyée à tout le monde pour découvrir cette communauté. Mais c’est vraiment en travaillant sur le projet que j’ai vu l’aspect politique. Alors oui, ces évènements ont fait que les mentalités ont changé, mais c’est très récent.
Et puis, on voulait aussi montrer des figures montantes parce qu’on savait que ça allait inspirer. On a vraiment remarqué qu’ils avaient beau être noirs, ils avaient tous une certaine sensibilité. Par exemple, Paps Touré, qui fait partie du premier épisode, a expliqué : « Moi je ne me suis jamais dit, je suis noir, je n’ai jamais vraiment réalisé ». Les parcours de réussite, c’était pour inspirer, pour montrer. L’émission est aussi là pour divertir les gens, leur apprendre des choses. On a déjà fait une spéciale « hommes » et je voudrais maintenant organiser une spéciale « femmes » voire même une émission consacrée aux mamans. Ce serait une belle manière de les mettre en valeur.
C’est cool l’ambiance décontractée autour d’une table avec un repas préparé par un chef !
Oui, il y a du 93 Faubourg Saint-Honoré dans l’émission, c’est sûr. On nous fait souvent la référence de C à vous, parce qu’il y a un chef. Il y a aussi l’inspiration de Red Table Talk. En fait, on a aussi beaucoup grandi avec tout ce qui se existait dans le paysage télévisuel américain. C’est un peu un mix de tout ce qu’on est. Et un repas, ça rassemble, c’est plus convivial ! Il y a un aspect cosy, on ne voulait pas que ce soit trop guindé ou intello parce que ça ne nous ressemble pas. On voulait un beau cadre intimiste pour que les gens puissent se livrer. Donc autour d’un repas, c’est jackpot, c’est comme dans la vraie vie (rires).
De quoi rêves-tu pour le futur de cette émission ?
On est moins de 10 dans l’équipe alors que pour un court-métrage, par exemple, il faut parfois 30 personnes pour que ça prenne vie. Alors je dirais qu’on rêve d’avoir des plus gros sponsors et partenaires pour qu’on parvienne à relever notre défi : montrer les Noirs d’une autre manière dans le paysage français. Ce serait une immense fierté.
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Si comme nous, vous avez envie de suivre ce projet inspirant et de découvrir de nouvelles émissions, Devanee et Kady ont créé une rubrique « Soutenez-nous » sur leur site Noir Pigment. Allez voir ça !